Anaky Kobena: “ L’union au sein du Rhdp n’était qu’une illusion ”

Anaky-Kobena

Source: Fraternité Matin, 30 avril 2013 – Après les scrutins et la publication des résultats avec leurs corollaires de violences, le président du Mouvement des forces d’avenir ( Mfa ), Anaky Kobena, tire la sonnette d’alarme.

M. Anaky, quel bilan faites-vous des élections du 21 avril ?

Nous, au Mfa, n’avons présenté aucune liste ni aux régionales, ni aux municipales. La chose a été décidée par le bureau politique pour un certain nombre de raisons.

Lesquelles ?

Nous avons préféré nous consacrer aux perspectives de 2015. Nous avons commencé ce travail et nous allons le poursuivre. Mais je voudrais déjà préciser que nous sommes prêts à intégrer tous nos efforts dans un nouveau Rhdp (Ndlr. Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix qui comprend le Pdci-Rda, le Rdr, l’Udpci et le Mfa) dont nous parlerons, si vous le voulez.

Le président du Mfa a-t-il été traumatisé par sa défaite aux législatives de décembre 2011, à Cocody, au point de ne pas s’y présenter pour les municipales ?

Pas du tout. Je n’ai pas été traumatisé par cette défaite. Vous me donnez d’ailleurs l’occasion de revenir sur le sens de ma candidature aux dernières législatives. Je me suis présenté à ces élections à Cocody pour interpeller les leaders du Rhdp. Je voulais leur demander si nous gardons encore vivante notre alliance, si nous y croyons encore ou si nous la laissons tomber. C’était donc une candidature d’interpellation. La réponse, je l’ai eue parce que j’ai été battu par un cadre d’un parti du Rhdp (Ndlr. Yasmina Ouégnin, du Pdci-Rda). C’était déjà un grand signal. C’est d’ailleurs à partir de ce moment que j’ai commencé à reprendre totalement ma réflexion politique par rapport à notre alliance. Ce n’est donc pas cela qui m’a éloigné des élections régionales et municipales. Je n’y pas été parce que nous nous consacrons à tout ce que nous devons faire pour aborder les élections de 2015 dans leur ensemble : présidentielle, législatives, régionales et municipales.

Quels commentaires faites-vous sur les régionales et municipales ?

Ces élections étaient très attendues de tout le monde. D’autant qu’il y a eu la présidentielle de 2010 qui s’est soldée de manière très particulière, contrastée, pour ne pas dire dramatique. Vous devinez bien que je fais allusion à la crise post-électorale. Puis ont suivi les législatives de 2011 où il y a eu des indices très forts. Parce qu’alors que le Fpi et La majorité présidentielle (Lmp), je veux dire l’opposition, ne se présentaient pas à ces élections, tout le monde était curieux de savoir comment s’y comporterait le Rhdp. Il n’a pas été possible à notre alliance d’aller unie à ces élections, ce qui aurait été le meilleur préambule à la préparation du futur Rhdp réunifié, comprenant les quatre partis signataires des accords de Monso (France) de 2005 et tous ceux qui les ont rejoints. C’était déjà un premier mauvais signal.

Les élections régionales et municipales…

Quand est arrivé, par la suite, le moment des régionales et municipales auxquelles vous faites allusion, tout le monde était encore curieux de savoir si dans un sursaut d’orgueil, les leaders du Rhdp allaient comprendre que si leur alliance politique n’arrivait à se retrouver et à partir d’une même base, son sort serait pratiquement scellé à partir de ces élections. Force a été de constater qu’il n’y a pas eu d’entente, chacun est parti de son côté. Moins de dix régions ont été gagnées sous la bannière du Rhdp. A partir de ces dernières élections, on peut dire que la situation politique de la Côte d’Ivoire est relativement contrastée. Voici un pays où, comme dans tous les pays au monde, on devrait avoir un bloc au pouvoir et un autre dans l’opposition. Mais le bloc au pouvoir a prouvé qu’il n’est pas uni. Il y a même eu dans certaines circonscriptions des actes de barbarie et de vandalisme qui ont opposé des militants de partis membres du Rhdp. Cela a montré qu’en fait, l’union au sein du Rhdp n’était qu’une illusion. A mon avis, c’est inquiétant pour l’avenir de la Côte d’Ivoire, surtout par rapport à la perspective des élections de 2015. Voilà l’état des lieux que nous faisons du Rhdp au sortir de ces élections.

