Nord du Mali, faut-il intervenir militairement ?

Entretiens croisés réalisés par Dany Stive humanite.fr

L’Humanité des débats. Table ronde avec André Bourgeot, anthropologue, chercheur au CNRS, spécialiste de l’Afrique sahélienne, Albert Bourgi, professeur de droit public à l’université de Reims, expert en politique africaine et Sandy HaÏdara, député de Tombouctou, président du Collectif des élus du nord du Mali.

Le Conseil de sécurité 
de l’ONU devait autoriser jeudi 
le déploiement d’une force de 3 300 soldats africains dans le nord du Mali pour tenter d’en chasser les islamistes armés qui l’occupent. Pourtant, des réticences demeurent quant à l’opportunité d’une telle intervention et 
à la façon de la mener. Interrogations qui rendent peu probable une intervention rapide.

Les autorités maliennes, l’Union africaine et la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) attendaient impatiemment ce feu vert 
et elles comptaient sur le projet de résolution français soumis au vote à l’ONU. Ce texte comporte, au-delà du volet militaire, un volet politique appelant Bamako à rétablir l’ordre constitutionnel et 
à engager des négociations 
avec certains des groupes armés, notamment les Touareg. 
Ban Ki-moon sera invité 
à rapporter régulièrement 
au Conseil l’état d’avancement des négociations politiques 
et des préparatifs militaires. Mais l’intervention armée 
est-elle vraiment la solution ?

Quelles initiatives seraient susceptibles de permettre 
au Mali de se reconstruire ?

Albert Bourgi. Elles appartiennent d’abord aux Maliens eux-mêmes, soutenus bien entendu par les pays de la sous-région, et par tous les partenaires situés hors du continent. Elles devraient permettre d’explorer toutes les voies, et d’abord politiques, menant à la reconstruction de leur État dont les fondations sont aujourd’hui à terre. Cela passe par une vaste concertation nationale qui prendrait la forme, pourquoi pas, d’une conférence nationale ou quelque chose ressemblant à celle initiée au lendemain de la révolte populaire du 26 mars 1990. Seule une concertation nationale pourrait permettre aux Maliens de s’engager sur la voie de la reconstruction de l’État, de la restauration de l’intégrité territoriale du pays, ou encore de sceller un nouveau contrat social et politique tranchant avec les expériences démocratiques en trompe-l’œil, initiées jusque-là. Cette inévitable rupture se heurte aujourd’hui à l’obstacle d’un régime de transition dépourvu de toute légitimité et rejeté par la grande majorité des Maliens. C’est précisément ce blocage qui offre une grande marge de manœuvre au capitaine Sanogo.

André Bourgeot. Les réponses aux tentatives d’implosion du Mali et la partition territoriale imposée par les groupes armés djihadistes (Aqmi, Ansar Eddine et le Mujao) et indépendantistes touareg (MNLA, Mouvement national de libération de l’Azawad) ne peuvent être laissées à la communauté internationale : c’est au peuple malien, à ses organisations, partis politiques, associations, milices d’autodéfense, société civile, de reconstruire l’État malien et sa République. Pour ce faire, une grande conférence (assises ? convention ?) nationale permettrait au pays de se reconstruire, de retisser des liens sociaux, et de recentrer le politique dont l’émiettement satisfait les groupes armés du Nord. Par-delà cette situation douloureuse, il importe d’envisager de nouvelles formes de gestion du politique par l’État qui a failli. État-nation ? État unitaire ? Décentralisation poussée ? Afin d’engager une réforme de l’État. Par ailleurs, les négociations en cours doivent intégrer tous les représentants des populations du Nord et ne pas se limiter, comme c’est le cas actuellement, au seul MNLA, qui est aussi en partie à l’origine du chaos et qui ne représente que lui-même, ni à Ansar Eddine dont la composition est essentiellement autochtone (Touareg, Maures et Arabes).

