Ahouo Koutouan descendant du chef Bidjan Akrandjro: « Ouattara est pire que Gbagbo »

bidjan

«Il brade le sud de la Côte d’Ivoireaux intérêts commerciaux occidentaux»

Ahouo Koutouan, l’arrière-petit-fils du grand chef militaire bidjan N’Goly Akrandjro, sonne à nouveau l’alarme pour sauver son peuple*. Mais cette fois, sous Alassane Ouattara, c’est l’ensemble des peuples du sud de la Côte d’Ivoire qui se trouve menacé par le «bradage des terres» aux multinationales occidentales.


Le Jeudi: «Début 2009, vous avez sensibilisé l’opinion publique européenne sur la disparition possible, sous l’ancien président Gbagbo, de votre peuple, les Bidjans (ou « Ebriés »). N’est-ce donc pas mieux aujourd’hui sous la présidence d’Alassane Ouattara ?»

A. K.: «Gbagbo était un effectivement un dictateur et, s’il niait les droits d’existence de notre peuple en volant nos terres, il ne nous massacrait pas. On pouvait discuter avec lui et on avait même réussi à faire arrêter les chantiers. C’est justement cette ouverture qui lui a coûté la présidence lors des « élections » de 2010. Les grandes multinationales intéressées par la région, surtout françaises, comme Bolloré, Bouygues, Suez…, ont réclamé sa tête et ont réussi à convaincre la communauté internationale de placer à la tête du pays un homme plus « raisonnable », à savoir Ouattara, ancien directeur adjoint du Fonds monétaire international. Ouattara a été chargé par la communauté internationale de vendre – brader – les ressources ivoiriennes aux grandes corporations occidentales. La preuve? Bolloré a récemment reçu les contrats pour le « développement » de la lagune d’Abidjan et des territoires des alentours. Cette société tient un discours que je qualifierais de néocolonial – elle justifie le pillage en prétendant apporter des emplois et le bonheur aux Ivoiriens après avoir financé la rébellion et la mise en place de Ouattara. L’octroi des contrats par le président n’est qu’un simplerenvoi d’ascenseur. Dans un dernier sursaut, un ministre de Ouattara a tenté de dénoncer le scandale et fut écarté. Bolloré, qui estime dorénavant avoir tous les droits sur ces territoires – au mépris de nos droits historiques et constitutionnels –, est maintenant seul maître à bord. Il ne fait plus aucun doute que mon peuple sera chassé dès que la société aura décidé de commencer les travaux. Il ne sait même pas qui nous sommes…»

Le Jeudi: «Vous insinuez donc que la situation est pire sous Ouattara ?»

A. K.: «Je ne l’insinue pas, je l’affirme haut et fort! Actuellement, sous prétexte qu’il a soutenu Gbagbo – un moindre mal – en 2010, mon peuple, comme tous les peuples du Sud, se fait littéralement massacrer. Avant, nous n’étions rien, certes, mais nous vivions, nous respirions. Aujourd’hui, nous ne respirons même plus. Avant, les Bidjans avaient tous au moins un petit boulot, notamment comme petits fonctionnaires; aujourd’hui, ils ont presque tous été licenciés et remplacés par les soi-disant « musulmans du Nord », à savoir les Sahéliens – venus du Mali, du Burkina, du Niger, du Sénégal – qui ont aidé Ouattara à prendre le pouvoir. Il faut savoir que l’Union européenne et les Etats-Unis, pour limiter les flux de réfugiés sahéliens chez eux, n’ont rien trouvé de mieux que de les détourner vers la Côte d’Ivoire en leur faisant croire qu’ils étaient Ivoiriens.»

Le Jeudi: «D’aucuns prétendent que le président lui-même n’est pas ivoirien…»

A. K.: «Et c’est vrai. Ouattara n’est pas un vrai Ivoirien, mais bien une sorte de « monstre » inventé et placé là par les Occidentaux pour qu’il défende leurs intérêts. Mais si en Occident on le présente comme ivoirien, Ouattara sait qu’en Côte d’Ivoire il n’est pas chez lui. C’est pour celaqu’il ne tolère pas la moindre information qui risquerait de révéler au monde son vrai visage. Et la répression est terrible. Actuellement, il n’existe plus de presse d’opposition. Les journaux sont fermés, les journalistes critiques du régime sont soit en prison soit en exil. C’est pour cela que la presse internationale a une responsabilité fondamentale. Mais, au lieu de dénoncer la vérité, cette presse semble, hélas, fort complaisante à l’égard du régime.»«Sans défense»

Le Jeudi: «Vous parlez de massacre…»

