Interview Gueu Touna – Ivoirien, conseiller communal en Belgique

Interview de Bernard Gueu Touna

Bernard Gueu Touna est d’origine de Côte d’Ivoire. Son diplôme de fin d’études secondaires, le baccalauréat en poche et muni d’un visa d’étudiant, il pose sa valise à Bruxelles dans les années 80. Il entreprend d’abord les études supérieures qui sont sanctionnées, en 1987, par un diplôme d’aptitude pédagogique. De 1988 à 1993, il fait une licence en psychopédagogie à l’Université de Mons-Hainaut et parachève son cursus universitaire par une agrégation de l’Enseignement Secondaire à l’Université Libre de Bruxelles (ULB), en 1998. A l’époque, son ambition était de retourner au pays, une fois les études terminées. C’est en prévision de ce projet qu’il a consacré son mémoire de fin d’études à « l’analyse de la politique éducative et de la pertinence d’une épreuve de fin de cycle dans un pays en voie de développement, le cas de la Côte d’Ivoire », recherche centrée sur l’analyse de l’adéquation entre les intentions éducatives et les réalités. Seulement voilà, en 1994, il est engagé à l’Athénée Royal Victor Horta à Bruxelles. Depuis 2005, après sa titularisation, il est détaché auprès de la Direction Générale de l’Enseignement Obligatoire, DGEO, Service de Médiation Scolaire. En matière de vie associative, il a dirigé de 1989 à 1996, la Communauté Ivoirienne de Belgique, CIB, une association d’Entraide de solidarité.

Membre du Parti Socialiste.
En 1988 déjà, il fréquente le Mouvement des Jeunes Socialistes (MJS). Il participe aux congrès, colloques et universités d’Eté au parti socialiste (P.S). En 1991, il adhère à la Section du P.S de sa commune, Saint-Gilles. Cette conviction et cet attachement aux valeurs de gauche l’emmènent, dans les années 90, à choisir la voie de la lutte pour la démocratie et le multipartisme en Afrique et en Côte d’Ivoire en particulier, contre le régime à parti unique d’alors. En Côte d’Ivoire, cette lutte pour le changement était incarnée par un certain Laurent Gbagbo et sa formation politique, dénommée le FPI. Voilà comment, de fil en aiguille, il est devenu en 2002, représentant du FPI au Benelux.

Afrique Europe Express : D’où vous est venue l’idée de vous présenter comme candidat aux élections communales ? Cooptation ou décision personnelle et autonome ?
Bernard G. Touna : Un acte de candidature est toujours une décision personnelle.

Je suis militant actif du P.S depuis 1991. J’ai posé ma candidature aux élections communales d’octobre 2006 à l’issue desquelles j’exerce le mandat de Conseiller CPAS (Centre Publique d’Action Sociale) dans ma Commune. En Belgique, les élections communales ont lieu tous les six ans.

A nouveau candidat et élu lors des élections communales du 14 octobre 2012, je suis effectivement conseiller communal (conseiller municipal). Autant mon entrée au CPAS en mars 2007 était une première, autant mon entrée au Conseil Communal à l’issue de ces élections est une première pour un Africain d’origine subsaharienne dans cette Commune. J’en suis bien entendu assez fier. Fier surtout de faire ce pas qui ouvre toute grande la porte de notre Commune aux Sub-sahariens.

AEE : Quelles furent les idées et les lignes de force pendant la campagne électorale ?

BGT : « Confiance pour l’avenir de Saint-Gilles », tel est mon slogan. Ceci étant, le programme et les projets dont je suis porteur sont en adéquation avec la mission que remplit l’équipe de notre bourgmestre (maire). Une mission que cette équipe dynamique remplit avec beaucoup de savoir-faire, de rigueur et de réactivité depuis des années. Les lignes de force de mon programme s’articulent autour de :