Sandy Haïdara. Le Mali n’est pas cassé. Il traverse cependant des moments très difficiles de son histoire. Le problème du Mali est très complexe. Quatre grands problèmes se posent. La rébellion au nord du pays avec trois acteurs et trois revendications différentes : territoriale par le MNLA, idéologique par les islamistes, et économique par Aqmi, le plus dangereux. Le problème institutionnel : la trilogie au sommet de l’État avec des dirigeants de circonstance sans légitimité populaire. Aucun d’eux n’a un soutien de la majorité du peuple. Un pas important a été franchi avec le remplacement du premier ministre avec pleins pouvoirs par un autre désigné par les deux restants. Il s’agit d’un grand commis de l’État, habitué à servir deux présidents, discret, sans appartenance politique affichée, sans ambition manifeste, respectueux de la hiérarchie. Le président peut être sûr qu’il ne fera rien sans avoir son accord. C’est important pour que la communauté internationale écoute un seul son de cloche au nom du Mali. Cependant nous n’en avons pas fini, car le capitaine Sanogo devient narcissique et veut paraître. Il pense encore jouer un rôle autre que celui de soldat discipliné dans sa caserne. C’est un danger face à un président sans courage politique, toujours en train de louvoyer. Il faut trouver le moyen de convaincre ce militaire à redevenir « muet au nom de la Grande Muette ». Troisième problème : l’armée malienne est décousue à tous les niveaux, composée d’hommes mal formés, sous équipée et sans idéal de sacrifice. Le coup d’État a détruit la hiérarchie. Les oppositions entre garnisons sont des problèmes dangereux dans une armée désunie. La rivalité entre bérets rouges et bérets verts et celle, latente, entre Sévaré et Kati doivent être réglées avant d’affronter la libération du Nord. Les autres problèmes, d’ordre général, sont que jamais les Maliens ne se sont mis d’accord sur un seul sujet depuis les événements de mars 2012. Cette cacophonie entraîne le manque de cohésion de la communauté internationale face au problème du Mali et l’immixtion dangereuse des religieux dans le jeu politique. La communauté internationale doit parler de la même voix face aux dirigeants et aux occupants, pour fixer un calendrier d’actions, le faire appliquer et l’accompagner.

Une intervention militaire au Mali est-elle souhaitable, et dans quelles conditions ?

Sandy Haïdara. Moi, élu des populations, je mesure les dangers collatéraux d’une intervention mais le combat aura lieu hors de nos villes. L’intervention militaire est inévitable au Mali, elle n’est pas nécessaire contre l’insignifiant MNLA, mais la présence d’une armée équipée et soutenue dissuaderait les islamistes, dont la majorité des combattants sont sans idéal et sont déjà sur le point de libérer les villes dès que la communauté internationale annoncera vouloir combattre au côté du Mali. L’utilisation de la force est incontournable contre Aqmi, les trafiquants et les terroristes qui entretiennent la psychose pour garder leur mainmise sur le désert afin d’y continuer leurs activités, à l’encontre du monde entier. Ce conflit se déroulera dans le désert. Laisser l’armée malienne agir seule, c’est donner du temps aux terroristes pour mieux s’organiser et s’équiper et aux islamistes pour s’en prendre plus encore aux populations martyres qui sont au-delà de l’horreur, d’ailleurs sous-estimée par Ban Ki-moon et Romano Prodi.

André Bourgeot. Les interventions militaires (Libye, Côte d’Ivoire, Afghanistan, Irak) n’ont résolu aucun problème politique : on assiste à des phénomènes d’enlisement porteurs de nouveaux affrontements et générateurs d’arrivée au pouvoir de forces réactionnaires ou pour le moins conservatrices. Le Mali n’y échappera pas. Il y aura un risque de diffusion de déstabilisation sur les États riverains et sans doute au-delà. Il faut donc négocier jusqu’au bout, développer les résistances passives qui existent déjà et les transformer en résistances actives, animées par les populations locales qui condamnent les pratiques barbares imposées par la terreur des djihadistes sur des musulmans sunnites, soufis de rite malékite connus pour leur tolérance. Ces résistances doivent être soutenues : les moyens existent. L’Algérie, État incontournable pour une sortie de crise, peut contribuer à renforcer ces résistances actives en fermant ses frontières à tous les trafics (cocaïne, cannabis, armes), y compris la fraude des produits alimentaires et de carburant. Le septentrion est essentiellement alimenté par des produits algériens : un embargo alimentaire obligerait les djihadistes à sortir de leurs tanières sahariennes.

Albert Bourgi. Avant d’en arriver à une intervention militaire pour libérer le nord du Mali, et extirper de cette région, qui est au cœur de l’histoire et de la culture de tout le continent africain, des mouvements terroristes porteurs d’une violence inouïe contre les populations civiles, il est indispensable d’explorer au préalable toutes les pistes politiques et diplomatiques impliquant toutes les parties maliennes et bien évidemment toutes les communautés du pays, y compris les communautés touareg et arabe. Une réponse politique, au niveau national, est toujours possible, pour peu que le pouvoir de transition en place en ait la volonté et surtout la légitimité. Or, les rafistolages institutionnels opérés jusque-là par la médiation ouest-africaine n’ont pas permis de réunir ces conditions. En tout état de cause, une intervention militaire comporte de multiples risques pour toute une région (voyez l’exemple de la Corne de l’Afrique qui n’est pas sortie de la violence depuis une vingtaine d’années !). Tous les dangers d’une opération militaire sont clairement soulignés dans un rapport récent du secrétaire général de l’ONU. De plus, la position de l’Algérie ne va pas dans le sens d’une intervention militaire. Or, sans ce pays, une éventuelle initiative militaire court le risque d’un échec. Il faut quand même rappeler que les États-Unis comme la France sont déjà très présents militairement dans les pays du Sahel, à travers des forces spéciales.

