Peut-on être journaliste et patriote ?

Feu Tapé Koulou

Kevin Marsh, rédacteur en chef de l’Académie de journalisme de la BBCNous répondons ici à une question de Sossa Ferry, à Porto Novo, au Bénin: « Comment peut-on faire preuve d’impartialité si l’on veut être un journaliste patriote? » Réponse de Kevin Marsh, Rédacteur en chef de l’Académie de journalisme de la BBC.
En fait, j’ai eu l’occasion d’aborder cette question lorsque j’ai prononcé un discours devant des responsables et des journalistes chinois. Je leur avais dit ceci :

« Patriote? Que voulez-vous dire exactement? Envers un régime? Vis-à-vis de la réputation d’un pays? Si, par « pays », vous entendez « compatriotes », alors, vous ferez preuve de patriotisme, justement, en faisant votre possible pour que vos compatriotes comprennent comment ils sont gouvernés, quelles sont les priorités du gouvernement et si ce gouvernement est ouvert et honnête en ce qui concerne ses objectifs et ses actions.

Etre patriote, c’est donner à vos compatriotes les moyens intellectuels (informations et arguments solides) pour qu’ils puissent critiquer leur gouvernement de façon juste et honnête, avec un esprit ouvert, et pour qu’ils comprennent pourquoi il a pris des mesures impopulaires, si c’est le cas.

En démocratie, c’est votre devoir, en tant que journaliste patriote, de faire en sorte que les électeurs de votre pays disposent de tout ce dont ils ont besoin pour choisir le meilleur gouvernement.

Vous devez aussi expliquer tous les arguments et les mettre à l’épreuve pendant et après l’élection, pour que les électeurs qui se retrouvent du côté du perdant comprennent pourquoi ils ont perdu, pourquoi le parti pour lequel ils ont voté est toujours dans l’opposition et pourquoi le parti pour lequel ils n’ont pas voté est toujours au pouvoir.

Les journalistes n’ont pas, plus que quiconque, le droit de nuire à la sécurité nationale. D’un autre côté, les journalistes ont le devoir d’aider leurs compatriotes à comprendre en quoi consiste cette sécurité nationale, pourquoi elle est nécessaire et quelles sont les alternatives.

En démocratie, le pouvoir nous appartient, à nous, citoyens; nous ne faisons que le prêter à ceux que nous choisissons pour l’exercer en notre nom. Un journaliste patriote a un devoir envers ses compatriotes, celui de faire son possible pour leur dire comment leur pouvoir est employé en leur nom.

BBC

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La politique éditoriale de la BBC

Le Guide éditorial, la « Bible » des jounalistes de la BBC
Nous avons pour ambition d’être le média le plus créatif et le plus fiable au monde – à la radio, à la télévision et sur internet. Nous voulons répondre aux besoins de nos auditeurs en les informant, en les instruisant, en les divertissant et en leur apportant des choses que nos concurrents ne peuvent pas leur apporter.

La BBC est un service public et nous avons pour ambition de nous comporter comme tel. Nous voulons encourager les talents les plus innovateurs, agir en toute indépendance, sans subir de pressions, et appliquer les normes déontologiques les plus strictes.

Impartialité

L’impartialité est une valeur qui est au cœur de la BBC. Tous les programmes de la BBC et tous ses services doivent refléter une ouverture d’esprit, un souci d’équité et le respect de la vérité. Tous les courants de pensée importants doivent être représentés sur la BBC.

Nous devons être exacts et nous devons être prêts à vérifier, revérifier et demander des conseils, au besoin. Dans la mesure du possible, nous devons aller chercher nos informations à la source en étant sur place ou, quand ce n’est pas possible, parler avec des témoins. Mais, pour être exact, il ne suffit pas toujours de rapporter les faits. Toutes les informations pertinentes doivent être prises en compte pour que la vérité jaillisse de ce qui est rapporté ou décrit.

Les programmes de la BBC doivent être construits sur l’équité, l’ouverture et la transparence. Nos intervenants doivent être traités avec honnêteté et respect. Ils ont le droit de savoir sur quel sujet porte un programme, ce que nous attendons d’eux lors de leur interview, si le programme en question sera en direct ou pré-enregistré, et si l’interview sera montée ou diffusée dans son intégralité.