– la relation de confiance, la protection des personnes âgées, les séniors, les personnes à mobilité réduite et la proximité du voisinage ;
– l’emploi-jeunes car il faut aider l’enfance qui émerge et permettre aux jeunes de mener une vie conforme à la dignité humaine dans ce monde de plus en plus hostile et parfois ingrat ;
– un soutien accru aux commerçants qui contribuent au bien-être de nos quartiers ;
– la consolidation et l’amélioration des nombreuses réalisations qui fondent le bilan largement positif de la gestion de notre bourgmestre, notamment en matière d’éclairage public, d’espaces verts, de sécurité, de propriété des rues, de rénovations de nos quartiers, d’insertion socio- professionnelle, d’équipements des écoles, de lutte contre le décrochage scolaire, de création de crèches en vue de relever le défi démographique, etc.…

– dans ce programme, j’imprime ma touche personnelle qui est de promouvoir l’intégration de la population issue de l’Afrique Subsaharienne, la prise en charge effective des problèmes que rencontre cette frange de la population, son insertion dans le tissu social et professionnel, la promotion du vivre ensemble et la participation citoyenne…

C’est sur la base de ces idées qui rencontrent visiblement l’aspiration des Saint-Gillois que je suis élu. J’entends mettre ma modeste expérience au service de cette commune à laquelle je reste dévoué corps et âme. Voici les questions qui seront au centre de mes préoccupations.

AEE : Quels sont les obstacles que rencontre, en particulier, un candidat d’origine africaine pendant la campagne ? Y-a-t-il des difficultés particulières que doit surmonter un candidat d’origine africaine ?

BGT : Tous les candidats sont d’une manière ou d’une autre confrontés aux mêmes types de difficultés sur le terrain. L’électorat est de plus en plus exigeant vis-à-vis du politique. Pour le convaincre, il faut avoir un programme d’action et des arguments solides et pertinents. Il faut aller vers l’électorat et mobiliser. Le citoyen n’est pas dupe. Il sait distinguer un discours franc et concret de la langue de bois. Il doit voir et apprécier le combat quotidien du candidat sur le terrain. Certes, au niveau du candidat d’origine africaine, cette exigence est peut- être plus prononcée à cause des attentes et des dures réalités que vit son électorat prioritaire, c’est-à-dire la population immigrée notamment les problématiques de régularisation, de discrimination à l’emploi, de chômage, d’exclusion sociale… On peut affirmer, dans ce sens, qu’un candidat d’origine africaine doit se dépasser et faire preuve d’engagement et de détermination. Mais dans l’ensemble, c’est un combat riche et passionnant.

AEE : Le fait que, professionnellement, vous soyez en contact permanent avec les gens, surtout avec les jeunes, vous a-t-il aidé durant votre campagne électorale ?

BGT : Oh oui ! La jeunesse du quartier, toute tendance ethnique et confessionnelle confondue a manifesté un réel engouement face à ma candidature. Des anciens élèves devenus majeurs, responsables, chefs de famille et leurs parents m’ont voté et même massivement dans le quartier.

AEE : C‘est la première fois qu’un belge d’origine sub-saharienne devient conseiller communal à Saint-Gilles. Comment le ressentez-vous ?

BGT : Je suis le premier africain sub-saharien à exercer la fonction de conseiller CPAS depuis mars 2007 et à devenir à l’issue de ces élections, conseiller communal dans l’histoire de cette commune. C’est un sentiment de joie qui m’anime. C’est un pas minime certes, mais qui ouvre le grand portail de notre maison communale aux Africains. Répétons-le.

AEE : Pensez-vous que votre électorat a dépassé le cadre de la communauté africaine ?

BGT : Quand on parlait des jeunes et leurs parents tout à l’heure comme point d’ancrage de mon électorat, on parlait aussi bien de la communauté africaine que de tous les Saint-Gillois. Quand j’arpente les rues de la Commune, à pied ou à vélo, je ne rencontre pas que la population africaine, je m’enrichis au contact de tous les habitants avec qui je discute sur les sujets d’intérêts communs. J’entretiens cette relation de proximité avec la population tout entière. Donc, mon électorat se compose de tous les saint-gillois, incontestablement.

AEE : Très peu de Belges issus d’Afrique subsaharienne, sont engagés en politique, par rapport à ceux issus du Maghreb, comment expliquez-vous ce phénomène ?

BGT : C’est plus une question de proportion de la population, de nombre que d’intérêt pour la politique.

