Corruption généralisée « sous Ouattara, il n’y a plus de limites » selon Assalé Tiémoko

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Assalé Antoine Tiémoko | Facebook | 19 octobre 2013

Parfois, j’ai envie d’abandonner mon métier de journaliste, métier que j’ai embrassé par accident, après que le régime Gbagbo m’a obligé à renoncer à mon rêve entretenu pendant 22 ans, d’exercer la fonction de magistrat.

Plusieurs fois en bientôt deux ans, j’ai été à deux doigts d’informer mes collaborateurs que j’ai pris la décision de fermer l’entreprise Sneci, éditrice du journal «L’Eléphant Déchaîné», de revendre tous les équipements et utiliser l’argent pour investir dans un projet agricole en vivant pour toujours au village et en paix avec mon esprit.

Mais chaque fois, c’est en pensant à l’avenir de mes deux enfants (2 et cinq ans), à ce qu’ils pourraient penser de moi, à ce qu’on pourrait leur raconter, que j’ai renoncé à ce projet et que j’ai repris du courage.

Parce que, à force de faire le type de journalisme que nous essayons de faire, mes collaborateurs et moi, nous allons tous finir par devenir fous ! De constater que rien n’a changé et que les choses s’empirent.

Bien sûr, les bailleurs de fonds qui ne prospèrent que quand un pays va mal ou sort d’une crise, disent en dépit de tout, que tout va bien. Comme ils l’ont fait avec la Grèce, jusqu’à ce qu’on découvre un matin que ce pays était en faillite et que l’avenir de son peuple ne lui appartenait plus…

J’ai passé trois ans à risquer ma liberté à dénoncer la corruption du régime Gbagbo. Ça m’a conduit en prison pour 12 mois, pour un article de presse. Et l’impossibilité, en raison de mon casier judiciaire ainsi détruit par le régime, de passer le moindre concours administratif en Côte d’Ivoire.

Même quand j’ai créé «L’Eléphant Déchaîné» et que j’ai saisi par écrit le Procureur de la République en octobre 2011 pour l’informer de ma volonté d’être le directeur de publication de ce journal, on m’a répondu qu’en raison de mon casier judiciaire, je ne pouvais exercer cette fonction. J’ai dû trouver quelqu’un d’autre pour occuper ce poste et assumer à ma place, la responsabilité pénale de mes écrits, de même que ceux des autres journalistes de «L’Eléphant Déchaîné». Et tout ça, simplement parce que j’ai dénoncé la corruption qui avait enfoncé ses racines partout dans l’administration publique…

En matière de corruption, je croyais avoir tout entendu sous le régime Gbagbo. Lequel d’ailleurs justifiait cette situation par la rébellion créée par saint Soro Guillaume et ses camarades de feu. Mais là, je dois avouer que sous le régime Ouattara, il n’y a plus de limites. Les gens n’ont peur de rien.

Je ne sais plus le nombre d’opérateurs économiques de nationalité française, libanaise, béninoise, ivoirienne que j’ai rencontrés à leur demande et qui m’ont conté des mésaventures à vous pousser au suicide. J’ai raconté quelques-unes de ces mésaventures dans «L’Eléphant Déchaîné» et ceux qui lisent habituellement ce journal s’en souviennent certainement. Mais les faits racontés dans le journal ne sont que le millième de ce qui nous est dit et sont d’ailleurs profondément dilués afin de ne pas mettre en danger la vie des informateurs, la vie des victimes.

