Visite guidée au royaume des « Biens mal acquis » [vidéo]



Vincent Hugeux blogs.lexpress.fr

Croyez-moi, ce film vaut le détour. Vous ne regretterez pas de délaisser l’espace d’un instant l’échiquier malien pour consacrer une heure de votre soirée de ce mercredi au documentaire de Magali Serre et Mikaël Lefrançois, diffusé à 23H10 sur France 3 et intitulé « Bien mal acquis profite toujours, Enquête sur un pillage d’Etats ». Ce voyage au royaume de l’obscénité dorée sur tranche explore les fameux « BMA », actifs immobiliers ou pas acquis en terre de France par une poignée de satrapes subsahariens enclins à puiser dans les caisses du pays, ravalées au rang de cagnottes personnelle, et cibles depuis 2007 de plaintes citoyennes. Lesquelles, miracle, ont survécu à toutes les avanies, à commencer par les manœuvres de ceux qui, de part et d’autre de la Méditerranée, se sont employés à les étouffer dans l’œuf (de Fabergé comme il se doit).

A tout saigneur -de budget national-, tout honneur. Voici le pittoresque Teodorin Obiang Nguema, fils, vice-président et héritier présomptif du chef de l’Etat de Guinée Equatoriale. Lui qui collectionne les berlines de luxe, lui qui peut lâcher en pluie, dans un night-club, 20000 € en grosses coupures, emplir un fourgon Mercedes de sacs Vuitton, rafler aux enchères une centaine de lots lors de la dispersion de la collection Yves Saint-Laurent/Pierre Bergé ou s’offrir les fleurons des reliques laissées par le défunt Michael Jackson. Le clan familial détient aussi, avenue Fauche -pardon, avenue Foch-, un galetas de 5000 mètres carrés et ses 101 pièces ; dont un salon or et vermeil d’un kitsch infernal, œuvre, pour la modique somme de 12 millions d’euros, du décorateur Alberto Pinto. C’est d’ailleurs au pied du n° 42 de la prestigieuse artère que Magali Serre cueille les aveux embarrassés du gérant suisse de ce palais. « Mais ne dites pas que je vous ai parlé, sinon je perds ma place. » Plus fracassantes encore, les confidences de Pierre-André Wenger, ancien conseiller personnel du fiston et Helvète lui aussi, qui consent à détailler les frasques de son ex-employeur.

Cette enquête a entre autres mérites celui de mettre en évidence la passivité suspecte de la France officielle. Car dès 2004, divers rapports de Tracfin -l’organisme chargé, au sein du ministère des Finances, de combattre le blanchiment- atterrissent sur le bureau du procureur de la République de l’époque Jean-Claude Marin, où ils s’enlisent aussitôt. En ce temps-là, Paris n’avait nulle envie de chagriner la famille régnante, maîtresse d’un petit eldorado pétrolier du Golfe de Guinée. Depuis, il est vrai, le vent des tropiques a tourné : Teodorin le flambeur traîne désormais dans ses malles de grand luxe un mandat d’arrêt international, délivré par deux juges pugnaces.

L’expédition BMA s’aventure ensuite au Gabon, où les Bongo ont accumulé de père en fils, et en fille, un coquet patrimoine. Si elle relate des faits connus des initiés, Magali Serre illustre le contraste indécent entre le train de vie des cadors du Bongoland et la misère ordinaire des hôpitaux sans flotte, des « goudrons » défoncés et des taudis de tôle des bas-quartiers de Libreville. En revanche, on regrettera qu’elle offre à l’avocat Robert Bourgi, gardien du musée vivant de la Françafrique saisi par un bien tardif repentir, le rôle de procureur en chef du système dont il fut l’un des piliers. D’autres personnages, moins ambigus, traversent son récit, tels Me William Bourdon, bien sûr, l’infatigable pourfendeur des potentats prébendiers, ou les Gabonais Marc Onna Essangui et Grégory Mintsa, vaillant pionniers de la société civile. Dans le camp d’en face, on croise aussi quelques ténors du barreau : Emmanuel Marsigny, bien en peine de nous convaincre que son client Teodorin doit sa fortune aux seules activités d’une « société forestière comme les autres », ou Eric Dupont Moretti, qu’on a connu mieux inspiré dans le choix des causes dont il se fait le chantre implacable et bourru. Il faut dire que ce talentueux pénaliste ch’ti, épris de chasse au faucon, s’y connaît en rapaces. Vautours compris.

Pièces à conviction. « Bien mal acquis profite toujours, Enquête sur un pillage d’Etats ». France 3, 23H10.

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