La déconfiture de la refondation

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«Si les empires, les grades, les places ne s’obtenaient pas par la corruption, si les honneurs purs n’étaient achetés qu’au prix du mérite, que de gens qui sont nus seraient couverts, que de gens qui commandent seraient commandés» SHAKESPEARE (William)

Par Mohamed Radwan 16 juin 2010

Ce qui rend la corruption ou même la simple médiocrité des élites si funeste, c’est la solidarité qui lie entre eux tous leurs membres dans la défense du prestige commun.

Les derniers développement de l’actualité politique donnent tous leurs sens à ces quelques mots.

A l’initiative de la convention de la société civile Ivoirienne, en partenariat avec la National Democratic Institute (NDI) et Friedrich Ebert Stifung (FES), il s’est tenu du mercredi 2 juin au vendredi 5 juin 2010, un colloque national sur la démocratie en Côte d’Ivoire. Thème retenu: « Bilan, enjeux et perspectives de la démocratie en Côte d’Ivoire après vingt ans de multipartisme ».

Exposant sur la « Responsabilité de la classe politique devant l’opinion publique », le Professeur Mamadou Koulibaly, Président de l’Assemblée Nationale et membre de la haute direction du Front populaire Ivoirien, s’est prononcé sur la situation de crise du pays.

Face à l’impasse flagrant dans lequel se trouve le processus de sortie de crise, le Pr Koulibaly a mis en exergue les tares du régime, que tout le monde savait mais que tout le monde taisait.

Il n’en fallait pas plus pour déchainer les pontes du FPI qui se sont alors répandus en de vertueuses indignations. Rien d’étonnant c’est la marque des petits esprits corrompus. Depuis on assiste à des attaques venant de toutes part contre le Pr Koulibaly.

Mais au fond, de quoi s’agit-il? Le Pr Koulibaly ne fait que tendre au FPI son propre miroir.

Il s’agit d’un rappel aux valeurs fondamentales qui devraient animées tous les hommes politiques. Un rappel à des valeurs de justice, d’éthique, de probité et de loyauté vis à vis du peuple. Il s’agit du cri d’alarme d’un intellectuel devant la paupérisation galopante du peuple alors que certains se gavent des richesses et des biens publics. La Côte d’Ivoire est en crise mais jamais on auras vus autant de villas sortir de terres, de berlines de luxe et autres 4X4. On les appelle les refondateurs. Mais en termes de refondateurs, il y a du bon grain comme du mauvais, du très mauvais.

Dans quelle société vivons-nous ?

Là ou toute ascension n’est fonction que la valeur que de l’argent. Pour entrer à l’ENA il faut payer. Pas étonnant que les fonctionnaires qui sortent de là ne pensent qu’à se bourrer les poches également. Pour entrer à l’école de police, il faut payer. Pas étonnant là aussi que les policiers qui en sortent ne sachent rien faire de mieux que de racketter aux carrefour, carnet et stylo à la main. Et que se passe-t-il quand les refondateurs se réservent un pourcentage d’admis pour les ressortissants de leurs village!? Grave dérive!!!

Et il en est ainsi pour tous les concours et examens de la fonction publique, symptôme d’une société en putréfaction, sous l’action de la refondation. La refondation est comme un bouton purulent. Koulibaly en a percé l’abcès. Tout le pue commence à sortir, tout seul, sous la pression de tous les soupçons d’infamie, de débauche et de corruption du FPI. Mais ça n’est que le début, il faut maintenant une pression extérieure pour extraire totalement et définitivement tous les mauvais grains du FPI. Et c’est sur ce point qu’est attendu le Président de la République dont on sait pouvoir compter sur les idéaux de justice et de probité. Car gouverner, c’est maintenir les balances de la justice égales pour tous.

Que ta campagne soit magnifique, brillante, éclatante, populaire et que pèse sur tes concurrents – s’il est possible de trouver quelque chose – un soupçon d’infamie. Qu’ils sachent que tu les surveilles, que tu les observes. « Agitons devant nos concurrents la menace d’un procès, effrayons leurs trésoriers, ou, d’une manière ou d’une autre, faisons pression sur ceux qui les financent. » CICÉRON.