Parce que, non seulement ces opérateurs économiques sont grugés, escroqués, abusés, ruinés par des autorités au-dessus de tout soupçons, mais en plus, pour ne pas perdre le peu de contrat qui leur reste et surtout pour ne pas risquer leur vie (certains ont été menacés de mort ou retrouvés non vivant dans leur piscine ou c’est leur servante ou gardien qu’on a retrouvé flottant dans la piscine), ils préfèrent renoncer à mener le moindre combat, à autoriser que «L’Eléphant Déchaîné» produise un article sur leur dossier en citant les responsables impliqués, en faisant la lumière sur le processus de corruption instauré dans les appels d’offres. Ils veulent juste partager quelques mots avec un journaliste, comme pour le prendre à témoin, tout simplement…

J’ai passé parfois quatre heures au domicile de certains opérateurs économiques, à les écouter. Comme je l’ai fait il y a à peine trois jours avec cette dame qui a investi près 80 millions dans l’achat d’équipements après avoir remporté un appel d’offres et qui finalement, a perdu le marché, attribué d’autorité à un neveu du maître d’ouvrage, lequel venait de créer de toutes pièces une entreprise ayant le même objet que celle de la pauvre dame et qui, comble de la moquerie, n’a fait que copier-coller le devis déposé par la dame auprès du maître d’ouvrage afin que son bon de commande soit signé. Elle a tout perdu. Son argent et le marché. Elle a décidé de s’installer ailleurs.

Et que dire de cet autre opérateur économique, arrivé de France avec dans la valise, un gros projet, qui a acheté à prix d’or un terrain avec un ministère, a versé l’argent au trésor public et qui, au moment de démarrer les travaux de construction de son usine, s’est vu signifier que le terrain fait partie du domaine public et qu’il ne peut y entreprendre quoi que ce soit. «Ok, a dit l’opérateur. Remettez moi mon argent dans ce cas puisque c’est l’Etat lui-même qui m’a vendu le terrain». Depuis près de deux ans, il n’a plus d’interlocuteur et l’argent n’est toujours pas remboursé. Plus de 200 millions de FCFA. Fatigué de se battre contre un système bien huilé et à dépenser le peu qui lui reste dans des démarches interminables et à payer pour obtenir des rendez-vous avec des autorités, l’homme est retourné en France, tenter de convaincre ses associés qu’il ne les a pas roulés dans la farine en inventant une histoire…

Dans tous les secteurs d’activités, la gangrène sévit. Au vu et au su de tous. Il n’y a aucun recours pour les victimes (comme nous l’avons raconté dans «L’Eléphant Déchaîné» sur le cas de Bivac et le scanner au port d’Abidjan). Plus de 10 milliards que l’Etat doit verser en dédommagement à cette entreprise pour rupture abusive de contrat. Depuis, au sommet de l’Etat, on essaie de rattraper la «bêtise», mais aucune sanction pour ceux qui ont arraché le marché obtenu par Bivac après appel d’offres international sous Gbagbo, pour l’attribué par un gré à gré, à Webb Fontaine, l’entreprise de l’autre…et qui ne sait pas faire le ¼ de ce que faisait Bivac.

Bref, les marchés sont attribués à des bandits à col blanc qui créent des entreprises de toutes pièces, sans respecter aucune procédure, sans aucune expérience ou expertise, y compris dans des domaines aussi sensibles que le domaine médical. Rien, absolument rien ne les arrête.

Même certains Libanais qu’on croyait imbattables dans le domaine de la corruption ont les larmes aux yeux aujourd’hui. J’en ai rencontrés. Certains sont sur le point de mettre la clé sous le paillasson tant la concurrence déloyale qui leur est faite par des anciens chefs de guerre qui importent des marchandises par camions entiers en toute illégalité et sans payer la moindre taxe à l’Etat, est affreuse ! On n’arrête pas l’émergence !

La question qu’on se pose est de savoir comment de telles choses peuvent se produire dans un pays gouverné par Monsieur Alassane Ouattara ? Les opérateurs économiques à qui je dis souvent que le président n’est peut-être pas au courant de toutes ces pratiques répondent que «ce n’est pas possible qu’il ne sache pas ce qui se passe, parce que ce serait plus grave autrement». De plus en plus, je le crois aussi…devant le désert de réactions et de sanctions…

Tiémoko Antoine Assalé est le directeur général et gérant de la Sneci, société éditrice du bi-hebdomadaire ivoirien L’Eléphant déchaîné
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