Diversité

Refléter la diversité des gens et des cultures, au Royaume-Uni et dans le monde entier. Les programmes et les services de la BBC doivent s’inspirer de cette diversité pour refléter la réalité. Ce faisant, nous utilisons de nouveaux talents, de nouvelles perspectives, de nouveaux visages et de nouvelles voix, en enrichissant ainsi nos programmes pour nos auditeurs. Lorsque nous parlons de différents groupes sociaux, nous devons nous efforcer d’éviter les stéréotypes.

Intégrité

Le public doit pouvoir croire en l’intégrité des programmes de la BBC. Il doit être certain que les décisions qui sont prises le sont uniquement pour des raisons éditoriales valables, et non en raison de pressions, qu’elles soient politiques ou commerciales.

Les activités extra-professionnelles des journalistes ne doivent pas avoir d’incidence sur les programmes de la BBC.

Vie privée

La BBC doit respecter la vie privée des individus. Toute intrusion doit être justifiée en prouvant qu’il en va de l’intérêt de tous. La façon dont les gens se comportent dans leur vie privée, leur correspondance et leurs conversations ne doivent pas être portées dans le domaine public, à moins que ce ne soit dans l’intérêt de tous.

Bon goût et décence

Nous devons tenir compte des sensibilités des auditeurs et de ce qui risque de les offenser. Nous avons le droit de les surprendre par notre créativité, mais nous ne devons pas les choquer de façon gratuite. Il est primordial de tenir compte de ce qu’attendent les auditeurs de certains programmes, en fonction des tranches horaires.

Protéger les enfants

Nous devons protéger les enfants qui participent à nos programmes. Nous devons examiner l’impact que le programme risque d’avoir sur les enfants en question, que ce soit la façon dont le programme est conçu, ou l’impact qu’il aura, une fois diffusé.

Normes éditoriales

Exactitude…
Vérifiez les noms, les dates, la prononciation, etc…
En cas de doute, optez pour le bilan le moins élevé de morts, de blessés, etc…

Equité…
Mettez-vous à la place des intervenants.
Citez-les exactement, et jamais hors contexte.
Attribuez tous les commentaires, toutes les opinions et tous les faits controversés.

N’oubliez pas qu’à la BBC, l’important n’est pas d’avoir un scoop, mais une véritable information vérifiée (l’idéal est d’avoir deux ou trois sources).

Equilibre…
Essayez de refléter tous les points de vue pertinents. Si l’autre partie n’en a pas émis, dites-le.

Soyez complet…
Fournissez toutes les indications nécessaires – historique, contexte, analyse – pour que l’information que vous rapportez ait tout son sens.

Le lancement

Présente l’info
Fournit un historique pour que l’information ait tout son sens
Encourage l’auditeur à vouloir en savoir plus
Comprend les éléments qui sont susceptibles d’évoluer (taux de participation, bilan d’une catastrophe naturelle, etc…)
Permet de lier les différents éléments d’un programme
Doit être assez long pour donner à l’auditeur l’essentiel de l’information
Présente le correspondant/pigiste

Anatomie d’un lancement
Qu’y-a-t-il de nouveau? De quoi s’agit-il? Qui a fait/dit quoi à qui, où et quand? Comment? Dans quelles circonstances? Pourquoi?
Pourquoi est-ce important? Pourquoi les auditeurs voudraient-ils en savoir plus? (donner contexte/historique)
Qui va nous en dire davantage? Présenter le correspondant/pigiste.

Le papier

Dans le lancement, donner l’info ainsi que l’importance qu’elle revêt et pour quelle raison (en évitant de donner des chiffres inutiles)
Dans le papier, donner des détails importants, la source de l’info et la raison, plus détaillée, pour laquelle l’information est importante;
donner contexte/historique;
donner un pronostique sur l’évolution possible de la situation.

Recette pour faire un bon papier, fournie gracieusement par notre ancien collègue Mark Brayne, à l’époque où il était le responsable de la région Europe.

