Côte d’Ivoire – Sortons des combats historiques pour écrire l’histoire de notre combat

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«Qui piste un éléphant n’a pas besoin de faire tomber la rosée de l’herbe »

Proverbe ashanti

Texte proposé par Prao Yao Séraphin, délégué national à LIDER

Nous vivons emprisonnés dans un réseau dont nous ne pouvons nous libérer, sous l’œil et les projecteurs des occidentaux qui étudient froidement, peut-on dire, toute notre existence. Mais les africains ont le droit de mener le combat pour la liberté et la dignité. Dans cette course échevelée, le continent africain a perdu d’illustres fils et filles dans des combats parfois historiques. Certes, des victoires, il y en a eu tout comme des défaites. Mais la question essentielle qui mérite d’être posée est de savoir comment vivre et réussir de nos jours un combat dans un monde puissant et organisé, un monde inquiétant qui ne nous laisse pas le temps de voir ou de savoir où nous sommes, où nous allons, ni ce que l’on veut faire de nous.

Il est vrai qu’on ne doit pas se laisser dicter par les autres pour autant. Notre combat doit avoir un sens et une stratégie. Car il est l’heure, non pas d’inculquer aux populations africaines des slogans périmés et mensongers, mais de leur dire la vérité, toute la vérité sur le combat à mener et ses difficultés. La présente réflexion est une invite aux africains à revoir leurs méthodes de combat, les moyens dont ils disposent et le temps nécessaire pour vaincre.

1. Sortons des combats historiques

L’histoire a laissé aux générations africaines nées dans les périodes coloniales et postcoloniales diverses traces des combats historiques menés sur le continent noir. Ainsi, nous savons par exemple que, les Anglais, tout au long de leur séjour africain, ont fait face à des résistances plus ou moins meurtrières. L’une d’entre elles et non des moindres, restera toujours gravée dans les annales de leur histoire militaire. En effet, lors d’une bataille mémorable, un grand peuple de guerriers : les Zoulous, leur a tenu tête et en est sorti victorieux. Ces redoutables prédateurs s’appelaient, Ama zoulous (c’est-à-dire les célestes). A la tête de cette puissante organisation, il y avait un homme exceptionnel, un bâtisseur de nation encore resté dans la légende des grands chefs africains : Chaka Zoulou.

Ancien berger, il s’est révélé très tôt comme un grand stratège militaire. Les guerriers n’gunis feront d’abord appel à Chaka pour commander leur armée dans des guerres d’expansion. Il restera par la suite au pouvoir pour réorganiser cette nation. Chaka disait : Je ressemble à ce grand nuage où gronde le tonnerre. Alors mon peuple s’appellera Zoulou c’est-à-dire le ciel. Les victoires de ses armées sur d’autres nations guerrières sont mémorables.

Outre Chaka, nous avons aussi en mémoire les victoires du résistant dahoméen Béhanzin contre l’occupation coloniale. Au Sénégal, parmi ceux qui se sont élevés contre la traite et l’occupation coloniale, le plus combatif d’entre eux reste Lat Dior. Cheikh Ahmadou Bamba sera également l’un des derniers grands résistants africains du XXème siècle. Cet homme exceptionnel posera bien des problèmes aux autorités coloniales tant il n’était pas un adversaire classique que l’on peut combattre par les armes.
L’histoire ne peut oublier le nom de Soundjata Keïta ou Mari Djata Konaté, le premier empereur du Mandé, grand empire qui s’étendait de l’ouest du Sénégal au centre du Burkina Faso, du nord de la Mauritanie au nord de la Côte-d’Ivoire, du Libéria et de la Sierra Léone. Pour réaliser cet exploit, Soundjata a affronté le légendaire Soumaoro Kanté qui avait annexé toutes les provinces du Mandé plusieurs années durant. La première grande bataille qui a opposé les deux héros eut lieu à Kirina, une immense plaine située au cœur du Mandé. C’était une bataille mémorable, annonciatrice de la défaite de l’empereur sosso.

Après ces légendes, l’Afrique a encore perdu de valeureux fils comme Patrice émeri Lumumba au Zaïre, Thomas Sankara au Burkina Faso, Bartelemy Boganda en Centrafrique et Ruben Um Nyobé au Caméroun ; tous, figures emblématiques de la lutte pour une indépendance authentique des peuples africains. Et pourtant, l’on pouvait faire l’économie de l’assassinat de certains d’entre eux s’ils n’étaient pas engagés dans des combats historiques.

En clair, il faut le dire tout net et sans faux-fuyants : certains leaders de l’époque coloniale et même encore de nos jours se sont parfois lancés dans des luttes sans merci et en ont payé un lourd tribut alors que ces luttes étaient contre-productives.

