Au Venezuela, le chavisme orphelin d’Hugo Chávez parti à jamais

Hugo-Chavez

Venezuela: Hugo Chavez est mort, annonce le vice-président Maduro

Par LEXPRESS.fr

Hugo Chavez, atteint d’un cancer diagnostiqué en juin 2011, est décédé ce mardi soir à l’âge de 58 ans, a annoncé le vice-président Nicolas Maduro à la télévision publique. Son état de santé s’était progressivement dégradé, au point de conduire les autorités à convoquer ce mardi une réunion des plus hauts responsables politiques et militaires du pays.

« Nous avons reçu l’information la plus dure et la plus tragique que nous pouvions annoncer à notre peuple », a déclaré le vice-président. « A 16h25 [heure locale], aujourd’hui 5 mars, est mort notre commandant président Hugo Chavez Frias », a poursuivi Nicolas Maduro.

L’armée et la police sont en train de se déployer pour accompagner et protéger notre peuple et garantir la paix

Le gouvernement vénézuélien a déployé mardi l’armée et les forces de police dans le pays pour « garantir la paix » après l’annonce du décès du président Hugo Chavez.

« Toute la Force armée nationale bolivarienne (et) la police nationale bolivarienne […] sont en train de se déployer en ce moment pour accompagner et protéger notre peuple et garantir la paix », a ajouté Nicolas Maduro dans sa déclaration, retransmise par l’ensemble des médias du pays.
Le pays vivait au rythme des rumeurs sur sa santé

Dès lundi, l’incertitude planait sur le sort du président, hospitalisé dans un établissement militaire de la capitale. Depuis des semaines, le pays vivait au rythme des rumeurs et démentis autour de sa santé, le gouvernement affirmant qu’il continuait de diriger le pays, l’opposition réclamant des informations claires.

Vainqueur de toutes les élections auxquelles il a participé depuis son arrivée au pouvoir en 1999, Hugo Chavez est mort alors qu’il avait été réélu pour un nouveau mandat de six ans, le 7 octobre 2012.

Plus tôt dans la journée, le gouvernement vénézuélien avait lancé une offensive contre les Etats-Unis, expulsant deux membres de l’ambassade soupçonnés de conspiration et accusant « les ennemis historiques » du président Chavez d’avoir provoqué son cancer, dont l’aggravation faisait vivre au Venezuela « ses heures les plus difficiles ».

*Nicolas Maduro a en outre appelé ce mardi les partisans du président, depuis décédé, à l’unité face à ceux qui « cherchent à provoquer le chaos pour entraîner une intervention étrangère » au Venezuela.

Il devrait être le candidat du parti socialiste au pouvoir pour l’élection présidentielle anticipée dont l’organisation doit intervenir dans les 30 jours, selon la Constitution. Il sera probablement opposé au gouverneur Henrique Capriles, 40 ans, candidat malheureux contre Hugo Chavez en octobre.

Agé de 50 ans, le vice-président Nicolas Maduro avait été désigné comme héritier politique par le président à son départ pour Cuba, début décembre, afin d’y subir le 11 une quatrième opération de son cancer. Depuis cette date, le président Hugo Chavez n’avait plus jamais fait de déclaration ni d’apparition publiques. Il n’avait pas été en mesure de prêter serment le 10 janvier, après sa réélection.

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Au Venezuela, du chavisme sans Chávez

Des programmes sociaux qui améliorent le sort des plus pauvres ; un soutien populaire intact malgré treize années au pouvoir ; des candidats à la relève crédibles dans son propre camp… M. Hugo Chávez semble bien placé pour remporter le scrutin présidentiel du 7 octobre. S’il venait à disparaître — il est atteint d’un cancer —, le processus politique qu’il a impulsé s’arrêterait-il pour autant ?

