19 février, des manœuvres suspectes – Qui peut sauver Gbagbo ?

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Dossier enquête
CPI : Procès de Laurent Gbagbo, ce qu’il faut craindre ce 19 février

Les acteurs qui seront décisifs

Fait à Paris le 02 février 2013 Par Arsène TOUHO

« Une accusation équitable est une accusation qui est proportionnelle à la réalité des faits, mais c’est aussi une accusation qui n’est pas instrumentalisée par des influences extérieures ». A l’approche de l’audience de confirmation des charges retenues contre le Président Laurent Gbagbo, comment aurais-je pu ne pas me souvenir de cette phrase, surtout lorsqu’elle est dite par un des habitués des couloirs de la CPI en la personne de Maitre Jean Marie Duval, Avocat de la défense dans l’affaire Procureur de la CPI contre Thomas Lubanga ? Le procès du 19 février prochain me donne l’occasion de témoigner de ce colloque auquel j’ai été convié le 13 décembre 2012 dernier à Paris en célébration du dixième anniversaire de la juridiction pénale internationale. La vérité sur laquelle les acteurs de ce colloque se sont explicitement ou implicitement accordés ce jour là, c’est que « l’enthousiasme de la justice pénale internationale s‘est très tôt heurtée aux exigences d’un procès juste et équitable ». C’est donc devant une CPI vieille de 10 ans de doutes et de tâtonnements que Laurent Gbagbo va se présenter ce 19 février 2013. Cette date fait immanquablement penser au 18 février 1992, date à laquelle la force brutale et le mensonge s’étaient associés pour jeter Laurent Gbagbo en prison. L’histoire se répète avec Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo ; sauf que La Haye a remplacé la MACA. Craindre le pire de ce procès n’est pas seulement le fruit de la superstition ; mais c’est aussi le sentiment évident qui puisse naitre des choses curieuses qui se passent à la CPI depuis qu’elle existe. Ce qui va suivre n’a pas pour but de décourager la grande mobilisation qui est en marche. Mais informer l’opinion sans passion sur le fond des choses et sur ce qui se trame est une autre responsabilité à laquelle il ne faut pas faillir. Le 19 février prochain, La Haye risque d’être le théâtre de la plus grande désillusion du projet de la justice pénale internationale. Et ce, à cause d’une CPI dont le Procureur est lui-même suspect (I) et dont les juges sont moins suspects que le Procureur mais dignes de méfiance (II).

I- Un bureau du procureur foncièrement suspect :
A ce jour, l’organe le plus suspect et le plus contesté de la CPI aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur est bien le bureau du procureur.
Il y a d’abord ce flou qui enveloppe sa politique d’action dans la conduite des enquêtes. En effet, le caractère secret de la procédure sert visiblement de prétexte au Procureur et son équipe pour s’adonner couramment à des manipulations grossières pour appuyer leurs accusations. Par exemple en 2010 dans l’affaire Germain Katanga, les juges ont dû interrompre à deux reprises le procès pour des motifs qui mettaient en cause les manipulations de pièces à conviction et de témoignages par le bureau du procureur. Dans le cas de Laurent Gbagbo, on constate dans le « document amendé de notification des charges » que 4 nouvelles charges se sont ajoutées aux 4 premières. En fait, il s’agit des mêmes chefs d’accusation sauf qu’à la différence du mandat d’arrêt sur lequel Laurent Gbagbo était inculpé en tant que « coauteur indirect », le « document amendé de notification des charges » innove en disant qu’il serait « responsable ». La remarque est frappante et on sent bien que le temps a fait son effet sur les accusateurs. Vraisemblablement, Il leur est apparu que la seule accusation de « co-auteur indirect » risque d’être insuffisante pour établir la responsabilité pénale de Laurent Gbagbo. Ils s’en sont alors remis au terme générique de « responsable » avec une allusion mal voilée qui veut faire croire que Laurent Gbagbo est plus qu’un « coauteur indirect » même s’il n’est pas l’auteur. C’est une vaine tentative de diversion qui dévoile le manque de sérénité du procureur qui sera, de toutes les façons, obligé de dire à la Cour, quel type de responsable Laurent Gbagbo est définitivement à ses yeux : auteur, coauteur ou complice ?

