Conflits à l’ouest – la fuite en avant du régime de Ouattara

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La Chronique Politique de Marc Micael Libre opinion

« La réconciliation du pays passe par celle des habitants de Duékoué (ville située dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, et qui a enregistré le plus grand nombre de victimes, ndlr) », reconnait – pour une fois – France 24, une chaine de télévision française, à l’issue d’un reportage, en 2011, dans cette zone sinistrée de la Côte d’Ivoire, période post-électorale. Ce média a-t-il tort d’être aussi catégorique ?

En réalité, le constat de cette chaine de télé française sur les tueries de l’ouest et la conclusion qu’elle en tire, n’est ni plus, ni moins, ce que chacun de nous sait déjà. Et sur lesquelles, une fois de plus, certains ont préféré fermer les yeux – manifestement – par mauvaise foi. Le drame de l’ouest ivoirien, le voici, en quelques mots: habitations brûlées, détruites ; des centaines, voire des milliers de cadavres gisant dans des marres de sang, sauvagement massacrés ; des corps en putréfaction avancée, jetés dans des fosses communes ; des bras, des jambes, des têtes de personnes mutilées ; des villages entiers désertés, ou complètement rayés de la carte ; torrents de larmes ; silence de douleur ; fantômes errants, à la recherche de sépultures dignes… Nul doute, que ces tueries ont notamment eut lieu aux heures sombres qui ont marqué l’arrivée – au forceps – d’Alassane Ouattara au pouvoir, au cours de l’assaut sanguinaire des troupes rebelles venues du nord vers le sud. Ce que les communicants du régime ont, dans leurs illusions mesquines appelé « la chevauchée fantastique ».

Ce tragique décor, aucune autre région de la Côte d’Ivoire, période crise post-électorale, mieux que la région ouest, ne pourra le revendiquer.

Et comme si cela ne suffisait pas, l’ouest de la Côte d’Ivoire continue de sombrer : « Au moins trois attaques armées ont été enregistrées en 10 jours (dans le seul mois de mars 2013, ndlr) dans les villages de Zilébly, Tuobly et Petit-Guiglo dans les départements de Toulepleu et de Bloléquin, faisant au total une vingtaine de morts (…) », rapporte la presse ivoirienne dans son ensemble.

Alors que les inquiétudes se font sentir au sujet de ces nouvelles tueries à l’ouest, et que les yeux se tournent vers lui pour en savoir d’avantage et surtout sur le fond du problème et espérer le voir être réglé de façon efficace et durable, le régime en place, par la voix de son porte-parole, Koné Bruno, nous apprend, non sans désinvolture : « Les auteurs (des attaques, ndlr) peuvent être des bandits égarés ou d’anciens miliciens qui viennent se servir dans les villages » (…). Ces jeunes ne gagnent rien à s’en prendre aux populations et aux forces armées nationales ». En guise de conclusion, il indiquera qu’il y a lieu: « d’écarter le mobile politique ».

Cette posture adoptée par le régime Ouattara, alors que des vies humaines sont en jeu, et dès lors qu’il s’avère que le problème de l’ouest est plus profond qu’il ne le parait, n’est pas – à notre sens – pertinent. A la lumière de nombreux rapports d’enquêtes d’organismes internationaux, sur cette région du pays, ne serait-ce pas ses propres tares que le régime en place tente de soustraire à l’opinion publique ?

La politique a exacerbé les clivages ethniques

La cohabitation n’étant pas toujours aisée, il est vrai que des conflits liés au foncier rural ont secoué cette zone de la Côte d’Ivoire, entre autochtones et allogènes, comme d’ailleurs dans bien d’autres régions. Un pays qui regorge de terres arables, objet d’attraction de plusieurs populations venues des pays voisins, ou de l’intérieur même de la Côte d’Ivoire. Il faut noter que la Côte d’Ivoire a cette particularité d’accueillir plus de 37% d’étrangers (chiffres officiels) sur son sol.

