Laurent Gbagbo croit à son retour

Paru dans Paris-Match

C’est une belle station balnéaire au bord de la mer du Nord avec sa plage de sable blanc. Scheveningen, le Deauville hollandais, est aussi le lieu au monde qui concentre le plus grand nombre de criminels de guerre. ­Anciens bourreaux ou seigneurs de guerre se côtoient dans le centre de détention du Tribunal pénal international : un bâtiment moderne niché dans la cour de la prison. « L’ambiance est un peu à la bonne franquette », confie un habitué qui se rappelle avoir croisé Charles Taylor, l’ex-président du Liberia condamné pour crimes contre l’humanité. Les détenus reçoivent dans des box séparés par des murets. « J’y ai croisé deux fois le ­regard de Ratko Mladic, je n’aimerais pas le croiser une troisième fois ! » frémit cet habitué.

Le 30 novembre dernier, Laurent Gbagbo, l’ancien président de la Côte d’Ivoire y « célébrait » sa première année de captivité. Une année plutôt agréable, à en juger par les témoignages de ses proches. « Lorsqu’il est arrivé, c’était l’ombre de lui-même. Il venait de passer six mois cloîtré dans 10 mètres carrés, ne sachant le temps qu’il faisait que lorsqu’il entendait la pluie tomber », se souvient son conseiller Bernard Houdin. En prison, Gbagbo prend l’air, profite de la salle de sport et de séances de kiné. Il se refait une santé et des amis dans les pièces communes, où des blocs de distributeurs proposent des boissons fraîches. A ceux qui n’en ont plus les moyens, Charles Taylor offre ­volontiers une canette de soda ou un café.

Gbagbo se porte bien car il est optimiste

De retour dans sa cellule, l’ancien président ivoirien s’informe grâce à la télévision et à Internet, et pioche parmi les deux cents ouvrages de sa bibliothèque : « Le procès des Templiers » de Jules Michelet ou des textes de Virgile en latin. Gbagbo accueille parfois des visiteurs la serviette autour du cou après une séance de vélo. « Physiquement ça va et moralement aussi », a commenté le journaliste Francis Kpatindé après une entrevue. « On dirait que le prisonnier, c’est celui qui vient lui rendre visite », ironise le conseiller Alain Cappeau. Gbagbo se porte bien parce qu’il est optimiste. La Cour ­pénale internationale (CPI) se trouve en effet dans une situation embarrassante. Le gouvernement ivoirien tarde à ratifier le Statut de Rome – qui reconnaît la compétence du Tribunal pénal international – et se montre peu coopératif. Il y a neuf mois, la Cour de La Haye émettait un mandat d’arrêt contre Simone Gbagbo, l’ancienne première dame, qui est toujours maintenue en résidence surveillée dans le nord de la Côte d’Ivoire. Le gouvernement Ouattara ne semble pas tenir compte des mandats d’arrêt émis par la CPI.

Les fidèles de Gbagbo se réjouissent de ce statu quo qui, selon eux, joue en leur faveur. Car si la juge Silvia de ­Gurmendi ne peut, comme elle s’y était engagée, « regarder toutes les parties du conflit », les enquêtes ne peuvent avancer. « Pour cette affaire, nous attendons que les juges décident de la date de l’audience de confirmation des charges. Si celles-ci ne sont pas confirmées, la procédure s’arrêtera », explique Fadi El-Abdallah, porte-parole de la CPI. En ce cas, Laurent Gbagbo pourrait être remis en liberté. La prochaine étape serait alors l’exil. « Impossible de le faire revenir en Côte d’Ivoire, cela déstabiliserait le pays », explique Bernard ­Houdin. « Une villa est déjà prête à Kampala en Ouganda », annonçait Francis Kpatindé. L’Afrique du Sud, selon d’autres sources, pourrait aussi lui offrir un refuge. Le clan Gbagbo espère ensuite la reprise de négociations et, in fine, la tenue de nouvelles élections. Depuis sa cellule, Gbagbo prépare ce que son clan appelle « la deuxième mi-temps », mais continue de lire des poèmes en latin, de faire du vélo d’appartement, et de boire des cafés avec Charles Taylor. Point final.

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