Le combat que mène depuis longtemps déjà, le Pr Koulibaly suscite à n’en point douter des sueurs froides à certains. Alors nous savons que ce sera un combat dure et difficile. Mais c’est un combat juste. C’est un combat qu’il ne saurait mener seul. Il est important que les Ivoiriens sachent, avant que les Ivoiriens bougent! C ‘est maintenant que les vrais patriotes se feront jours. Ceux qui aiment leur pays, pas ceux qui n’aiment que l’argent de leur pays! Il ne s’agit pas du patriotismes alimentaires de pseudos leaders patriotiques qui drainaient les foules de jeunes gens assoiffés de liberté, pour au fond défendre leurs intérêts pécuniaires.

C’est un combat d’idées, que ceux qui en ont la force et la capacité y prennent part. On combat les idées nuisibles par d’autres idées. On combat le mensonge par la vérité. Pas par les menaces et les injures !

Quand la Refondation fait place à la Rebfondation

(Extrait du Blues de la République)

Nous devons savoir que ces évolutions institutionnelles et politiques n’ont pas épargné l’Etat. Elles n’ont pas épargné la fonction publique. Elles laissent des stigmates profonds sur la vie sociale, économique et politique de chacun d’entre nous. Après 2002, l’on ne peut plus dire en connaissance des faits que le FPI est au pouvoir, ni que le programme de la Refondation continue d’être appliqué quand, devant nos yeux, les « jardins » de la Refondation ont agonisé avec nos complicités. La crise des valeurs a été semée et entretenue en Côte d’Ivoire pendant toute la période du parti unique. Le jardin qui agonise aujourd’hui n’est pas celui de l’ancien régime, mais bien au contraire celui de la Refondation, étouffé comme il l’aura été par le programme de la réconciliation nationale. On peut, à la limite, juste accepter de dire que le FPI partage le pouvoir avec les autres signataires des accords de Marcoussis. Et que la Refondation corrompue n’est que la Rebfondation. La Refondation n’est pas en cause, même si de nombreux refondateurs peuvent être mis en cause. La Refondation a gouverné à peine deux ans (2001-2002), alors que la Rebfondation s’est s’imposée et règne depuis cinq ans (2003-2007). C’est parce que les anciennes pratiques ont refusé la Refondation que les projets qui avaient fait germer de grands espoirs se sont aussitôt écroulés, juste deux ans après leur mise en route. « L’agonie des jardins » de l’ancien régime a été souhaitée démocratiquement par les Ivoiriens, parce que ce régime avait été incapable de faire au moins aussi bien que ses semblables dans le monde à niveau initial pareil. L’agonie de la Refondation est un crime commis contre la démocratie. La Refondation était un envol auquel on a coupé tout horizon.

Pendant cette période trouble, la logique du partage du pouvoir au sommet a conduit à une logique du partage des fonds. Entre 2000 et 2007, la haute direction du pays a changé de nature. Seul le Président de la République travaille effectivement à la sortie de crise. A chaque fois qu’il y a eu des accords de paix, ses adversaires se sont contentés de lui imposer des Premiers Ministres, qui même s’ils ont tous été nommés par décret selon les termes de la Constitution de 2000, n’ont pas tous fonctionné selon les dispositions de cette même Constitution. La crise a vu les tensions entre Seydou Diarra, qui se disait garant des accords de Marcoussis, et Laurent Gbagbo. Puis nous avons assisté au tandem qui réunissait Charles Konan Banny et Laurent Gbagbo. Et maintenant nous voyons se dérouler le blues de la Primature avec Guillaume Soro. Trois Premiers Ministres en cinq ans de crise, tel est pour le moment notre record. Mais au-delà de ces Premiers Ministres que l’on voit défiler, il y a eu de façon sournoise une montée en puissance de la Primature dans le dispositif institutionnel de la République, non pas pour administrer le programme établi par le Chef de l’Etat, mais plutôt pour contester et neutraliser sa politique économique et sociale.

Lorsque Laurent Gbagbo accède au pouvoir en fin d’année 2000, le général Robert Gueï vient de terminer de façon calamiteuse une transition avec 16,5 milliards de budget à la Présidence de la République et un Premier Ministre, Seydou Diarra, à qui il a fallu 5,5 milliards pour sa mission à la Primature. Le Premier Ministre à l’époque était le chargé de mission du Chef de l’Etat. Il fallait, après le coup d’état du CNSP (Conseil National de Salut Public), un civil crédible pour rassurer les Ivoiriens et la communauté internationale. Diarra remplissait cette condition, mais le CNSP veillait au grain et administrait directement l’Etat en laissant certaines missions spéciales de coordination de l’action gouvernementale au Premier Ministre, qui n’était d’ailleurs responsable que devant Robert Gueï. Le Chef de l’Etat d’alors a pu à un moment donné, lorsque le RDR mettait en doute son autorité, se séparer de tous les ministres de ce parti sans que cela ne mette en péril la transition. Aucune communauté internationale ne lui imposait alors de ne pas le faire.