A. K.: «Sur le terrain, mon peuple est désormais sans défense. Mon peuple, ainsi que tous les peuples du Sud, sont accusés d’être pro-Gbagbo, et c’est sous ce prétexte que le régime se permet la répression contre nous. C’est simple: si vous critiquez le régime, vous êtes un homme mort. La nuit, les mercenaires étrangers du président viennent massacrer votre famille et piller votre maison. Comme nous nous situons dans la région de la capitale et que des massacres bruts seraient une mauvaise vitrine face au monde extérieur, le régime a placé des « oreilles » un peu partout. Rien ne l’arrête. Il est sans scrupules. Il n’y a jamais rien eu de pareil sous Gbagbo. Et, comme j’ai dit, nous n’avons plus accès aux emplois. Ouattara a placé ses partisans dans tous les domaines de la vie. Il appelle ça le « rattrapage ethnique ». Les nordistes auraient droit à une sorte de réparation des injustices subies sous Gbagbo et ça justifierait les violations des droits de l’Homme contre nous. Et n’oubliez pas que cette dictature a été rendue possible grâce à l’ONU, à la force française Licorne – ce n’est nullement une victoire de Ouattara.»

Le Jeudi: «Mais Gbagbo a bien été amené devant le Tribunal pénal international…»

A. K.: «Il faut faire attention à ce qui est publié. En Afrique, on dit qu’on ne cache pas le soleil avec un seul doigt. Si vous voulez avoir des informations exactes sur l’Afrique, ne comptez pas sur les milieux diplomatiques ou politiques. Selon ces milieux, Gbagbo est coupable d’avoir massacré des Ivoiriens, surtout les opposants, les nordistes, pendant dix ans. Ils prétendaient avoir des preuves. Mais ça fait maintenant plus de deux ans qu’ils l’ont arrêté, qu’il est en prison. Et voilà qu’en juin dernier le fameux Tribunal pénal international a estimé qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves contre lui pour le juger. Pouvez-vous croire qu’en deux ans Ouattara n’ait pas réussi à trouver les preuves contre un dictateur qui aurait sévi pendant dix ans? En fait, l’histoire de la « culpabilité » de Gbagbo était un coup monté classique pour permettre aux démocraties occidentales de capturer la Côte d’Ivoire. Comme Gbagbo, en tant qu’Ivoirien, refusait de brader les ressources et le patrimoine de son pays, les milieux diplomatiques et politiques internationaux ont trouvé un étranger qui n’avait aucun scrupule à le faire. La preuve, Bolloré peut disposer à sa guise de nos terres, au mépris de nos droits historiques. Je ne suis pas le seul à dénoncer la dictature de Ouattara. L’ensemble de la presse africaine le fait continuellement.»

Le Jeudi: «Les problèmes que vous évoquez concernent donc l’ensemble despeuples du Sud.»

A. K.: «En effet, le problème dépasse maintenant les Bidjans – peuple que l’on connaît effectivement aussi sous le nom d’Ebriés. Ce sont tous les peuples du Sud qui souffrent aujourd’hui et qui s’apprêtent à subir une avalanche d’expropriations qui inéluctablement vont tomber. Aujourd’hui, effectivement, la survie de toutes les ethnies du Sud est menacée. D’ailleurs, dans certaines régions, on a déjà chassé les propriétaires de leurs plantations et on les a données aux gens du Nord – je pense aux nombreuses plantations « économiquement stratégiques » de cacao, de café, de bananes, de noix de coco, de palmiers à huile… Ainsi menacées, les ethnies des trois régions du Sud, pour défendre leur vie contre la coalition de fait des forces du Nord qui envahissent tout, se sont donc regroupées en une coalition appelée Akwaba. C’est d’ailleurs au nom de ce groupe que je m’exprime ici. Il est clair que les membres de la coalition ne peuvent se réunir que clandestinement, ne peuvent s’exprimer librement en Côte d’Ivoire et risquent à tout moment la dénonciation. Ils ont absolument besoin, de la part de la communauté internationale, d’une reconnaissance et d’un soutien. Il faut savoir qu’Akwaba représente une menace sérieuse pour Ouattara car, si le groupe prenait de l’importance, et parvenait à ne fût-ce que freiner l’avancement des plans de développement par les multinationales occidentales, ces dernières iraient directement demander des comptes à Ouattara. Si cela ne ferait certespas l’affaire du président, pour nous, c’est le seul espoir.»

PROPOS RECUEILLIS PAR DAVID BROMAN
* Article paru dans «Le Jeudi» du 29 janvier 2009: «Nous prendre l’île Boulay, c’est nous arracher le cœur!»

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