La population magrébine est plus visible et plus active parce qu’elle est plus nombreuse et plus intégrée dans la société. Cela est lié à son histoire personnelle en Belgique. La population magrébine et méditerranéenne est arrivée massivement en Belgique dans les années 50/60 suite à un appel de l’Etat aux travailleurs immigrés. On parle aujourd’hui de la troisième génération de cette population fortement intégrée dans toutes les couches sociales, culturelles, professionnelles, politique du pays. Ce n’est pas la même chose pour l’immigration d’Afrique sub-saharienne. Celle-ci est relativement récente. La première vague cette immigration était essentiellement des étudiants munis comme tels de titre de séjour à durée déterminée.
Voilà un premier phénomène qui a joué en défaveur de l’intégration de la population sub-saharienne. Depuis les années 90, l’immigration de l’Afrique sub-saharienne est composée de gens qui fuient les guerres et les misères (réfugiés politiques, économiques, climatiques). Une population souvent soumise à des conditions de régularisations draconiennes. Voilà un deuxième frein à l’intégration africaine sub-saharienne en Belgique. Dans ces conditions, en effet, le processus de participation citoyenne et politique passe au second plan.
Le peu d’engagement des sub-sahariens dont vous parlez est donc un phénomène social qui a une cause. Bien au contraire cette population commence à comprendre les enjeux et à s’y engager. A preuve, ces dernières élections communales ont connu une participative massive des Africains noirs. Chaque parti politique bruxellois a présenté au moins un candidat sub-saharien. En matière de participation citoyenne que j’appelle de tous mes vœux, le processus est lancé de façon irréversible me semble-t-il.

AEE : Quelle a été la réaction de la communauté ivoirienne suite à votre élection comme conseiller communal ?

BGT : Une réaction assez positive. Les uns me félicitent, les autres expriment leur fierté d’être ivoirien. Les coups de fils d’encouragement et de renforcement positif n’arrêtent pas et cela fait chaud au cœur.

AEE : Quelles sont vos ambitions pour la suite ? La prochaine étape sera de vous attaquer aux régionales ?

BGT : Je suis militant et respectueux des lignes de mon parti. Ma préoccupation première, à ce stade, concerne le travail du terrain communal pour lequel je suis élu.

AEE : Quel est exactement le travail d’un conseiller communal ? Beaucoup de gens ne connaissent pas quelles sont ses attributions exactes ?

BGT : A cette question pertinente et capitale, ma réponse ne sera pas exhaustive. Je me contenterai d’une ébauche de réponse. Il faut d’abord savoir qu’un conseiller communal n’est pas membre du collège qui est le « gouvernement » de la Commune composé du Bourgmestre et échevins. Le conseiller lui siège au conseil communal qui est le « parlement » de la Commune. Il a pour mission de veiller à ce que la Commune offre aux citoyens des services qui satisfont leurs besoins et ce, de la manière la plus efficiente possible. Il a pour rôle de :

* donner à l’exécutif les moyens de travailler (vote du budget par exemple) ;
* contrôler les méthodes de travail de l’exécutif et les moyens qu’il utilise ;
* inciter l’exécutif à mettre en œuvre les actions et les méthodes alternatives etc.…

Il s’agit en gros de défendre l’intérêt général de la population, d’assurer les tâches politiques d’animation et de porter la voix des électeurs qui ont approuvé un projet politique (majorité)…

AEE : Quelles seront vos priorités au cours de votre mandat ?

BGT : J’entends contribuer à l’instar des autres conseillers et membres de notre majorité à la mise en application du programme très efficient et réaliste sur la base duquel la population saint-gilloise nous a accordé sa confiance pour la législature qui commence. Comme je le soulignais plus, j’ai à cœur d’inciter la participation citoyenne de la population d’origine sub-saharienne et cela dans le but de faciliter son insertion socioprofessionnelle et la prise en charge effective des problématiques auxquelles cette population précarisée se trouve confronter…

Propos recueillis par Oscar Gasarabwe ( 1)

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(1) Rédacteur en chef du Magazine « Afrique Europe Express », bimestriel édité à Bruxelles

 

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