France – Comment l’État cache les demandeurs d’asile

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Des sans-papiers faisant la queue devant la préfecture de Bobigny pour réclamer leur régularisation. © JACQUES DEMARTHON / AFP

Par NICOLAS GUÉGAN Lepoint.fr

À quelques mois des municipales, les Roms sont au coeur du débat politique. Hasard du calendrier ou non, une autre polémique pourrait bien s’inviter dans cette campagne électorale. En toute discrétion, début septembre, un rapport sur la situation des demandeurs d’asile a été rendu public sur le site du ministère de l’Intérieur. Le constat dressé est inquiétant : la France n’a plus les moyens d’assumer ses ambitions de terre d’asile. Et pour cause, entre 2007 et 2012, le nombre de réfugiés a flambé de 72 %.

Face à cet afflux, les préfectures ne parviennent pas à tenir la cadence et à respecter les délais administratifs. Plus surprenant, faute de places suffisantes dans les centres d’hébergement, l’État est contraint de louer des chambres d’hôtel. Montant de la facture en 2012 : 125 millions d’euros. Ajoutée au coût des centres d’hébergement et à celui des aides versées, elle grimpe à 500 millions d’euros. Pire, comme le souligne Le Journal du dimanche, dans son édition du 22 septembre, avec 80 % de déboutés, le système fabriquerait 37 000 sans-papiers par an. En attendant l’élaboration d’une nouvelle loi, prévue pour bientôt, le gouvernement tente de désenclaver les grandes villes en répartissant les demandeurs d’asile dans des communes rurales. Un cache-misère qui provoque souvent l’exaspération des élus locaux.

« Aucun contact avec l’administration »

Depuis peu, Boulogne-sur-Gesse, un petit village tranquille de Haute-Garonne à une centaine de kilomètres de Toulouse, accueille plusieurs familles de réfugiés politiques. Contacté par Le Point.fr, le maire, Pierre Médevielle, fait part de son incompréhension : « Le sous-préfet m’a averti que des appartements vides (des HLM, NDLR) étaient réquisitionnés. » Le premier édile n’en saura pas plus. Tout juste se murmure-t-il que cette opération a pour objectif de faire des économies. Les familles concernées étaient jusqu’alors logées dans des hôtels.

« Nous avons pu en savoir davantage lors des inscriptions à l’école », précise Pierre Médevielle. Au fur et à mesure des informations glanées ici et là, le maire apprend que sa commune accueille une mère israélienne et son enfant, une famille togolaise et une famille serbe. Quid de l’intégration ? « Ça se passe bien, assure-t-il. Mais les voisins, des personnes âgées, n’apprécient que très moyennement ces nouveaux résidents. » Pourtant, ajoute le maire, « ce ne sont pas les plus agités ». De nouvelles arrivées sont-elles programmées ? « Nous n’en savons rien. Nous n’avons aucun contact avec l’administration. »

Un maire démissionnaire

À Hauteville-Lompnes (dans l’Ain), l’afflux de demandeurs d’asile a conduit à la démission du maire PS Bernard Maclet. Retour en arrière. Dans une lettre du 8 octobre 2012, que Le Point.fr s’est procurée, Philippe Galli, préfet de l’Ain, réquisitionne l’immeuble de la Donchère. Le bâtiment, promis à la destruction, doit accueillir 120 demandeurs d’asile dans le cadre du plan hivernal. Problème, la ville accueille déjà 80 demandeurs d’asile. Malgré l’inquiétude de ses administrés, le maire opte pour une « attitude républicaine ». Le 25 octobre 2012, le conseil municipal se prononce pour l’accueil de ces nouvelles familles, mais réclame la levée du dispositif dès la fin de l’hiver. « Le conseil avait été houleux. L’opposition dénonçait un envahissement », se souvient Bernard Maclet. Au coeur de l’hiver, Hauteville-Lompnes accueille 200 demandeurs d’asile, soit 5 % de sa population.

Le 25 février 2013, dans une lettre adressée au préfet de l’Ain, Bernard Maclet menace de démissionner si le plan d’hébergement n’est pas levé. Un mois plus tard, Philippe Galli avise l’élu de la situation préoccupante de l’Ain quant à l’afflux des demandeurs d’asile. Le département connaît une hausse de 160 % des flux par rapport à l’année 2011 avec 627 arrivées en 2012 contre 241 en 2011. Compte tenu de ces éléments, le préfet ne peut qu’annoncer la présence des familles jusqu’à la fin 2013. Pour le maire, c’est la douche froide.