par Steve Ellner, septembre 2012 Monde-diplomatique.fr

« Une faveur s’obtient toujours en échange d’une autre faveur », admet Mme Joanna Figueroa. Cette habitante du Viñedo, un quartier populaire de la ville côtière de Barcelona, dans l’est du Venezuela, a promis de militer pour la réélection de M. Hugo Chávez depuis que l’Etat lui a fourni un toit dans le cadre de la Mission logement, un ambitieux programme d’habitat social. Elle a construit elle-même sa maison, au sein d’une équipe de travailleurs comprenant un maçon, un plombier et un électricien appointés par le conseil communal. Son travail à elle consistait à mélanger le ciment. « L’amour que l’on reçoit se paie par l’amour que l’on donne en retour », professe-t-elle, reprenant la devise en vigueur parmi les partisans de M. Chávez. Le succès de cette ritournelle, que l’on entend un peu partout dans le pays, témoigne du lien émotionnel qui subsiste entre de nombreux Vénézuéliens et leur président.

Le scrutin du 7 octobre prochain cristallise des enjeux considérables. Bien que le candidat de l’opposition, M. Henrique Capriles Radonski, aime à se présenter comme un rénovateur sans préjugés idéologiques, il n’en appartient pas moins au parti conservateur Justice d’abord (PJ), qui défend les intérêts des investisseurs privés et considère avec méfiance toute intervention de l’Etat dans l’économie. L’opposition s’est pourtant assagie depuis son coup d’Etat raté de 2002 et sa décision, prise par dépit dans la foulée, de boycotter les élections nationales. Désormais, ses dirigeants participent au processus électoral et affichent leur soutien fervent à la Constitution de 1999, adoptée à une écrasante majorité des voix et qu’ils avaient rejetée à l’époque. Ils sont même parvenus à s’unir derrière un candidat commun, investi en février dernier à l’issue d’une primaire.

Le bon bilan de la Mission logement, qui a procuré un toit à des milliers de ménages modestes tout en les impliquant dans la mise en œuvre du programme à l’échelle des quartiers, n’est sans doute pas étranger à la popularité persistante de M. Chávez, qui continue de faire la course en tête dans les sondages. L’opposition a beau claironner que la victoire lui est acquise, un certain découragement se fait jour. Figure influente de la droite et adversaire acharné de M. Chávez, le patron de presse Rafael Poleo a récemment désavoué la candidature de M. Capriles, jugée « incapable d’aller où que ce soit ». La déclaration faisait suite à la publication en mai d’une étude d’opinion accordant 43,6 % des voix au président sortant, contre seulement 27,7 % à son adversaire. Le bilan de M. Chávez recueillait par ailleurs 62 % d’avis favorables. Une pilule d’autant plus amère que l’auteur du sondage, l’institut Datanalisis, appartient à un fidèle de l’opposition, M. Luis Vicente León.

La popularité dont paraît jouir M. Chávez a de quoi surprendre, compte tenu de ses treize années de pouvoir et de la lassitude qu’une telle longévité installe nécessairement dans l’opinion. Sa candidature pourrait en outre pâtir des incertitudes liées à son cancer, rendu public le 30 juin 2011 (sans que soient dévoilées ni la localisation ni la gravité de la maladie). L’opposition n’a d’ailleurs pas manqué de dénoncer l’imprévoyance du président, qui s’est abstenu de désigner un remplaçant susceptible d’assurer la continuité du pouvoir en cas de vacance précipitée. A l’intérieur comme à l’extérieur du pays, les médias proches du monde des affaires exploitent volontiers les problèmes de santé du chef de l’Etat vénézuélien pour minorer ses chances de réélection. Comme l’indique une étude réalisée par le journaliste Keane Bhatt, le duel sous les tropiques entre la « fragilité de Chávez » et l’« énergie juvénile » de M. Capriles s’est imposé comme un classique dans la production de Reuters, d’Associated Press (AP) ou du Miami Herald (1).