Les difficultés du pays sont-elles exclusivement au Nord ?

Albert Bourgi. Assurément non. La dégradation rapide de la situation militaire dans le Nord, et l’irruption brutale des mouvements terroristes ont été incontestablement les éléments déclencheurs de la grave crise que connaît le Mali. Mais ces événements, prolongés par le coup d’État du 22 mars 2012 du capitaine Sanogo, sont intervenus dans un climat de très grande crispation politique. À quelques semaines du scrutin présidentiel, il régnait une sorte de vide du pouvoir qu’Amadou Toumani Touré était incapable de juguler. La fin de son second mandat a marqué de manière violente le fiasco de l’expérience de démocratie consensuelle qui a très vite viré au partage des avantages multiples, parfois peu honorables, que procurent l’exercice du pouvoir et les profits tirés des trafics en tout genre. Aujourd’hui encore, les actuels président, premier ministre et junte militaire sont davantage préoccupés par des agendas politiques et électoraux que par le souci de restaurer l’ordre constitutionnel.

André Bourgeot. Le Mali est un et indivisible : le septentrion est malien, occupé, administré par la nébuleuse al-Qaida. Il constitue donc un cas particulier qui implique de l’aborder dans toutes ses composantes et ses spécificités. Mais ce cas est indissociable des problèmes politiques que connaît l’ensemble du Mali, notamment ceux des pouvoirs étatiques de la transition et plus particulièrement celui de l’armée nationale dont un de ses éléments, le capitaine Amadou Haya Sanogo, auteur du putsch du 21-22 mars 2012 et du récent coup de force à l’encontre de l’ex-premier ministre Cheick Modibo Diarra. La reconquête des régions du nord du Mali stipule une séparation des pouvoirs, celui du président de la République de la transition et ceux de l’armée, qui doit redevenir républicaine, retourner dans ses casernes pour, le cas échéant, réinvestir le Nord.

Sandy Haïdara. J’ai dit que les difficultés sont multiples. Il convient d’y ajouter le sous-développement, la mal-gouvernance et l’étendue du territoire d’un pays pauvre et enclavé. Sur le plan politique, les Maliens se sont crus, depuis la révolution de mars 1991, à l’abri de coup d’État militaire. Ils se sont aussi trompés sur leur semblant de démocratie, très imparfaite, dont les grandes erreurs trouvent leurs origines dans la Constitution du 25 février 1992.

Peut-on espérer une restauration prochaine de la souveraineté 
et de l’intégrité territoriale du Mali ?

André Bourgeot. Ce serait faire montre d’un optimisme béat que d’envisager rapidement un retour à l’intégrité territoriale. Si d’aventure les forces militaires de la Cedeao investissaient le septentrion en reprenant les villes de Tombouctou, Gao et Kidal, cela ne signifierait pas que les régions Nord seraient sécurisées et libérées : loin s’en faut ! En effet, le combat se déplacerait dans le désert et une guérilla s’enclencherait à l’encontre de laquelle ni les militaires de cette organisation ni ceux de l’armée malienne reconstituée n’ont d’aptitude particulière : enlisement et déstabilisation sur les pays riverains s’exerceront. Les groupes armés djihadistes, notamment le Mujao, ont déjà mis en œuvre cette stratégie de repli prête à tenir un siège en utilisant aussi des mines antipersonnel.

Albert Bourgi. La réponse à cette question renvoie au mode de sortie de crise qui sera privilégié dans les prochaines semaines ou les prochains mois. Ne perdons pas de vue que la durée du mandat du président de la transition, Dioncounda Traoré, a été fixée à un an, et qu’il arrive à échéance dans un peu plus de trois mois. C’est dire que la descente aux enfers du Mali risque de s’accélérer, et de rendre quasi irréversible l’éclatement de l’unité nationale et donc la partition. On n’en est pas là, et je reste convaincu que les Maliens trouveront, par la voie du dialogue et d’une concertation ouverte à tous, au Nord comme au Sud, la volonté de se retrouver autour d’un projet de reconstruction nationale qui, dans l’immédiat, devrait passer par l’instauration d’un leadership enfin légitime.

Sandy Haïdara. Le MNLA vaincu, il n’y a plus de problème d’intégrité du territoire. Il faut accompagner les services de sécurité pour pouvoir assurer une stabilité durable après la réinstallation de l’administration et les structures de l’État. Préparer les populations martyres, qui ont subi toutes les atrocités, à accepter la communauté de vie par le dialogue social et surtout les impliquer dans les accords de paix dès le début de toute médiation.

Entretiens croisés réalisés par Dany Stive

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