Fin avril, nouveau conseil municipal, la tension est palpable. Une pétition réclamant le départ des réfugiés recueille 2 000 signatures. Dans une lettre adressée aux conseillers municipaux, Bernard Maclet livre la réaction de certains de ses administrés. En voici quelques bribes : « Moi Français, j’en ai marre de toute cette invasion », « Je pense qu’il y aurait beaucoup moins de chômage, d’insécurité, sans tous ces étrangers en France qui POURRISSES (sic) NOTRE PAYS », « C’est bien triste de voir notre pays partir en vrille ». Craignant une rupture des équilibres humains et sociaux, Bernard Maclet démissionne de ses fonctions. Ce que Philippe Galli refuse au motif « des valeurs » qu’incarne l’élu. Le 5 juin 2013, Philippe Galli est muté en Seine-Saint-Denis. Dans la foulée, son successeur entérine la démission du maire. Aujourd’hui encore, Bernard Maclet est amer. Il raconte avoir eu le sentiment d’être « abandonné par les pouvoirs publics ».

Le problème des mineurs étrangers isolés

À l’autre bout de la France, en Mayenne, l’atmosphère n’est pas moins électrique. Le 24 juillet, Jean Arthuis, sénateur UDI et président du conseil général de la Mayenne, publie un arrêté mettant fin à l’accueil par ses services des mineurs étrangers isolés. La décision provoque la colère du gouvernement. Et surtout celle de la garde des Sceaux. Début mai, Christiane Taubira avait publié une circulaire ayant comme objectif de répartir les 7 500 mineurs étrangers isolés sur le territoire national. Convoqué par la chancellerie, Jean Arthuis a dû renoncer à son arrêté. Mais son coup d’éclat est loin d’être le premier du genre. Déjà, en septembre 2011, Claude Bartolone, alors président du conseil général de Seine-Saint-Denis, ne voulait plus accueillir de nouveaux mineurs étrangers isolés…

Contacté par Le Point.fr, Jean Arthuis ne lâche toujours pas prise : la Mayenne ne peut pas accueillir toute la misère du monde. « Avant la publication de la circulaire, nous avions cinq jeunes à notre charge. Fin juin, nous en avions reçu neuf de plus. » Au-delà des frais engendrés, Jean Arthuis dénonce pêle-mêle la lenteur de l’administration, le manque de fiabilité de l’examen de l’âge osseux (une radio qui permet de déterminer l’âge du squelette, NDLR) et un système qui profiterait à l’immigration illégale. « Tous les jeunes ont la même histoire », argumente-t-il. Lors de sa convocation place Vendôme, Jean Arthuis apprend que la Mayenne doit accueillir « 0,51 % des mineurs étrangers isolés ». Stupéfait, le sénateur découvre aussi qu’aucun fichier ne centralise les demandes des mineurs étrangers isolés. Ce qui veut dire qu’un jeune dont la demande a été refusée à Paris peut aller tenter sa chance en Mayenne. Afin de parer au « problème », Jean Arthuis se prépare à déposer un projet de loi pour la création d’un tel fichier.

La voix des associations

Seules intermédiaires entre les demandeurs d’asile (mineurs ou majeurs) et les municipalités, les associations sont en première ligne. Pierre Henry, président de l’association France Terre d’asile, accuse Jean Arthuis de faire « de la petite politique ». Pour lui, nul doute, le président du conseil général de la Mayenne cherche tout simplement à désigner de nouveaux boucs émissaires. Pierre Henry va même jusqu’à l’accuser d’imposture : « 97 % des 250 000 mineurs pris en charge par les départements sont des ressortissants nationaux. »

De son côté, François Sureau, avocat et président-fondateur de l’association Pierre Claver (dont la mission principale est de fournir une aide juridique aux demandeurs d’asile, NDLR), juge que l’État est « assez défaillant depuis une dizaine d’années » sur la question des demandeurs d’asile. Pour cet énarque, l’État a tendance à déléguer des missions (logement, accueil) « dans des conditions discutables ». L’avocat pointe aussi du doigt « des délais de décision trop longs ». En conséquence de quoi François Sureau propose que les demandeurs puissent « travailler après six mois d’attente ». Quant à l’hébergement des réfugiés, François Sureau voit rouge : « Contrairement à ses obligations conventionnelles, la France ne loge pas plus du tiers des réfugiés. C’est une situation inacceptable en droit. »

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