L’irruption de la maladie ravive aussi l’épineuse question du leadership au sein du mouvement de M. Chávez, qui commence à reconnaître que la concentration du pouvoir entre ses mains ne présente pas que des avantages : alors que ses ministres vont et viennent, le président — dont le portrait orne la quasi-totalité des affiches bolivariennes — trône comme la seule incarnation d’un processus politique qui paraît ne plus dépendre que de lui.

Au cours d’une visite au Brésil, en avril 2010, un journaliste demanda à M. Chávez s’il envisageait de céder un jour la place à un autre dirigeant : « Je n’ai pas de successeur en vue », répliqua-t-il. Est-ce encore le cas aujourd’hui ? L’année dernière, il concédait à l’un de ses anciens conseillers, l’universitaire espagnol Juan Carlos Monedero, qui venait de le mettre en garde contre les dangers d’un « hyper-leadership » au Venezuela : « Je dois apprendre à mieux déléguer le pouvoir. » Durant les périodes où ses traitements l’éloignaient des affaires, plusieurs responsables politiques ont comblé le vide et émergé comme de possibles successeurs. Notamment le ministre des affaires étrangères actuel, M. Nicolás Maduro, un ancien dirigeant syndical qui a présidé la commission à l’origine de la nouvelle législation sur le travail et qui dispose d’appuis solides au sein des organisations de travailleurs. Ou encore le vice-président exécutif, M. Elias Jaua, très populaire auprès de la base militante du mouvement chaviste. Sans oublier le président de l’Assemblée nationale, le pragmatique Diosdado Cabello, un ancien lieutenant qui compte de puissants soutiens dans l’armée. Privés de l’omniprésente tutelle de M. Chávez, « certains d’entre nous ont pensé qu’il serait difficile de poursuivre le processus, expliquait l’ex-conseiller Monedero en mai dernier. A présent, nous n’avons plus cette crainte, puisque je vois des douzaines de personnes qui pourraient continuer le travail sans le moindre problème ».

Dans l’hypothèse d’un troisième mandat, l’avenir politique de M. Chávez dépendra sans doute de l’aptitude de son camp à approfondir les changements amorcés, à élaborer de nouveaux programmes sociaux susceptibles de revigorer la base populaire et à lutter contre l’insécurité (2). Le chemin déjà parcouru n’interdit pas de l’envisager. Elu pour la première fois en décembre 1998, grâce à un programme modéré conçu pour effacer l’image belliqueuse qui lui collait à la peau depuis ses tentatives de putsch de 1992, l’ancien trublion de l’Académie militaire de Caracas s’était empressé de faire voter une nouvelle Constitution, de lancer une vaste réforme agraire et de remettre à neuf la législation sociale et économique. En 2005, il proclame sa conversion au socialisme et nationalise les secteurs stratégiques de l’économie, comme les télécommunications, les banques, l’électricité et l’acier. A partir de 2009, la « révolution bolivarienne » étend son contrôle à des entreprises plus petites mais cruciales pour la vie quotidienne de la population. Accompagnée d’une escalade verbale contre la « bourgeoisie », l’« oligarchie » et l’« impérialisme américain », cette politique d’expropriation poursuit pourtant un objectif moins polémique : assurer la souveraineté alimentaire du pays.

A travers un réseau de compagnies publiques, des biens de première nécessité tels que le riz, le café, l’huile ou le lait sont désormais produits sur place et disponibles à des prix abordables. En juin dernier, le Venezuela a même inauguré sa première ligne de fabrication de mayonnaise à base d’huile de tournesol. La mise en place de nouveaux services publics reconnus comme performants — nourriture, banques, télécommunications — suggère qu’un Etat n’est pas forcément incompétent pour gérer des entreprises. La démonstration s’avère moins probante dans le cas des industries lourdes telles que l’acier, l’aluminium ou le ciment, toujours en proie à des conflits sociaux et aux défaillances du réseau commercial. En assurant lui-même la vente des matériaux de construction aux quartiers qui en ont besoin, sans passer par des intermédiaires soucieux de leurs marges, le gouvernement espère résoudre au moins une partie du problème.