Une fois la transition passée, Laurent Gbagbo installe Affi N’guessan à la Primature en 2001 avec 5,3 milliards de budget, là où la Présidence de la République, en pleine phase de restructuration après le passage de la junte militaire, fonctionnait avec 19,2 milliards. Le Premier Ministre était un véritable administrateur de programme au sens de la mission que la Constitution confie à ce poste. Subordonné à la Présidence de la République, il en exécutait les décisions. L’action gouvernementale était cohérente. Le Premier Ministre avait été directeur de cabinet du Président de la République et son directeur de campagne. La mise en place du programme de la Refondation de la Côte d’Ivoire entraînait alors des réformes qui exigeaient, en 2002, un budget de 6,53 milliards pour le Premier Ministre, en hausse de 23,21%, là où le Président de la République a vu le sien passer à 22,6 milliards de Fcfa soit une hausse de 17,7%.

Les nuisances d’un bicéphalisme imposé à la tête de l’Etat

En fin 2002, la rébellion éclate et la Côte d’Ivoire s’installe dans le chaos. Marcoussis impose un Premier Ministre qui demande 10 milliards supplémentaires pour situer son budget à 16,62. Ce qui fait faire au budget de la primature un bon de près de 155%. Avec ses financements et son propre plan, le Premier Ministre cesse d’être l’administrateur du programme du Président de la République. Il refuse aussi d’être son chargé de mission. Il devient son concurrent, avec des moyens humains et matériels à sa disposition, pour la réalisation de ses propres décisions inspirées de l’esprit et de la lettre des accords de Marcoussis et des arrangements de Kléber. Les conflits de compétences s’installent entre le Président de la République et le Premier Ministre. Le Premier Ministre a son gouvernement et sa pléthore de conseillers, parallèlement à ceux du Président de la République. Il ne s’agit pas de cohabitation mais de bicéphalisme rétrograde.

Les membres du gouvernement sont proposés non par le Premier Ministre, mais par les partis politiques signataires de l’accord de Marcoussis. Les partis choisissent leurs portefeuilles et les militants chargés de les gérer. A partir de ce moment, les ministres ne sont plus responsables devant le Chef de l’Etat et ne rendent compte qu’au président de leur parti d’origine, dont le seul objectif devient la démolition des institutions de la République, l’éviction de Laurent Gbagbo et la prise du pouvoir sans élections et sans avis du peuple. Le gouvernement devient alors pléthorique et son niveau d’incompétence s’élève. Le pouvoir de révoquer les ministres que la Constitution reconnaît au Président de la République lui est contesté. Depuis cette date, personne ne peut virer un ministre sans être accusé de porter atteinte au processus de paix. Ni Seydou Diarra, ni Laurent Gbagbo ni qui que ce soit d’autre, n’a ce droit. Même lorsque les belligérances se taisent sur les fronts militaires, dans les cercles du pouvoir au Plateau, à Abidjan, elles font rage entre la Primature et le Palais Présidentiel d’une part et entre les ministres eux-mêmes de l’autre.

C’est à ce moment que les dérapages se mettent en route. La Constitution étant corrompue, les institutions suivent aussitôt. La corruption se généralise avec ce type de gouvernement dit de «Réconciliation Nationale». Et les refondateurs, qui sont eux aussi des humains, perdent leurs repères et se laissent aller, avec négligence, dans le piège de la mauvaise gouvernance. L’ordre et la discipline qui avaient marqué les premières années de pouvoir de Gbagbo cèdent la place au désordre et à l’indiscipline dès 2003. Le racket, la tricherie aux examens et concours, les pots de vins, les trafics d’influence, l’enrichissement rapide injustifié, qui étaient en train d’être maîtrisés durant les premières années de la Refondation, se déchaînent et se réinstallent comme au temps du parti unique (1960-1990) et avec des allures qui ressemblent à celles de l’ère du multipartisme sans démocratie (1990-2000).

