Kieffer, cacao, Bolloré…3 questions à Alassane Ouattara

Par Massimo Prandi | lesechos.fr

Notre envoyé spécial a rencontré le Président de la Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara à l’occasion 5ème Conférence annuelle sur la gouvernance globale organisée ce week-end à Cannes par l’Institut français des relations internationales (IFRI). Interview.

Quand vous avez été élu, vous aviez promis de faire la lumière sur l’assassinat du journaliste français Guy-André Kieffer. Où en sont les investigations?

L’enquête continue. Nous avons rassemblé quelques indices mais rien de concret. Toutes les personnes concernées de près ou de loin ont été entendues. Je me suis entretenu avec son épouse.

Comment procède la mise en place de la réforme de la filière cacaoyère?

La réforme est appliquée dans des bonnes conditions. Les planteurs reçoivent 60% du prix CAF (coût, assurance, fret) international de la fève à la sortie des champs contre 44% auparavant.

Comment se portent les relations entre le gouvernement ivoirien et le groupe Bolloré?

Très bien. Nous avons renégocié le contrat avec le groupe Bolloré sur l’exploitation des infrastructures portuaires. La signature du nouvel accord est imminente.

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World Policy Conference 2012

Honorables invités, Mesdames, Messieurs, chers amis ;

Je voudrais pour commencer remercier chaleureusement Monsieur Thierry de Montbrial, Président- Fondateur de la « World Policy Conference », de m’avoir fait l’honneur de m’inviter à prononcer un discours devant cette assemblée d’éminentes personnalités.

Monsieur de Montbrial m’a suggéré de vous livrer quelques réflexions sur la situation mondiale et la gouvernance. Puis de vous parler de l’Afrique et de mon Pays, la Côte d’Ivoire. Un vaste programme vous en conviendrez ! mais rassurez-vous car le Président Montbrial m’a demandé de faire ce tour de force en 20 minutes !

Mesdames et Messieurs,

Cette conférence intervient au moment où le monde entier vient d’apprendre le nom des dirigeants des deux supers puissances, avec la réélection de son Excellence le Président Barack Obama aux Etats Unis d’Amérique et la désignation de son Excellence Xi Jinping au poste de Secrétaire Général du Parti Communiste Chinois. Deux dirigeants dont les futures décisions prises au nom de leur pays, tant au niveau économique que des relations internationales auront un impact significatif sur l’avenir de l’humanité.

Nous souhaitons bien entendu que la sagesse de ces deux grands peuples nous permette d’avoir un monde plus serein.

Le monde fait aujourd’hui face à des turbulences. Les prévisions publiées récemment par l’Organisation de Coopération et de Développement Economique, laissent craindre « une reprise mondiale hésitante et inégale », avec des taux de croissance fortement révisés à la baisse de 1,4 % en 2013 au lieu des 2,2 % initialement prévus. Ceci sans évoquer le « précipice fiscal », qui pourrait faire perdre 5 % de croissance en 2013 aux Etats Unis et une croissance anémique en Europe.

Pendant ce temps, le moyen Orient est en prise avec les retombées contrastées de la révolution du jasmin. A l’ONU, la Palestine vient d’être reconnue comme Etat observateur non-membre, par une majorité des pays membres de l’Assemblée générale des Nations Unies.
Il faut espérer qu’un accord de paix durable entre Israël et la Palestine puisse enfin voir le jour dans cette région meurtrie par tant de souffrance.

En Afrique, le décollage économique se consolide malgré les conséquences de la révolution Libyenne dans le Sahel.

Les écosystèmes de notre planète subissent les conséquences d’une pollution galopante qui provient d’une importante consommation d’énergie. Cette évolution entraine un dérèglement climatique sans précédent.

La mauvaise gestion des ressources publiques par certaines entreprises multinationales, publiques ou privées, contribue aux catastrophes qui frappent plusieurs régions du monde, telles que le Pays du Soleil Levant, le golfe du Mexique ou encore le Sahel.