« Tous les papiers ont besoin d’un lancement – environ deux phrases et demie. Le lancement peut donner un avant-goût du papier qui suit. Il peut également résumer l’info. Le papier apporte ensuite les détails complémentaires. Rédigez des phrases courtes, dans un style simple. Les phrases longues qui n’en finissent pas, et qui sont remplies de noms et de chiffres, et de clauses subordonnées, qui sont difficiles à comprendre, comme cette phrase… Suis-je assez clair? »

« Soutenez l’attention de l’auditeur. Si vous l’embrouillez, il ne pourra plus vous suivre. Imaginez un papier qui ressemblerait à un hamburger en forme de pyramide. Pour faire un bon hamburger, il faut de la viande, du pain et de l’assaisonnement. Eh bien, c’est la même chose pour un papier radio. L’information, c’est l’équivalent de la viande. L’historique, comme le pain, apporte le contexte. La couleur, comme la sauce tomate et la laitue, ajoute du piquant et suscite l’intérêt. Il vous faut une pyramide, parce que si vous la coupez par le bas, elle conservera sa forme ».//

« Environ une minute après le début de votre papier, indiquez que le papier peut, au besoin, se terminer là, en ajoutant deux barres diagonales, comme nous l’avons fait dans la phrase précédente. Quand vous lirez votre papier, assurez-vous de bien lire ces deux barres comme un point final. //

Beaucoup se demandent quelle est la longueur idéale d’un papier. En anglais, le maximum est une minute trente, sauf si vous incorporez du son. Vous n’avez pas toujours besoin d’un verbe dans une phrase. // Pourquoi un papier? Parce qu’il apporte une analyse pour expliquer l’information. Mais les correspondants ne devraient JAMAIS commenter. Leur jugement professionnel a son importance, mais pas leur opinion. »

Autres conseils

A la fin de chaque phrase, posez-vous la question suivante: « Qui dit cela? », et donnez la source de tous les faits, de tous les commentaires, de toutes les opinions, etc… Pas besoin de source pour dire: « Paris est la capitale de la France », mais il vous faut une source pour « Paris est la plus belle ville du monde ».

Avoir une source ne revient pas à citer des déclarations erronées ou trompeuses simplement parce qu’une personne, même si elle occupe de hautes fonctions, a fait ces déclarations. Un bon journaliste est toujours sceptique – mais pas forcément cynique – quelle que soit la source. Vérifiez, revérifiez et vérifiez encore.

Tuyaux en vrac, extraits du « BBC News Style guide » de John Allen.
« Quand vous employez des métaphores et des comparaisons éculées, vous économisez votre énergie mentale mais vous êtes vague, non seulement pour votre lecteur, mais aussi pour vous-même, » disait George Orwell. Alors, évitez les clichés et le jargon journalistique.

« Ce qui est écrit sans effort est généralement lu sans plaisir, » disait Samuel Johnson. Le lancement et le papier forment un tout, c’est ainsi que l’auditeur les perçoit. Le correspondant ou le pigiste qui dit: « Je te laisse faire le lancement » à un collègue devrait être chargé de faire les bulletins météo ad vitam aeternam. Si le lancement et le papier ne se rencontrent pas avant l’émission, il y a souvent répétition, à éviter à tout prix en radio.

Veillez à ne pas promettre dans le lancement un angle qui ne sera même pas mentionné dans le papier, pour ne pas décevoir les attentes de l’auditeur.
Si le papier commence avec un son – une fanfare ou des combats – préparez l’auditeur, et n’annoncez pas le nom du correspondant.

Si le papier comporte un acronyme ou une abréviation, donner l’équivalent, in extenso, dans le lancement.

Clarté

« Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément, » disait Nicolas Boileau-Despréaux. En radio, la structure de base pour une phrase – sujet-verbe-complément – marche à chaque fois. L’auditeur comprend tout de suite ce que vous dites. Tout ce qui est plus compliqué, avec une clause subordonnée, par exemple, peut gêner la compréhension.

Essayez d’être simple (mais pas simpliste). Vous avez des obligations envers l’auditeur, vous n’êtes pas là pour faire de la prose. Vous avez une relation avec votre auditeur, alors essayez de la rendre agréable et productive. Par exemple:

En parlant d’une information, ne dites pas qu’elle est bonne, choquante ou terrible. Donnez les faits, et laissez l’auditeur décider.