La Refondation devient la Rebfondation. L’ancien régime se rebelle contre les refondateurs, qui bien qu’ayant bloqué et contenu la rébellion militaire et politique, se sont laissés aller à la dégénérescence morale inspirée, en absence de toute autorité, par l’impunité et l’apologie de la mauvaise gouvernance. A l’époque de l’opposition, les refondateurs n’acceptaient pas les atteintes à l’éthique de la démocratie et de la société ouverte. Aujourd’hui, avec la Rebfondation, nous gardons un silence coupable sur les violences faites à l’éthique, quand nous n’applaudissons pas les hauts faits de ces nouveaux «grilleurs d’arachides».

A l’époque, nous envisagions conduire les faussaires et autres criminels devant les tribunaux ; aujourd’hui nous leur dressons la place et nous leur passons le menu pour qu’ils viennent faire ce à quoi nous nous sommes laisser aller : manger. Eux, d’ailleurs, ne demandent que ça pour le moment, à défaut de mieux. Mais ils ne perdent aucune occasion de nous faire savoir qu’ils ont la Refondation dans leur collimateur.

En milliards de fcfa

Président de la République Premier Ministre

2000 ——————-> 16,5 ——————————————-> 5,5
2001 ——————-> 19,2 ——————————————-> 5,3
2002 ——————-> 22,6 ——————————————-> 6,53
2003 ——————-> 28,05 ——————————————> 16,62
2004 ——————-> 39,05 ——————————————> 15,51
2005 ——————-> 36,62 ——————————————> 15,35
2006 ——————-> 36,29 ——————————————> 15,17
2007 ——————-> 36,56 ——————————————> 14,56

Le blues de la République a commencé par celui de la Primature. La crise corruptrice a eu raison de nos corps, de nos âmes et de notre morale. Nous devons le reconnaître et faire en sorte que cette situation de décadence s’estompe et que les dérives vicieuses cessent de nous entraîner vers le côté le plus obscur du pouvoir. Le tableau ci-dessus révèle la course-poursuite de la Présidence de la République face à la Primature. Ainsi, c’est la Primature, sous Seydou Diarra, qui a donné le coup d’envoi: en effet, le budget de la Primature a augmenté de plus de 154% de 2002 à 2003 (donc plus que triplé suite à la rébellion et aux accords françafricains de Marcoussis & Kléber), alors qu’en parallèle, sur la même période, celui de la Présidence de la République n’a augmenté que de 24%. Par ailleurs, il est à noter que depuis l’agression perpétrée contre l’Etat de Côte d’Ivoire en septembre 2002 jusqu’à ce jour, le budget de la Présidence de la République a augmenté en moyenne de 10% par an, alors que, concomitamment, celui de la Primature a évolué au rythme annuel moyen de 17,4%! La perversion de nos mœurs commence par là.

La pierre angulaire sur laquelle repose la thèse des partisans de la recolonisation de la Côte d’Ivoire est donc vacillante et ne résiste pas à une analyse factuelle. La réécriture de l’Histoire est une tâche d’autant plus ardue qu’elle est confrontée à des chiffres et des faits difficilement contestables. La comparaison avec l’Asie a montré la faillite de l’ancien régime. Les nostalgiques d’un autre temps, qui ont fait leurs premières armes à l’école de l’Ivoirité et qui aujourd’hui refusent la mondialisation, à moins qu’elle ne soit encadrée par la francophonie, ne veulent pas tant détruire la Rebfondation que préserver et défendre à tout prix le Pacte colonial qui enchaîne notre pays et bride notre développement. Mais la Rebfondation n’est pas la Refondation. Et cette dernière n’a pas échoué, comme nous venons de le voir.

La Refondation est la grande victime de cette crise. Les faits le démontrent. Il est donc faux d’accuser la Refondation d’être la cause, l’origine ou la responsable de l’état de dégénérescence de notre pays, de nos valeurs et de nos rêves. Des rêves désormais remplis d’idées noires et polluées par des complaintes ahurissantes que l’on entend ressasser à loisir par ceux qui, toute honte bue, crient leur désir de se remettre des chaînes et clament à la face du monde leur blues de la République : «Nous sommes incapables de nous prendre en charge, incapable de nous occuper de nous-mêmes, nous refusons le développement. Alors, tendre et douce France, ne nous abandonne pas, reviens nous prendre pour nous rendre heureux. Nous, ici, nous préférons le bonheur enchaîné plutôt que la liberté qui remet en cause nos certitudes et nos hiérarchies héritées de notre âge d’or.» Avec tous ces intellectuels, répétons en choeur le meilleur refrain de ce blues : la colonisation a été l’exploitation de l’homme par l’homme ; les indépendances, exactement le contraire.

Pr Mamadou Koulibaly in Fraternité Matin, 04 août 2007

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