Mesdames et Messieurs

Ce constat nous interpelle à plus d’un titre :

-Le modèle économique qui a régi le Monde depuis la révolution industrielle serait-il en train de se fissurer?
– Les effets externes de la croissance décrits par le célèbre économiste Britannique James Edward Meade, prix Nobel d’économie en 1977, ont-ils été suffisamment pris en compte dans nos modèles de croissance ?

-La gouvernance, n’est-elle pas devenue un concept dénué de toute substance, au profit de quelques groupes d’intérêts particuliers ?

– La croissance dans le monde est-elle soutenable ? Va-t-on continuer à dégrader l’environnement du fait d’une consommation énergétique produite à partir de ressources non renouvelables ?

A cet égard, il est intéressant de souligner sur ce point, que l’une des grandes orientations du XVIIIème Congrès du Parti Communiste Chinois est d’encourager l’édification d’une civilisation écologiste. Un exemple qui mériterait sans doute la peine d’être exploité, selon les spécificités de chaque pays.

Mesdames et Messieurs,

La carte des nouveaux rapports de force qui se dessine sous nos yeux nous appelle à un véritable renforcement de la gouvernance mondiale. Elle doit mieux refléter la réalité de ce nouveau monde et réponde aux aspirations des peuples. Une meilleure représentativité dans les instances internationales, y compris au sein du Conseil de Sécurité des Nations Unies et des Conseils d’Administrations du FMI et de la Banque Mondiale est nécessaire. Les grands défis du XXIème siècle l’exigent.

Pour ma part, je reste convaincu que la globalisation des échanges, les effets induits de la croissance économique, des transactions illicites ainsi que du terrorisme transfrontalier nécessitent une coopération renforcée entre les Etats. Elle requiert aussi un renforcement et une adaptation des règles de surveillance dans un monde en pleine transformation. Enfin, les découvertes scientifiques sans précédent, impliquent un renforcement des règles d’éthique au plan international pour sauvegarder l’intégrité et la dignité humaine.

Mesdames et Messieurs,

Après ces propos liminaires sur la gouvernance mondiale, je voudrais saisir l’opportunité qui m’est offerte aujourd’hui pour vous parler du continent africain.

Comme le note un récent rapport de la Banque Mondiale, depuis l’an 2000, l’Afrique a connu plus d’une décennie de croissance économique. C’est la plus longue période d’expansion en un demi-siècle. L’Afrique subsaharienne a su maintenir un taux de croissance moyen entre 5 et 6 % dans la dernière décennie, malgré les crises à répétition qu’ont connues les Etats Unis d’Amérique et l’Union Européenne.

Ce taux de croissance place l’Afrique derrière l’Asie et avant toutes les autres régions du monde. Plusieurs pays africains figurent parmi les plus dynamiques au monde. Selon les experts du Fonds Monétaire International et de la Banque Mondiale, les perspectives à moyen terme pour notre continent demeurent favorables.

Malgré les risques de dégradation de la situation en Europe, le tableau global pour l’Afrique subsaharienne, est très encourageante. Cela tient en partie aux spécificités que de nombreux pays ont en commun avec les pays émergents. Il s’agit :
– d’une urbanisation rapide,
– de la montée d’une classe moyenne significative,
– du développement rapide des technologies de l’information et de la communication,
– d’une meilleure gouvernance et d’un meilleur environnement des affaires,
– d’élections de plus en plus transparentes ainsi que de l’émergence d’un Etat de droit, avec des institutions qui se renforcent.

Je note également que le taux d’investissements étrangers a été multiplié par dix au cours de la dernière décennie, avec des investissements massifs, en particulier de la Chine, de L’Inde, du Brésil, de la Malaisie et de la Turquie. Comme ce fut le cas au début du miracle économique asiatique, il y a 25 ans, un accroissement relativement faible du taux d’investissement en Afrique peut produire des gains de productivité très élevés. Le taux de rendement des investissements en Afrique figure parmi les plus élevés au monde. L’Afrique attire des flux de capitaux privés qui dépassent désormais l’aide étrangère.

