En Côte d’Ivoire, des contrats publics signés entre amis

Le ministre de l'enseignement supérieur et le chef du patronat ivoirien
Le ministre de l’enseignement supérieur et le chef du patronat ivoirien

Pays-Bas – Radio Nederland Wereldomroep Par Rédaction Afrique

Des économistes et des opposants ivoiriens dénoncent la pratique excessive des marchés publics passés de gré à gré, accusant certains ministres d’en avoir abusé au profit des entreprises appartenant à leurs proches.

Par Fulgence Zamblé, Abidjan

Au premier trimestre 2013, 21,4 millions de dollars de marchés publics ont été passés de gré à gré (à l’amiable, d’un commun accord) en Côte d’Ivoire, ce qui représente plus de 80 % de la totalité des marchés concédés sur la période.

L’Autorité de régulation des marchés publics de Côte d’Ivoire (ANRMP), qui a fait cette révélation dans un rapport rendu officiel le 2 septembre, indique que les marchés publics, passés sans appel d’offre en 2012 représentent 40 % sur l’ensemble des marchés de l’année dernière.

Mafoumgbé Bamba, économiste basé à Abidjan, la capitale économique ivoirienne, déplore une pratique abusive, même s’il admet que « l’attribution des marchés de gré à gré se justifie » parfois. Selon lui, « cette mesure reste une décision d’exception, qui ne saurait devenir un mode d’attribution des marchés publics comme cela est observé en Côte d’Ivoire depuis la fin de la crise postélectorale. »

Une pratique qui ne peut que favoriser la corruption

Il estime que cette pratique ne peut que favoriser la corruption dans le pays et mettre à nu une mauvaise gouvernance. « Cela a un impact négatif sur l’économie qui s’en trouve quelque peu fragilisée, au moment de la relance engagée par le régime actuel », souligne-t-il.

Deux mois après son arrivée au pouvoir, en juin 2011, le président ivoirien Alassane Ouattara avait imposé à son gouvernement une charte de bonne conduite pour une meilleure gestion des affaires de l’État. Mais, deux ans après, ce code de bonne gouvernance est constamment mis à rude épreuve, selon Mafoumgbé Bamba.

Plusieurs ministres sont accusés d’avoir cédé des marchés publics sans appel d’offres. Par exemple, en 2011, la société civile et l’opposition ont dénoncé la ministre de l’Éducation nationale, Kandia Camara, pour avoir confié le marché du paiement en ligne des frais d’inscription, dans les écoles publiques ou privées, de quelque cinq millions d’élèves à une entreprise privée, dont l’actionnaire principal n’était autre que son collègue ministre de la Construction. Chaque élève devait débourser 12 dollars.

200 millions de dollars sans appel d’offres

La même année, le marché de la rénovation de l’Université Houphouët-Boigny de Cocody, à Abidjan, la plus grande du pays, a été cédé pour plus de 200 millions de dollars, sans appel d’offres. En 2012, la Pharmacie de la santé publique a été liquidée par un appel d’offres comportant des irrégularités : absence de publication, non-respect de la réglementation, et prix excessif du dossier d’appel d’offres.

De son côté, Anne Ouloto, précédemment ministre de la Salubrité urbaine, avait été accusée par l’ARMP-CI d’avoir attribué à une entreprise dirigée par le frère aîné d’un autre ministre, un marché de ramassage et de traitement d’ordures en Côte d’Ivoire, pour un montant de 92 millions de dollars, en 2012.

« Dans l’ensemble, nous sommes à environ 60 % des marchés publics faisant l’objet de gré à gré. C’est excessif », souline André Coulibaly, un autre économiste basé à Abidjan. « La comparaison entre des soumissions multiples, qui doit permettre à l’État d’avoir le meilleur rapport qualité-coût, n’est plus garantie », indique-t-il, ajoutant que « des individus en tirent profit au détriment du peuple ».

« On ne peut pas faire autrement que de faire un gré à gré »

« Il y a des cas où on ne peut pas faire autrement que de faire un gré à gré, notamment en cas de monopole ou les cas d’urgence impérieuse », affirme Karma Coulibaly, président de l’ARMP-CI, pour défendre le gouvernement.

« Vous avez une école avec le toit arraché par une tempête. Il y a urgence, car des procédures de passation par appels d’offres vont mettre du temps et laisser les élèves sans toit et donc sans école », explique-t-il. Karma Coulibaly dit aussi préférer le gré à gré à certains appels d’offres, relevant qu’il y a des appels d’offres qui font plus mal à l’État parce qu’ils ne sont pas toujours productifs.

Son avis est partagé par le Rassemblement des républicains (RDR), le parti au pouvoir. « Il y a des appels d’offres qui sont régulièrement effectués. Mais vu la situation d’urgence que le pays a eue, il y a des choses sur lesquelles l’appel d’offres n’est pas nécessaire. Le président a besoin d’aller vite comme il le dit. Alors, il ne va pas toujours en faire une fixation », souligne Joël N’Guessan, le porte-parole du RDR.

« Les principes orthodoxes des appels d’offres sont en berne »

« Nous notons que les principes orthodoxes des appels d’offres sont en berne », déclare Donatien Dapa, délégué national en charge du commerce au parti Liberté et démocratie pour la République (LIDER), un parti de l’opposition.

Pour Donatien Dapa, ce mode de gouvernance montre le refus du pouvoir de promouvoir le principe de la libre concurrence dans le pays.

« Les marchés passés de gré à gré constituent pour la plupart des scandales. Nous assistons à un printemps d’affairistes au sommet de l’État, pourtant il y a un code de bonne conduite adopté par le régime », déclare Richard Kodjo, vice-président du Front populaire ivoirien (FPI).

L’ARMP-CI annonce qu’elle doit achever, d’ici à la fin de l’année, un audit des marchés de gré à gré pour la période 2011-2013, afin de faire la lumière sur les contrats en question.

Source : IPS

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