Selon la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (Cepalc) de l’Organisation des Nations unies (ONU), le taux de pauvreté au Venezuela a baissé de 21 % entre 1999 et 2010. Mais cette amorce de redistribution au profit des plus modestes ne fait pas le bonheur des classes moyennes, qui restent majoritairement hostiles au président sortant. Si les sondages accordent à ce dernier une avance de vingt points sur son rival, les proportions s’inversent dès que l’on approche des beaux quartiers. Chez les plus riches, le chantre du bolivarisme suscite souvent une hostilité viscérale, liée à la hantise — savamment entretenue par l’opposition et les médias patronaux — que le gouvernement finisse un jour par interdire la propriété privée. A quoi s’ajoute dans certains cas un ressentiment envers les pauvres, qui paraissent drainer vers eux toutes les largesses de l’Etat. Le gouvernement n’a pourtant pas lésiné sur les gestes en faveur des classes moyennes et supérieures, comme l’instauration d’un taux de change préférentiel pour les voyages à l’étranger.

Alors que M. Chávez paraît vouloir se démarquer de certaines outrances du passé, M. Capriles joue résolument la carte de l’homme du renouveau. Jamais il ne manque une occasion de rappeler qu’il n’a que 40 ans et qu’il n’est donc pas responsable des politiques calamiteuses infligées aux Vénézuéliens avant 1998 — même si les partis aux commandes à l’époque lui apportent aujourd’hui leur soutien. Dans ses discours, il associe fréquemment la « vieille manière de faire de la politique » aux épisodes d’intolérance et de polarisation qui ont marqué le pays, avant comme après l’arrivée au pouvoir de M. Chávez. Se posant en rempart contre le sectarisme, il promet de ne pas supprimer les programmes sociaux du gouvernement actuel, mais au contraire de les améliorer. Il propose par exemple de faire voter une nouvelle loi, baptisée « Missions égales pour tous », qui garantirait aux citoyens de tous bords et de toutes étiquettes politiques les mêmes conditions d’accès aux programmes sociaux. Interrogé par une chaîne de télévision privée le 1er février 2011, il expliquait : « Ce qui est positif dans le bilan de Chávez, c’est qu’il a remis à l’ordre du jour la question de la lutte contre la pauvreté. Mais il faut désormais aller plus loin, et dépasser les simples discours pour en finir avec ce fléau. »

A n’en pas douter — les chiffres de la Cepalc le suggèrent d’ailleurs —, l’action sociale du gouvernement vénézuélien ne se limite pas à de « simples discours ». Mais les propos de M. Capriles (qui corroborent ceux de M. Teodoro Petkoff, un ancien guérillero désormais porte-parole de l’establishment local) représentent une forme de victoire idéologique pour M. Chávez. Ils révèlent en outre que, aux yeux du candidat de l’opposition, l’ancien lieutenant-colonel ne serait peut-être pas le dictateur fou que les médias privés dénoncent depuis des années.

Si l’opposition ne conteste plus guère l’efficacité de la politique sociale bolivarienne, MM. Chávez et Capriles campent en revanche sur des positions diamétralement opposées en matière de politique économique. C’est sur la question des expropriations que les deux camps s’empoignent avec le plus de virulence. Pour les partisans de M. Chávez, celles-ci constituent un outil pour bâtir une économie mixte dévolue à l’intérêt général, notamment dans la construction, la banque et l’alimentation : en battant en brèche la mainmise des monopoles privés sur ces secteurs vitaux, l’Etat a mis fin aux pénuries artificielles que subissaient autrefois les consommateurs. « Comment se fait-il que l’on n’observe cette fois aucune des pénuries qui ont frappé le pays lors de chaque période électorale antérieure ?, s’interrogeait récemment le député Iran Aguilera, proche de M. Chávez. Parce que les compagnies d’Etat comblent le vide créé par le secteur privé à des fins politiques. »