Il est donc indéniable que l’Afrique est de plus en plus intégrée dans l’économie mondiale. Ses partenaires, de plus en plus diversifiés, ouvrent de nouvelles opportunités de développement sans précédent. Après les indépendances dans les années 60, les pays africains, forgent aujourd’hui leur indépendance économique. Ils deviennent moins dépendants de leurs partenaires traditionnels. C’est ainsi que la Chine est en train de dépasser les Etats Unis d’Amérique, en tant que partenaire principal.

Les échanges commerciaux de l’Afrique avec le reste du Monde ont augmenté de 200% depuis l’an 2000. Les échanges avec le Brésil, la Chine, la Corée du Sud, l’Inde et la Turquie qui ne représentaient que 1 % sont aujourd’hui estimés à plus de 30 %. Ils devraient atteindre 50 % d’ici 2030. Le commerce régional entre pays africains est également en plein essor, avec l’abaissement des tarifs douaniers et des restrictions au commerce.

Par ailleurs, le continent africain pourrait bénéficier pleinement du « dividende démographique » comme l’Asie, il y a 30 ans. La population africaine se chiffre aujourd’hui à environ 1 milliard de personnes et à l’horizon 2050, elle atteindra 2 milliards de personnes. L’âge moyen est de 20 ans contre 30 ans en Asie et 40 ans en Europe. Selon la Banque mondiale le taux de pauvreté sur le continent a diminué à un rythme de plus de 1 point par an.

Cette intégration grandissante de l’Afrique dans l’économie mondiale n’aurait pu se faire sans le renforcement de la stabilité politique, de la bonne gouvernance, de l’alternance démocratique et la mise en place progressive d’Institutions fortes. La majorité de pays africains bénéficient aujourd’hui d’élections jugées « satisfaisantes » par la communauté internationale. Il reste cependant du chemin à parcourir pour que les pays africains deviennent de véritables démocraties. En effet, la démocratie ne peut exister sans institutions fortes et sans contrepouvoirs. La démocratie ne se décrète pas. Elle se construit, dans le respect de l’Etat de droit.

Si l’Afrique s’est résolument intégrée à l’économie mondiale, c’est aussi grâce à la mise en place de normes communes en matière de lutte contre les changements climatiques, de commerce international et de sécurité internationale.

L’Afrique ne saurait donc être en marge du Conseil de sécurité et de la Gouvernance mondiale. En effet, la sécurité et la paix internationales se jouent désormais, en grande partie sur le continent africain.

Honorables invités,
Mesdames, Messieurs,

Je voudrais à présent vous parler de mon pays. La Côte d’Ivoire est en train d’écrire une nouvelle page de son histoire. La Côte d’Ivoire a renoué avec la paix, la sécurité et la stabilité. Apres des années de crise la Côte d’Ivoire est pleine d’espoir et résolument tournée vers l’avenir. Elle retrouve ses traditions d’accueil et d’hospitalité.

La sécurité est revenue sur l’ensemble du territoire. Notre outil de défense et de sécurité se remet en ordre.

Après la mise en place du Conseil National de Sécurité (CNS) et la création de l’Autorité du Désarmement, de la Démobilisation et de la Réinsertion, la Réforme du Secteur de la Sécurité, sera accélérée en vue d’assurer l’unité, la modernisation, et l’efficacité de notre appareil sécuritaire. Une attention particulière est apportée à la formation de nos forces réunifiées, en vue de leur inculquer la nécessité de respecter les droits de l’homme dans l’exercice de leur fonction.