Vous dénoncez les violences qui ont opposé des militants du Pdci à ceux du Rdr dans des localités.

Tout à fait. Ne nous voilons pas la face, ces élections régionales et municipales ont été une espèce de combat de gladiateurs sans pitié entre le Pdci et le Rdr. Et comme ce sont eux les principaux partis de notre alliance, on est obligé de constater que cette alliance, le Rhdp – même si ça peut faire mal – n’existe plus que de nom.

Ce n’est pas la première fois que vous annoncez la mort du Rhdp.

Oui. Je l’ai déjà dit plusieurs fois. Mais en le disant, il y a longtemps, je pensais susciter une certaine réaction, une prise de conscience pour que les uns et les autres comprennent qu’il était important que le Rhdp vive et que la Côte d’Ivoire, pour son avenir, son devenir et son développement, en avait besoin. Je caressais le secret espoir d’être entendu, je ne l’ai pas été. Je le déplore. Après ces dernières élections, je constate que ce n’est même plus la peine de jouer la comédie. Le Rhdp n’existe plus et le conflit est pratiquement ouvert entre le Pdci et le Rdr.

Cela doit-il inquiéter la Côte d’Ivoire ?

Ce conflit nous ramène à la naissance du Rhdp, en 2005. Si vous prenez l’histoire de notre pays depuis le décès du Président Félix Houphouët-Boigny, en 1993, tout a tourné autour d’une division, réelle ou supposée, entre nord et sud, avec comme corollaire une division entre chrétiens et musulmans. C’est à éviter absolument. Tant que la Côte d’Ivoire ne sera pas à l’abri d’une confrontation nord-sud, qu’elle soit guerrière ou simplement politique, ce pays ne connaîtra pas la stabilité. Voilà pourquoi la déchirure entre les partis du Rhdp est plus qu’inquiétante pour tout le pays.

C’est donc pour la stabilité de la Côte d’ivoire que vous aviez créé le Rhdp ?

Ce qui nous a amené à proposer la coalition des houphouétistes était de trouver un repère. Celui que nous avons trouvé a été l’œuvre du Président Félix Houphouët-Boigny. Tout le monde, du nord au sud, de l’est à l’ouest, en passant par le centre, reconnaît que cette œuvre a été fondamentale pour la constitution de la Côte d’Ivoire en tant que pays, mais reconnaît surtout son souci d’arriver à la constitution d’une nation. Faire de la Côte d’Ivoire une nation doit être la principale préoccupation de tous les responsables ivoiriens à tous les niveaux (politique, social, économique, culturel) que ce soit. Or, la succession du Président Houphouët-Boigny n’ayant pas été suffisamment préparée, cela a donné naissance à une espèce de division incroyable entre le nord et le sud, souvent orchestrée par des politiques qui avaient tout à y gagner parce qu’ils cherchaient le pouvoir. Nous en avons souffert, nous en souffrons encore aujourd’hui. Mais je dis encore avec conviction que le Rhdp n’est pas une utopie, une vue de l’esprit, c’est quelque chose dont la Côte d’Ivoire a énormément besoin.

Du reste, tant que nous ne réussirons pas à mettre en place un système politique où l’on ne va pas percevoir une différenciation entre nordistes et sudistes et entre musulmans et chrétiens, ce pays ne pourra plus se développer. Il faut que cela soit compris de manière définitive.

Pour vous, la «guerre» entre le Pdci et le Rdr indique que tout est perdu.

Pas du tout. Il ne faut pas pour autant se décourager. Il faut plutôt continuer à croire au Rhdp parce qu’il faut continuer à croire en la Côte d’Ivoire.

Mais vous venez d’annoncer, pour la nième fois, sa mort.