L’opposition, de son côté, entend rétablir promptement le secteur privé dans ses droits inaliénables. « Je n’ai pas l’intention de me quereller avec les hommes d’affaires ni avec qui que ce soit d’autre à ce sujet », admet M. Capriles avec franchise. Le favori des chefs d’entreprise fait valoir que les sociétés contrôlées par l’Etat ont vu leur production chuter, sans toutefois fournir de statistiques à l’appui de cette thèse. Il préfère mettre l’accent sur le retour en fanfare des investisseurs étrangers, en espérant que leur corne d’abondance lui permettra de tenir sa promesse cardinale : la création de trois millions d’emplois en six ans. L’orthodoxie libérale qui imprègne son programme n’épargne pas la sécurité sociale, dont l’Etat perdrait le contrôle au profit d’un système mixte faisant la part belle à l’« épargne individuelle volontaire ». La Table de l’unité démocratique (MUD), coalition hétéroclite formée par les partis qui soutiennent M. Capriles, réclame pour sa part une « flexibilisation » de la loi régissant le contrôle de l’Etat sur l’industrie pétrolière, « afin de promouvoir la compétition et la participation du privé (3) ».

Tout à son désir de ratisser large, le candidat anti-Chávez n’est pas assuré pour autant de séduire au-delà des classes moyennes qui composent la base de son propre parti, le PJ. D’abord, parce qu’il est issu d’une famille de chefs d’entreprise qui ont fait fortune dans les secteurs les plus variés, de l’immobilier à l’industrie en passant par les médias : un profil peu répandu au sein de la classe politique vénézuélienne. Ensuite, M. Capriles est l’ancien maire de Baruta, un ghetto huppé de l’agglomération de Caracas. Pas sûr que l’image modeste et juvénile qu’il cherche à se donner suffise à contrebalancer un tel curriculum auprès des électeurs moins bien lotis, fussent-ils lassés de M. Chávez.

Le dirigeant de l’opposition n’est pas toujours aidé par ses propres troupes. Récemment, le MUD a attaqué la Mission logement, qualifiant de « fraude » et d’« échec » l’expropriation des terrains destinés à l’implantation d’habitats sociaux. Une offensive risquée, s’agissant du programme gouvernemental le plus populaire des années Chávez. Selon le ministre de la communication et de l’information, M. Andrés Izarra, les premiers objectifs sont atteints, avec la construction de deux cent mille logements depuis le lancement du plan, en 2011. Jamais oublieux de son passé militaire, M. Chávez l’a présenté comme une guerre devant mobiliser l’ensemble du gouvernement et du mouvement bolivarien. Dans certains quartiers, des étudiants reçoivent une bourse pour former des « brigades » chargées de construire les maisons. Mais le rôle principal incombe aux quelque trente mille conseils communaux créés depuis 2006. Ce sont eux qui recrutent les travailleurs, qualifiés ou non, et qui sélectionnent les bénéficiaires du programme. Le contrat de « remplacement des taudis par des logements dignes » indique à quel emplacement et selon quelles normes la nouvelle maison doit s’édifier. Chaque travailleur reçoit son salaire à l’issue du chantier, sous la forme d’un chèque émis par une banque nationalisée, les paiements en espèces ayant conduit à des malversations par le passé. Des mesures sont prises par ailleurs pour éviter la revente spéculative des logements. « Nous sommes dans un processus d’apprentissage, où les erreurs commises préalablement par manque de contrôle se corrigent au fur et à mesure », nous explique M. Leandro Rodríguez, du Comité de participation citoyenne du Congrès national.