Pendant plusieurs années, des politiciens véreux ont surfé sur les vagues des clivages ethniques, tribales et régionales pour les besoins de la conquête du pouvoir politique. Mettant en conflit ivoiriens contre étrangers, puis ivoiriens contre ivoiriens. L’«ivoirité» promue par Henri Konan Bédié, a envenimé les relations entre nationaux et nouveaux migrants. Ensuite, en 2002, la tentative de coup d’Etat contre le régime de Laurent Gbagbo, transformée en rébellion. Cette rébellion qui estimait qu’une partie de la population ivoirienne, notamment celle du nord était exclue et l’objet de tracasseries en tout genre. La crise de 2002 a donné naissance à des groupes paramilitaires. Des mercenaires libériens, des miliciens ou encore groupes d’auto-défense, sévissant essentiellement dans la partie Ouest du pays, à la frontière avec le Libéria. A l’occasion de la crise post-électorale, la situation à l’ouest va s’aggraver d’avantage, en témoignent de nombreux rapports (Croix-Rouge, HCR, ONG de droits de l’Homme, etc.). Dans un article de terrain titré : «Un territoire hors de contrôle-Guerre pour le cacao dans l’ouest ivoirien», le périodique français ‘’Le Monde Diplomatique’’, dans son édition de septembre fait de graves révélations : « Quand la crise postélectorale opposant MM. Ouattara et Gbagbo se transforme en conflit armé, en mars 2011, Duékoué souffre comme jamais. Lors de la prise de la ville par l’armée créée par M. Ouattara, les forces républicaines de Côte d’Ivoire (Frci composées principalement des ex-Forces nouvelles), des centaines de personnes – la Croix rouge a compté 867 corps –, essentiellement de jeunes hommes, ont été assassinés. Selon une commission d’enquête internationale et des associations, ce sont des soldats des FRCI qui ont commis ces crimes, ainsi que des dozos, une confrérie de chasseurs traditionnels du nord du pays, et des partisans de M. Ouérémi ». Le périodique remarque aussi : « Les villages ont perdu tous leurs habitants autochtones » et ce pendant que FRCI, Dozos et ressortissants étrangers se sont arrogés les terres des autochtones en guise de butin de guerre.

Le périodique poursuit : « (…) l’immigration burkinabé d’une ampleur sans précédent. Huit cars transportant chacun environ 200 personnes arrivent désormais chaque semaine à Zagné, à 50 km au nord de Taï. Une partie de ces voyageurs s’entassent aussitôt dans des camions de chantiers qui prennent la direction du Sud Ouest. Leur installation se trouve facilitée par l’absence d’une grande partie de la population autochtone – au moins 70.000 personnes réfugiés au Liberia. Les treize villages implantés au sud de Taï ont ainsi perdu tous leurs habitants autochtones ». Et ne s’arrête pas là : « Après la mort des Casques bleus, plusieurs centaines d’éléments Frci ont été déployés autour de Taï pour une opération de ‘’sécurisation’’ dirigée par le commandant Losséni Fofana alias Loss. (…) les FRCI se sont arrogé le droit de percevoir les taxes qui devraient normalement revenir à l’Etat. Selon un rapport de l’Onu, elles prélèvent aussi ‘’de 4 à 60 dollars beaucoup plus’’, sur les déplacements de personnes et de véhicules (5). Et elles rackettent les paysans. (…) Ensuite viennent les dozos : arrivés dans la région pendant la crise, ils n’en sont jamais repartis. De plus en plus nombreux, ils circulent à moto, en habits traditionnels, agrippés à leurs fusils ‘’calibre 12’’. Beaucoup viennent du Burkina Faso et du Mali. Certains sont devenus agriculteurs ».

Comme on peut le constater, pour la plupart des conflits, le mobile politique est toujours présent en toile de fond, pour les besoins de la cause.

Impuissance et laxisme du régime Ouattara: des choix politiques incongrus

Aujourd’hui, il est question de savoir : Comment règle-t-on le problème des réfugiés ivoiriens au Libéria ? Pourquoi ne peuvent t-ils pas rentrer chez eux ? Que fait l’Etat ivoirien pour leur retour en Côte d’Ivoire, et comment pourront-ils récupérer leurs terres confisquées par les FRCI, les Dozos et les immigrés étrangers ? Comment ramener la paix dans cette zone et surtout comment réconcilier les populations en conflits ? C’est aux réponses à ces questions que nous nous attendions et non à la déclaration teintée de faux-fuyant de monsieur le porte-parole du gouvernement.

En fait, à l’ouest du pays, le régime Ouattara ne contrôle visiblement rien face à la mafia qui y est organisée. L’ultimatum d’évacuation des forêts, le désarmement annoncé, les promesses de poursuite judiciaire contre les responsables des tueries…, sont tous restés sans suite. Voilà le véritable fond du problème, voilà les raisons de la fuite en avant du régime Ouattara, son impuissance et son laxisme. N’est-ce pas là des choix politiques qu’il doit aussi reconnaitre et assumer ?

Finalement, retenons que les attaques de ces derniers jours, ne sont pas des faits isolés, comme tente de le faire croire le régime Ouattara. Le problème de l’ouest de la Côte d’Ivoire se situe bien au-delà de « bandits égarés (…) qui viennent se servir dans les villages ». Le mobile politique, ou tout simplement la politique, est bien présente, à l’origine des conflits. Le régime Ouattara a tort de négliger les signaux lancés ces derniers temps dans sa direction. Un principe élémentaire recommande de ne négliger aucune piste, lorsque l’on veut se donner les chances de résoudre définitivement un problème. N’est-ce pas ce que nous enseignent les fins limiers, rompus à la résolution des situations les plus compliquées et dont doit aussi s’inspirer tout gouvernement sérieux ?

Marc Micael

Zemami1er@yahoo.fr

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