Oui, le Rhdp, «première formule » est bel et bien mort de sa belle mort, en raison des oppositions entre le Pdci et le Rdr. Parce que je ne crois pas que cela vienne des militants, mais plutôt des oppositions et rancœurs vieilles comme le monde entre les leaders. Il faut être naïf pour croire que cela a été totalement oublié. Mais nous devons bâtir un nouveau Rhdp. Nous devons nous atteler à mettre en place un nouveau Rhdp avec des éléments du Pdci, du Rdr, de l’Udpci, du Mfa, des cadres et militants de beaucoup d’autres partis et même de la société civile qui croient en l’idéal du Président Houphouët-Boigny. Afin de faire du pays une nation. Je suis sûr que dans cette quête, nous serons rejoints par des personnes de l’actuelle opposition. Parce qu’elle aussi a eu à gérer le pouvoir pendant 10 ans. Elle a connu les aspects agréables et moins agréables qu’elle vit aujourd’hui. Cette opposition, à mon avis, est mûre pour comprendre où se situe le vrai intérêt de la Cote d’Ivoire. Nous allons nous battre pour faire ressortir des débris du Rhdp que nous venons de voir mourir, le 21 avril, avec ces élections, un Rhdp nouveau où tous ceux qui croient en Houphouët-Boigny, qui se réfèrent à son message, puissent se retrouver et se mettre sur le chemin du développement.

Quand vous dites «nous», de qui s’agit-il exactement ?

Je parle des quatre partis signataires qui ont créé le Rhdp et des militants et cadres de ces partis qui ont réellement cru en l’idéal Rhdp. Je ne vous apprendrai rien en vous disant que les plus malheureux, ce sont les Ivoiriens de la diaspora. Ils ont beaucoup plus épousé l’idéal du Rhdp que nous qui sommes au pays. Ils sont certes loin, mais bien informés, ils prennent du recul, font des analyses et savent que le salut de la Côte d’Ivoire passe par ce nouveau Rhdp. Ils sont prêts à entreprendre un certain nombre d’actions pour que la flamme soit rallumée. A ceux-là, je dis : «vous le savez depuis longtemps, je suis votre homme.»

Qui sont ces Ivoiriens à l’étranger ?

Ce sont des militants aussi bien du Pdci-Rda, du Rdr, de l’Udpci que du Mfa. Ils n’ont manqué aucune occasion, même jusqu’aux dernières élections, pour marquer leur intérêt au Rhdp.

M. Anaky Kobéna est donc l’homme de ce nouveau Rhdp auquel il rêve.

Oui. Je vais rallumer la flamme du Rhdp. Je suis sûr qu’au moment où je tiendrai la torche du nouveau mouvement, ma main sera très lourde parce qu’elle sera soutenue par des milliers et des milliers de mains d’autres Ivoiriens qui croient en la chose comme moi et qui y seront parties prenantes. Je connais au Pdci-Rda, au Rdr, à l’Udpci et, bien entendu, au Mfa, et même dans d’autres partis politiques et au sein de la société civile, de nombreux Ivoiriens qui, régulièrement, m’appellent et m’indiquent qu’il n’est pas normal de laisser cet idéal politique mourir. Le Rhdp était formidable dans sa conception. C’était quelque chose qu’on n’avait presque jamais vu en Afrique. Aujourd’hui, le ramener à une simple manœuvre électorale et surtout au seul objectif de faire partir l’ancien Président, Laurent Gbagbo, du pouvoir, est une aberration incroyable que je ne peux pas supporter. Depuis la chute de l’ancien Président, Laurent Gbagbo, le 11 avril 2011, les leaders du Rhdp n’ont plus tenu une

seule réunion. Nous n’avons pas créé le Rhdp pour faire partir Laurent Gbagbo du pouvoir. Nous l’avons créé pour reconstruire une nouvelle Côte d’Ivoire sur les traces du Président Houphouët-Boigny, après ces dix années de crise qu’elle a connue ; une crise qui, en réalité, dure depuis le décès de celui-ci.