M. Chávez a opportunément choisi la date du 1er mai, en plein cœur de la campagne électorale, pour promulguer le nouveau code du travail, dernière grande initiative de son mandat. Les progrès qu’il apporte n’ont rien de cosmétique : réduction du temps de travail à quarante heures par semaine (contre quarante-quatre auparavant), interdiction de la sous-traitance au profit d’emplois stables, extension du congé maternité à vingt-six semaines (contre dix-huit auparavant). Le texte rétablit aussi l’ancien système d’indemnités de licenciement, supprimé en 1997 par le gouvernement libéral de l’époque. Dorénavant, le travailleur congédié recevra une prime correspondant au montant de son salaire mensuel multiplié par le nombre d’années passées dans l’entreprise — une revendication de longue date des syndicats vénézuéliens. M. Capriles s’est insurgé contre cette nouvelle législation, au motif qu’elle ne réglait pas le problème du chômage ni le sort des travailleurs clandestins privés de protection sociale. Puis il a précisé la nature de son grief : « M. Chávez a sorti cette loi de son chapeau pour l’aider à gagner le 7 octobre. »

L’issue du scrutin aura un impact majeur sur tout le continent sud-américain. M. Capriles a déjà promis de restaurer des relations amicales avec les Etats-Unis, tandis que d’autres membres de son camp annonçaient une révision complète des programmes d’aide et de coopération établis entre le Venezuela et certains de ses voisins. L’opposition conteste un arrangement du même genre, prévu avec la Chine, qui fournirait des crédits bon marché en échange de pétrole. Enfin, au cours de la visite du président iranien Mahmoud Ahmadinejad à Caracas, en juin dernier, M. Capriles n’a pas manqué de dénoncer l’alliance insolite avec Téhéran, exigeant que le gouvernement « s’occupe plutôt des intérêts du Venezuela en créant des emplois pour les Vénézuéliens ».

Le credo panaméricain de M. Chávez s’est concrétisé par la création de plusieurs organismes supranationaux : l’Union des nations sud-américaines (Unasur) — présidée par son confident, M. Alí Rodríguez Araque —, la Communauté d’Etats latino-américains et caraïbes (Celac), fondée à Caracas en décembre dernier, et enfin l’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique – traité de commerce des peuples (ALBA-TCP), qui rassemble (entre autres) le Venezuela, Cuba, la Bolivie, l’Equateur et le Nicaragua (4). En juin dernier, à l’instigation de M. Chávez, le bloc latino-américain condamnait avec vigueur la destitution illégale du président paraguayen — de gauche — Fernando Lugo, pointant l’inertie de Washington et de l’organisme qu’il contrôle, l’Organisation des Etats américains (OAS). La riposte immédiate du président vénézuélien (rappel de son ambassadeur au Paraguay, suspension des livraisons de pétrole) lui a valu, là encore, les remontrances de M. Capriles.

Devant la perspective d’une alternance à Caracas, une impatience fébrile s’est emparée de Washington. Pour la Maison Blanche, et pour la classe politique américaine dans son immense majorité, M. Chávez demeure l’ennemi public numéro un dans cette partie du globe. Trois semaines avant de quitter la présidence de la Banque mondiale, en juin dernier, M. Robert Zoellick résumait l’espérance générale : « Les jours de Chávez sont comptés. » Et de prédire avec délectation que, privés de l’aide vénézuélienne, des pays comme Cuba et le Nicaragua connaîtraient bientôt « des temps difficiles ». Ce scénario de rêve, ajoute M. Zoellick, offrirait « une occasion de transformer l’hémisphère occidental en premier hémisphère démocratique », à l’opposé du « sanctuaire des coups d’Etat, des caudillos et de la cocaïne » qu’incarne selon lui le cauchemar bolivarien. Début 2012, l’essayiste Michael Penfold avertissait dans le magazine Foreign Affairs : « Si M. Chávez gagne en octobre, une grande partie de l’opposition politique vénézuélienne sera laminée. Sous bien des aspects, ce sera un retour à la case départ (5). »

Même chez les spécialistes de l’Amérique latine, les comparaisons entre le président vénézuélien et ses homologues de même sensibilité tournent rarement à son avantage. Dans un ouvrage consacré à la poussée des mouvements de gauche sud-américains, les chercheurs Maxwell Cameron et Kenneth Sharpe dépeignent M. Chávez sous les traits d’un despote acharné à « démanteler les institutions politiques de l’Etat » et à « créer un parti officiel à sa botte », tandis que le président bolivien Evo Morales symboliserait un « mouvement politique dans lequel la fonction du dirigeant ne consiste pas à monopoliser le pouvoir » (6).