Ensuite, il y a aussi la fameuse théorie des « poursuites séquencées » d’après laquelle, dans toutes les affaires où la CPI intervient, le Procureur décide de poursuivre dans un premier temps un camp et dans un deuxième temps l’autre camp. Or de façon pratique, entre les poursuites déjà engagées contre le 1er camp et les poursuites éventuelles contre le 2e, il s’écoule un temps assez long pour permettre au 2e camp d’esquiver les poursuites contre lui. C’est ce détail qui m’avait poussé à poser la question suivante lors du colloque à M. Hans Bevers, conseiller juridique du Procureur de la CPI : « un Etat peut-il refuser d’exécuter un mandat d’arrêt à l’encontre d’un inculpé dans une même affaire où cet Etat a déjà livré un autre inculpé » ? Il m’a répondu en disant ceci : « ça dépend des raisons que l’Etat avance. Et il n’y a pas de liens entre les inculpés. Il se peut que l’Etat n’ait pas les moyens de poursuivre un inculpé ; dans ce cas, il le livre à la CPI. Il se peut aussi que l’Etat ait les moyens de poursuivre l’autre inculpé ; dans ce cas, il peut refuser de le livrer ». Je lui demandai encore : « La CPI a-t-elle les moyens de vérifier que les raisons que l’Etat avance pour refuser d’exécuter un mandat d’arrêt sont-elles valables ou non » ? Visiblement embarrassé, il me dit : « la CPI n’a pas encore réfléchi à cette éventualité… ». En clair, la CPI admet elle-même dans son fonctionnement des mécanismes qui font obstacle à son action et qui garantissent donc la partialité, l’injustice et la complaisance de ses décisions. Un Etat a la latitude de livrer certains individus à la CPI sous prétexte qu’il n’a pas les moyens de les juger et de refuser de livrer d’autres individus sous prétexte qu’il a les moyens de les juger. Il y a donc inévitablement un risque de complicité entre la CPI et les régimes politiques en place dans les Etats. C’est ce qui se passa en RDC et en Ouganda où le bureau du procureur a fait des autorités congolaises ses partenaires privilégiés à telle enseigne qu’il ne poursuivait que les personnes que lui désignaient ces autorités. C’est d’ailleurs ce qui est en train de se passer en Côte d’Ivoire où le pouvoir Ouattara après avoir livré Laurent Gbagbo à la CPI, refuse d’exécuter le 2e mandat délivré contre le même camp Gbagbo à l’encontre de son épouse Simone. A première vue, ce refus pourrait être interprété comme une bonne volonté de M. Ouattara d’épargner à ses adversaires la rigueur de la justice pénale internationale. Mais il n’en est rien. En vérité, ce à quoi le Président Ouattara veut échapper c’est bel et bien la théorie des « poursuites séquencées » dont j’ai parlé plus haut et qui garantit que le tour de ses hommes arrivera immanquablement. Alors, on anticipe les mandats d’arrêts contre Guillaume Soro, Cherif Ousmane, Koné Zacharia et autres en démontrant à la CPI que la justice ivoirienne est bien en place et qu’elle peut juger tous les ivoiriens présumés auteurs de crimes qui tombent sous la compétence de cette juridiction. Ainsi, on met l’appareil judicaire ivoirien en branle contre Simone Gbagbo et Blé Goudé pour envoyer à la CPI des signaux que cet appareil se porte bien et fonctionne normalement puis de les gracier éventuellement un jour. Entre temps, la CPI ne pourra plus les poursuivre vu qu’ils ont été déjà jugés par la justice ivoirienne. C’est pour cela que l’éventualité évoquée d’un deal entre Blé Goudé et le pouvoir Ouattara n’est pas à négliger même si rien ne le prouve encore à ce stade des choses. Car comment comprendre que Blé Goudé qui n’a jamais pris les armes et qui n’a jamais combattu à aucun front en Côte d’Ivoire puisse être accusé de « crimes de guerre » (infraction tombant sous la compétence de la CPI) par la justice ivoirienne ? En tout état de cause, ce deal, au cas où il aurait eu lieu, n’aura pas été un deal idiot car l’enjeu est colossal pour chacune des deux parties : échapper au « cimetière politique » que constitue les geôles de la prison de La Haye.