Une autre crise est en train de naître, suite aux élections du 21 avril…

Cette autre crise indique qu’il n’y a plus d’entente, de communion entre le Pdci et le Rdr. Tout va essentiellement se situer dans la manière dont le Chef de l’Etat va percevoir cette autre crise et ce qu’il va trouver en lui-même comme ressource pour la surmonter, dans l’intérêt de la Côte d’Ivoire. Je pense que le Président Alassane Ouattara a ces ressources, qu’il a des bonnes volontés pour l’épauler et le conseiller dans la bonne voie et que le souci de travailler pour la Côte d’Ivoire l’habite aussi fort que nous tous, sinon même plus. Je pense donc que nous pouvons surmonter cette crise née des dernières élections régionales et municipales. Mais je sais aussi que, de manière inéluctable, nous allons vers l’élection présidentielle de 2015 et que ce que les élections du 21 avril viennent de nous montrer va revenir avec plus de force, à l’approche de la présidentielle. Il n’y a rien à faire. On ne pourra pas l’éviter.

Le pessimisme vous gagne.

Oui. Mais un pessimisme constructif. Puisque je dis que pour éviter le malheur que je vois venir, il est temps de nous organiser pour bâtir quelque chose qui nous permettra d’aborder cette échéance unis, pour éviter les troubles et peut-être même une guerre plus féroce que celle que le pays a déjà connue.

En novembre 2012, alors qu’il était en visite dans votre région, le Gontougo, le Président de la République avait annoncé que lui et vous étiez réconciliés. Sur quoi portait le contentieux et quel point faites vous sur cette réconciliation, aujourd’hui ?

Je pense que le Chef de l’Etat a beaucoup de dossiers qui le préoccupent, le redressement économique du pays, la réconciliation nationale, etc. Il a peu de temps à consacrer à un problème qui serait aussi marginal que sa relation avec Anaky Kobena. Vous me demandez quel était le contentieux, je vous prie de lui poser la question. Mais dites-vous une chose : Anaky Kobena n’a jamais eu l’impression d’avoir eu un quelconque problème, un quelconque différend avec le Président Alassane Ouattara. D’ailleurs, je voudrais préciser que toutes les fois où j’ai eu l’honneur de le rencontrer, il ne m’a jamais dit que nous avions un différend.

A votre avis, pourquoi, contrairement aux autres leaders du Rhdp, vous n’êtes pas encore «casé» depuis l’arrivée de votre coalition au pouvoir ?

Cette question que vous posez et que beaucoup d’Ivoiriens se posent certainement, je me la posais aussi. Mais j’ai arrêté de le faire depuis environ un an. Car je me dis que si après un an, l’un des chefs des partis signataires de l’accord qui a donné naissance au Rhdp n’a pas été appelé pour être associé à la gestion de la nouvelle gouvernance, c’est que le tenant du pouvoir actuel, le Président Alassane Ouattara, a estimé qu’il ne pouvait pas entrer dans ses schémas. Je ne sais pas si cette réponse que j’ai fini par trouver à cette question est juste. Mais je ne suis pas fondé à la poser au Président. J’ai cessé d’en faire un souci.

Comment va le Mfa, votre parti, aujourd’hui ?

Le Mfa a trois députés au Parlement, ce n’est pas peu, c’est honorable. Vu qu’il n’avait qu’un seul député à l’Assemblée nationale avant. Mais je dois dire que notre parti souffre beaucoup de cette situation dans laquelle il se trouve. C’est qu’il est très difficile, sinon quasi impossible, d’expliquer aux militants d’un parti qui, pendant plus de cinq ans, a appartenu à une alliance politique, participé à toutes ses luttes, même lorsque, face au pouvoir Gbagbo, il y avait des risques, a eu ses morts et ses blessés dans les différents conflits, et qu’une fois cette alliance au pouvoir, il soit totalement ignoré. C’est très difficile à expliquer aux militants. Mais Dieu merci, nos militants et sympathisants m’ont quand même gardé leur confiance et ensemble, nous préparons l’avenir.

Interview réalisée par PASCAL SORO

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