2. Nous avons parfois mené des combats contre-productifs

Dans la tradition des grands guerriers africains, on ne se plie pas avant d’avoir livré bataille. Aujourd’hui, avec un peu de recul, nous pouvons dire que nous avons mené, certains moments, des combats contre-productifs. Et pourtant, le rapport de forces est l’une des composantes essentielles de la négociation et dans une lutte. Plus une partie est (ou se sent) forte, plus elle pourra mettre la pression sur son interlocuteur ou adversaire et plus elle aura de chances d’obtenir ce qu’elle veut. C’est dans le nombre et surtout le poids des arguments que l’on voit la puissance d’un négociateur. Les africains ont mené des luttes sans que l’on sache les forces sur lesquelles ils comptaient. Alors même que c’est si difficile de se battre, de s’organiser, d’essayer de tenir tête aux armes sophistiquées, aux médias inféodés au système colonial et spécialisés dans la désinformation des masses, les africains n’ont pas agi en stratège et se sont souvent engouffrés dans des luttes contre-productives. Avoir un rameau dans la main n’a jamais signifié qu’on était faible. L’expérience des combats menés par nos devanciers dans la lutte pour la dignité des peuples africains doit susciter des réflexions approfondies sur les méthodes adoptées. A notre avis, il serait vain de penser vaincre sans méthode et sans stratégie. Les Africains doivent sortir des combats historiques qui ont été contre-productifs pour écrire ensemble les pages de l’histoire de leur combat.

3. Ecrivons ensemble l’histoire de notre combat

Tout a été dit ou presque sur la mauvaise marche de l’Afrique. De « L’Afrique noire est mal partie » (René Dumont, 1966), en passant par « Et si l’Afrique refusait le développement ? » (Axelle Kabou, 1991), pour arriver à « L’aide fatale » (Dambisa Moyo, 2009), c’est un afro-pessimisme permanent qui est cultivé sur le continent. Et pourtant, l’Afrique a besoin de guérir sa conscience. Cela passe certainement par le développement du continent. Et dans un monde interdépendant, les enjeux sont colossaux et les rapports de force également. Mais les Africains doivent mener des combats contre la misère, l’impérialisme, la division, la dépendance, etc. Pour gagner ces différents combats, il faudra gagner des batailles décisives. Cependant, il est illusoire de croire qu’on aura un Président ou un guide qui résoudra nos problèmes par un coup de baguette magique. Dans ce grand combat pour redonner la dignité aux peuples africains, la route sera longue et il reviendra à chaque génération de mener le combat qui est le leur. Une fois que l’on a compris cela, le combat prend alors une dimension nouvelle. L’histoire singulière d’Ang San Suu Kyi reflète bien ce que nous proposons aux Africains pour réussir nos luttes. Plus de vingt ans après avoir été désignée prix Nobel de la paix, Aung San Suu Kyi est venue chercher son prix en personne, à Oslo, le 16 juin 2012. L’opposante birmane, assignée à résidence pendant des années, est devenue une personne libre. Mais près d’un an plus tard, si la communauté internationale continue à voir Aung San Suu Kyi comme une égérie, le concert de louanges a laissé place à quelques fausses notes en Birmanie. Elle est accusée de trahison parce qu’elle a tourné le dos au combat historique. Aung San Suu Kyi est l’incarnation de la lutte pour les Droits de l’Homme et représente la victoire de la résistance pacifique face à l’oppression militaire. Elle a compris que pour gagner cette lutte, elle doit gagner le support des militaires pour pouvoir les changer. Trop se mettre en avant et trop les irriter, ce serait mettre en péril sa marge de manœuvre. Telle est la stratégie de celle qui refuse les combats historiques pour écrire l’histoire de son combat en Birmanie.
L’Afrique est encore dans les chaînes et les Africains doivent donc lutter pour se libérer. Comme le dit le penseur Camerounais Achille Mbembe : « les indépendances de 1960 n’ont malheureusement pas brisé les chaînes de l’oppression : le pillage des ressources naturelles, moteur de la colonisation, perdure encore aujourd’hui et les dettes des pays en voie de développement, héritage colonial, constituent un très puissant instrument de domination politique et économique ». Mais dans cette lutte, il nous faut la rationalisation. Une lutte a besoin d’un minimum d’organisation : un processus, des tâches précises, un planning rigoureux, une séparation des rôles et une complémentarité des responsabilités, une gestion rigoureuses du temps, un engagement des parties-prenantes, une méthode et une efficacité des agents. Les Africains doivent comprendre qu’on ne gagne une lutte que sur la durée ; et chaque génération doit gagner la sienne pour que sur une échelle brève de l’histoire, notre continent sorte victorieux de ce combat qui n’a que trop duré. C’est d’ailleurs l’avertissement que donne Frantz Fanon lorsqu’il écrit : « Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, l’accomplir ou la trahir ».

Conclusion

Du constat général, le développement économique des pays africains est toujours à la traîne après des décennies d’indépendance. Les africains, non seulement ne sont pas libres mais également ne savent pas comment mener les combats. A travers cette réflexion, notre ambition était claire et simple : proposer une autre voie aux Africains dans leur lutte pour la liberté et la dignité. La science ne s’effectuant en effet que par des remises en question successives, nous avons proposé aux Africains d’abandonner les combats historiques pour que chaque génération écrive l’histoire de notre combat pour la liberté.

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