Seuls quelques intellectuels considèrent que M. Chávez a fait mieux que ses homologues de Bolivie, d’Equateur ou d’ailleurs. Jeffery Webber, un universitaire engagé, coauteur d’un autre ouvrage sur les gauches sud-américaines, qualifie M. Morales de « néolibéral reconstitué », mais applaudit M. Chávez pour avoir « revivifié la critique du néolibéralisme et remis à l’ordre du jour le débat sur le socialisme » (7). Ce n’est pas sans raison que les politiques et les observateurs de tous bords tendent à réserver un traitement particulier au régime vénézuélien. Expropriations de grande ampleur, réformes pour inverser l’ordre libéral des choses, redistribution de la rente pétrolière, programmes de coopération au profit de pays voisins plus pauvres : peu de gouvernements peuvent se targuer d’avoir impulsé des réformes aussi audacieuses — ou aussi spoliatrices, selon le point de vue.
« Courroie de gauche » sur le continent

La victoire de M. Chávez en octobre pourrait accélérer la dynamique de transformation sociale à l’œuvre au Venezuela. Son programme « Pour une administration bolivarienne et socialiste 2013-2019 » préconise une intervention plus massive de l’Etat dans les secteurs du commerce et des transports, au moyen de « centres de distribution locale pour la vente directe de produits » qui élimineraient les intermédiaires et rendraient caduc le modèle de grande distribution qui domine partout ailleurs.

Autre objectif : l’extension des pouvoirs démocratiques exercés par les conseils communaux. Des centaines de « communes en construction » à travers le pays, regroupant chacune une douzaine de conseils communaux ou davantage, assureraient elles-mêmes les services d’utilité publique, tels que la distribution de gaz ou d’eau. Au total, les nouvelles communes représenteraient 68 % de la population. Elles disposeraient des mêmes prérogatives que l’Etat et les mairies, notamment dans l’élaboration des budgets, la planification et la collecte des impôts.

A une échelle plus large, la réélection de M. Chávez consoliderait la « courroie de gauche » qui traverse l’Amérique latine, et restreindrait d’autant la sphère d’influence des Etats-Unis. La montée en puissance des gauches sud-américaines au cours de ces dernières années a favorisé les processus d’union au niveau du continent. Si la droite a remporté les élections au Chili en 2009, la popularité du président Sebastián Piñera n’a pas tardé à s’effondrer. Elu l’année suivante en Colombie, le nouveau président Juan Manuel Santos s’est vite rallié à l’objectif d’union latino-américaine porté par la gauche pour s’épargner une mésaventure similaire, s’offrant même le luxe de hausser le ton contre Washington sur plusieurs questions-clés (8). Seul le Paraguay, depuis le renversement du président Lugo, marche actuellement à contre-courant de ses voisins.

Mais c’est encore au Venezuela que le scrutin d’octobre prend sa signification la plus décisive. La défaite de M. Chávez aurait pour conséquence — quoi qu’en dise son rival — de ramener le pays à la situation qu’il connaissait avant 1999. Un nouveau mandat donnerait en revanche à son règne dix-huit ans d’âge ; c’est beaucoup, peut-être trop. La transformation sociale d’un pays sur une période aussi longue, sous la conduite d’un chef d’Etat démocratiquement élu, représenterait néanmoins une expérience sans équivalent dans l’histoire contemporaine.

Steve Ellner
Professeur d’histoire à l’Universidad de Oriente (Venezuela), auteur de Rethinking Venezuelan Politics. Class, Conflict, and the Chávez Phenomenon, Lynne Rienner Publishers, Boulder (Colorado), 2008.

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