Si la réputation du bureau du Procureur est ternie, ce n’est pas le cas des juges qui conservent un bon capital de confiance même si certains détails les concernant interpellent.

II- Des juges moins suspects mais dignes de méfiance :

Le fait le plus marquant et qui n’est pas visible à l’œil nu c’est que parmi les 18 juges de la CPI, il y a une proportion de juges qui sont magistrats de formation et une autre proportion de juges qui ne le sont pas. Ils sont soit des fonctionnaires, soit des diplomates. Comment des fonctionnaires et des diplomates peuvent-ils se retrouver juges à la CPI sans avoir eu au préalable une carrière de Magistrat ? A l’analyse, on se rend compte que tous les juges non Magistrats de la CPI sont des personnes qui ont activement œuvré à la création de la juridiction et à la mise en place du Statut de Rome. Est-ce donc par récompense qu’ils sont là ? Impossible de répondre sereinement « oui » mais la question mérite d’être posée.

Curieusement, les trois juges de la Chambre Préliminaire 1 qui se prononceront sur la confirmation des charges contre Laurent Gbagbo sont tous de cette catégorie. Commençons par la présidente même de cette Chambre. Mme Silvia Fernandez De Gurmendi : Enseignante de droit international à l’Université de Bunos Aires et à l’Université de Palerme, elle a aussi travaillé au Ministère des affaires étrangères de son pays l’Argentine qu’elle représenta lors des travaux de rédaction des textes complétant le Statut de Rome en qualité de Présidente du Groupe de travail sur le Règlement de procédure et de preuve ; elle est devenue juge à la CPI le 18 novembre 2009 pour un mandat de 8 ans.

Il y a ensuite M. Hans Peter Kaul : il a été Ambassadeur au Bureau fédéral Allemand des affaires étrangères chargé de la Cour Pénale Internationale ; c’est en cette qualité qu’il a conduit la délégation allemande au cours du processus de négociation du Statut de Rome ; il est devenu juge à la CPI le 11 mars 2003 pour un mandat de 9 ans.

Il y a enfin la Belge Van Den Wyngaert : enseignante de droit pénal et procédure pénale à l’Université d’Anvers entre 1985 et 2005, elle a travaillé pour de nombreuses organisations internationales et a été experte auprès de la Commission européenne dans le cadre de différents projets sur le droit pénal. Elle est devenue juge de la CPI le 11 mars 2009 pour un mandat de 9 ans.

Comme on le voit, le 18 février prochain, Laurent Gbagbo sera jugé par deux fonctionnaires et un diplomate. Le doute est permis mais cela ne met point en doute (a priori) leur compétence et leur intégrité. Car par exemple Mme Van Den Wyngaert a été juge au Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie pendant 5 ans et M. Hans a été celui là qui a ouvertement dénoncé les manœuvres suspectes du Procureur Louis Moreno Ocampo en déclarant que ce dernier a « dirigé son bureau comme un grand propriétaire terrien argentin ».

CONCLUSION :
Si le 18 février 1992 n’a pas empêché le triomphe de la démocratie sur la dictature en Côte d’Ivoire, c’est que le 19 février 2013 n’empêchera pas la défaite des réseaux impérialistes. Ils seront actifs pour faire passer leur mot d’ordre d’anéantir le sursaut de l’Afrique digne. C’est pour ça que nous devons nous aussi rester actifs. Il faut que par notre action et notre mobilisation, se bousculent dans l’esprit des 3 juges de la Chambre préliminaire 1, le mot d’ordre impérialiste et la conscience humaine et professionnelle de trancher en faveur de la vérité et de la justice. Et DIEU fera le reste !!!

Fait à Paris le 02 février 2013
Par Arsène TOUHO
Jursite, Ecrivain, Diplômé des Sciences politiques
arsene_touho@yahoo.fr

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