La réconciliation nationale progresse grâce au travail assidu de la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation. Par ailleurs, à la suite d’élections législatives libres et transparentes, le nouveau Parlement légifère en ce moment. Des élections municipales et régionales couplées sont prévues début 2013. Un nouveau gouvernement vient d’être mis en place avec une feuille de route précise. Chaque jour, notre démocratie devient plus enracinée, plus sereine, plus solidaire avec la mise en place progressive d’un Etat de Droit et d’Institutions fortes et impartiales.

C’est le lieu de remercier une fois de plus tous nos partenaires et en particulier la France pour avoir été à nos côtés durant la crise post-électorale.

La Côte d’Ivoire est aussi en train de réussir son décollage économique. La stabilité macroéconomique a été retrouvée et la dette extérieure, après l’atteinte du point d’achèvement de l’initiative PPTE au mois de juin 2012, ne représente plus que 18 % du PIB.
Les résultats économiques en 2012 sont bien meilleurs que prévus. Pour la deuxième année consécutive, le FMI a revu ses prévisions de croissance pour la Côte d’Ivoire à la hausse.
Avec un taux de 8,6% en 2012, la Côte d’Ivoire a rejoint les pays qui ont le plus fort taux de croissance en Afrique et dans le monde.

Nous avons adopté un Plan National de développement 2012-2015, qui définit de puissants moteurs de croissance transversaux et horizontaux. Sa mise en place nous permettra d’atteindre une croissance forte, soutenue et solidaire. Cette croissance sera respectueuse de l’environnement et créatrice d’emplois, surtout pour les jeunes.

Notre objectif est de construire les bases pour faire de la Côte d’Ivoire un pays émergent à l’horizon 2020 et réduire le taux de pauvreté de moitié en 2015.

Le taux de croissance pour les trois prochaines années devrait atteindre environ 9 % en 2013 et 10 % en 2014-2015. Ces résultats proviennent d’accroissement substantiel des investissements tant privés que publics, judicieusement choisis dans les secteurs porteurs de croissance.

Le Groupe Consultatif pour le financement du Plan National de Développement qui s’est tenu à Paris les 4 et 5 décembre derniers a été un franc succès et nos partenaires ont décidé de soutenir le décollage de notre économie en accroissant substantiellement leur aide. Ainsi, les partenaires bilatéraux et multilatéraux, les fonds souverains et les ONG de développement ont confirmé leur engagement à hauteur d’environ 7 milliards d’euros (8,6 milliards de dollars US), soit plus du double des financements attendus.

De plus, les projets de partenariats public/privés prioritaires et structurants dans les secteurs des infrastructures, des mines, de l’énergie, du pétrole, des télécommunications, de l’éducation, de la santé etc. . ont suscité l’intérêt de plus de 300 investisseurs privées internationaux.

Fort de ce soutien, nous continuerons inlassablement nos efforts pour :
– être parmi les pays africains les mieux placés dans l’indice du Développement Humain du PNUD
– Pour atteindre ou nous rapprocher des Objectifs du Millénaire pour le Développement en 2015;
– Pour créer l’un des meilleurs climats d’affaires en Afrique
– et enfin pour rejoindre les pays modèles en matière de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption.
Mesdames, Messieurs,

La Côte d’Ivoire est entrain de retrouver la place qui était la sienne dans la sous-région. Son taux de croissance a un impact non négligeable sur l’ensemble des pays de la sous-région, en particulier sur les pays enclavés du Sahel.

En tant que Président en exercice de la CEDEAO, je ne ménagerai aucun effort pour consolider notre intégration régionale. Je continuerai à tout mettre en œuvre, avec l’aide de mes pairs, pour prévenir les conflits et faire respecter les fondements de la démocratie. Je suis optimiste et j’ai foi en l’Afrique qui est un continent d’avenir.

Honorables invités,
Mesdames et Messieurs, je vous souhaite des discussions fructueuses et surtout des conclusions porteuses d’espoir pour l’humanité.

Je vous remercie

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