Essayez de mettre un verbe actif fort dans la première phrase, pour qu’elle ait un impact, et que l’auditeur reste à l’écoute.

Commencez bien

Ne commencez pas votre papier par une question. L’auditeur veut être informé, il n’est pas en train de répondre à un questionnaire.

Ne commencez pas votre papier par « Comme on s’y attendait… ». Si l’information dont vous allez parler était prévisible et que vous n’avez rien de nouveau à dire, pourquoi l’auditeur devrait-il vous accorder son attention?

Soyez positif. Faites des affirmations quand c’est possible, et évitez la forme négative. Il est plus direct de dire « Le plan a échoué » que « Le plan n’a pas réussi ».

« On ne devrait pas avoir pour objectif d’être compris, » disait Quintilien, « mais plutôt de ne pas pouvoir être mal compris ». Il vaut généralement mieux donner le nom complet d’une organisation quand on y fait référence pour la première fois, et donner l’acronyme qui correspond par la suite.

La forme active

Préférez la forme active à la forme passive. Le monde de l’information tourne principalement autour de gens qui font des choses. La voix active vous permettra de rendre vos papiers plus vivants.

Comparez par exemple:

« Il y a eu des émeutes dans plusieurs villes du nord de l’Angleterre hier soir, au cours desquelles la police s’est affrontée à des jeunes armés de pierres. »
Et:
« Des jeunes armés de pierres se sont affrontés à la police au cours d’émeutes dans plusieurs villes du nord de l’Angleterre hier soir. »

« Il y a eu… » est une forme trop utilisée. La deuxième version, plus imagée, est beaucoup plus vivante et permet à l’auditeur d’imaginer la scène.

Toutefois, il arrive qu’un passif soit préférable à un actif, quand on veut mettre le sujet en exergue.

Par exemple:

« Le Prince Edward a été attaqué par un rhinocéros alors qu’il visitait une réserve naturelle au Kenya. »
Plutôt que:
« Un rhinocéros a attaqué le Prince Edward qui visitait une réserve naturelle au Kenya. »

L’attribution vient en premier. En radio, il est impératif d’identifier l’auteur d’une affirmation avant de la donner. Dites toujours de qui il s’agit avant de dire ce que cette personne a déclaré. Sinon, l’auditeur ne pourra juger de l’importance de l’affirmation en question que lorsqu’il saura qui l’a faite. Ou bien il sera tellement choqué par cette affirmation qu’il ne sera plus assez réceptif quand le nom de son auteur sera donné.

Il y a d’autres bonnes raisons pour rédiger une information de cette façon. C’est plus naturel et ça évite les malentendus. Vous ne diriez pas à un ami: « Je suis un pauvre type, aux moeurs douteuses et sans aucune qualité. C’est ce que ma femme m’a dit hier soir. » Bien sûr, vous diriez d’abord qui est l’auteur de ces propos. « Ma femme m’a dit hier soir que j’étais un pauvre type, » etc…

C’est comme cela qu’on parle, et c’est ainsi que nous devrions rédiger nos informations.

Nombres et quantités

Une information qui comporte trop de nombres endort l’auditeur. Simplifiez quand vous le pouvez, en arrondissant (à la hausse ou à la baisse). Donnez l’équivalent de sommes (dollars, euros, etc…) en CFA si vous diffusez dans une zone où la monnaie est utilisée.

« La littérature, c’est l’art d’écrire quelque chose qui sera lu deux fois; le journalisme, celui qui sera compris dès la première fois, » disait Cyril Connolly. Soyez exact. Ne pas confondre « anglais » et « britannique »; « hollandais » et « néerlandais »; « au sud de » et « dans le sud de »; « les » et « des ».

A haute voix

Lisez à haute voix. Des mots sur une feuille de papier, ce n’est pas la même chose que des mots qui sortent de la bouche d’un correspondant ou d’un présentateur. Avant d’enregistrer un papier, lisez-le à haute voix pour éviter les répétitions, les rimes et les sibilantes (répétition de « s »), et pour varier la cadence (en variant notamment la longueur des phrases).

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