Côte d’Ivoire – le rapport 2014 peu réluisant de Human Rights Watch

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(Agence Ecofin) – Au cours de l’année 2013, le gouvernement du Président Alassane Ouattara a réalisé des progrès dans la création du cadre législatif pour un plus grand respect des droits humains et dans la garantie d’une meilleure discipline au sein des forces de sécurité. Des progrès, quoique insuffisants, ont été accomplis pour renforcer l’indépendance du système judiciaire, assurer l’obligation de rendre des comptes pour les crimes commis pendant la crise postélectorale de 2010-2011 et s’attaquer aux causes profondes des violences commises dans le pays depuis dix ans — notamment l’impunité, la corruption, les conflits fonciers et la prolifération des armes légères.

Les exactions des forces de sécurité ont diminué en comparaison avec 2012, en partie grâce aux efforts du gouvernement. Cependant, les membres des forces de sécurité ont continué à se livrer à de nombreuses violations des droits humains et à des actes criminels, notamment des arrestations arbitraires, le traitement cruel et inhumain de détenus et l’extorsion de fonds aux postes de contrôle.

La justice à sens unique pour la crise postélectorale a sapé la réconciliation et, associée aux faiblesses persistantes au sein du système judiciaire, a entravé les progrès dans l’établissement de l’État de droit. Alors que les autorités ivoiriennes ont mené des enquêtes et mis en accusation de nombreux partisans de l’ancien président Laurent Gbagbo pour leur rôle dans la violence postélectorale, il y a eu une absence quasi complète de justice pour les crimes graves commis par les forces du président Ouattara. Le gouvernement a fait quelques efforts pour améliorer l’accès à la justice pour d’autres crimes, notamment par l’ouverture d’un nouveau tribunal dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, mais la corruption et le manque d’indépendance du système judiciaire restent une préoccupation générale.

La situation sécuritaire du pays s’est améliorée, même si les conflits fonciers ont couvé dans l’ouest de la Côte d’Ivoire sans réponse efficace de la part du gouvernement, contribuant ainsi à plusieurs attaques transfrontalières en provenance du Libéria et à des violences intercommunautaires à petite échelle. Alors que le désarmement avan- çait lentement, le pays est resté inondé par les armes à feu, souvent entre les mains d’anciens combattants mécontents.

Certains partenaires de la Côte d’Ivoire, notamment les Nations Unies et les États- Unis, ont fait preuve d’une plus grande volonté de critiquer le manque de justice pour les crimes passés, tandis que d’autres, notamment la France, sont restés largement silencieux. La Cour pénale internationale a poursuivi ses enquêtes, bien qu’un grand nombre d’Ivoiriens aient critiqué le manque de progrès dans l’enquête sur les crimes commis par les forces pro-Ouattara.

Justice nationale pour les violences postélectorales

Le gouvernement Ouattara n’a pas tenu sa promesse de rendre une justice équitable et impartiale pour les crimes commis pendant la crise postélectorale de 2010- 2011. Cette crise a été l’aboutissement d’une décennie de conflit politico-ethnique lors de laquelle les forces de sécurité, les forces rebelles et des milices alliées ont systématiquement commis des crimes graves en toute impunité.

En ce qui concerne le camp de Gbagbo, les autorités ivoiriennes ont mis en accusation plus de 150 dirigeants civils et militaires, dont au moins 55 pour crimes de sang. Cependant, elles ont failli à leurs obligations en s’abstenant d’inculper un seul membre des Forces républicaines pro-Ouattara pour les crimes graves qu’elles ont commis durant la crise. Les enquêtes en cours semblent également être à sens unique. Une commission nationale d’enquête a signalé en août 2012 que les membres des deux camps avaient perpétré des centaines d’exécutions sommaires ; pourtant, selon les Nations Unies, au mois de juillet 2013, seules trois des 207 enquêtes qui avaient été ouvertes concernaient des membres des forces pro-Ouattara.

Des procès militaires contre plusieurs dirigeants militaires clés sous la présidence de Gbagbo devaient s’ouvrir à la fin novembre. Au moment de la rédaction de ce chap- itre, les tribunaux civils n’avaient pas encore commencé les procès pour les crimes postélectoraux, ce qui signifie que la plupart des accusés pro-Gbagbo ont langui en détention provisoire pendant deux ans et demi, en violation de leur droit à un procès dans un délai raisonnable. Les autorités ivoiriennes ont libéré provisoirement 14 accusés pro-Gbagbo au début août.

La Cour pénale internationale

Le 30 septembre, la Cour pénale internationale (CPI) a levé les scellés d’un mandat d’arrêt contre Charles Blé Goudé, le ministre de la Jeunesse sous Gbagbo, pour quatre chefs d’accusation de crimes contre l’humanité, à la suite de la levée des scellés en 2012 de mandats d’arrêt contre Laurent et Simone Gbagbo. De nombreux Ivoiriens ont fini par être désabusés par l’absence de progrès dans l’enquête sur les crimes commis par les forces pro-Ouattara, bien que le Bureau du Procureur ait souligné que ses enquêtes allaient en fin de compte prendre pour cible les deux camps.

Le 15 février, la Côte d’Ivoire a ratifié le Statut de Rome, faisant ainsi un pas positif dans la lutte contre l’impunité. En octobre, 18 mois après que la CPI a émis un mandat d’arrêt contre Simone Gbagbo, le gouvernement ivoirien a déposé une exception d’irrecevabilité contestant son transfert au motif qu’elle fait déjà l’objet de procédures judiciaires en Côte d’Ivoire, essentiellement pour les mêmes crimes. Le gouvernement n’a pas encore répondu au mandat contre Blé Goudé, ce qui soulève de nouvelles préoccupations au sujet de son intention de coopérer pleinement avec la CPI.

En juin, la Chambre préliminaire de la CPI a demandé au procureur d’envisager de fournir des preuves supplémentaires dans l’affaire contre Laurent Gbagbo, tandis qu’elle décide de confirmer ou non les quatre chefs d’accusation de crimes contre l’humanité.

Abus commis par les forces de sécurité

Le gouvernement et l’armée ont fait de la formation des forces armées en matière de droits humains une priorité, contribuant peut-être ainsi à une diminution du nombre d’abus. Cependant, les membres des forces de sécurité ont continué à procéder à des arrestations et à des détentions arbitraires ; au traitement cruel et inhumain de détenus ; ainsi qu’à de fréquents actes d’extorsion et de vol aux postes de contrôle routiers. Le gouvernement a pris des mesures occasionnelles pour réduire l’extorsion aux postes de contrôle, notamment par l’arrestation de certains soldats impliqués, mais le problème est resté très répandu.

Les autorités ont fait peu de progrès en ce qui concerne la justice pour les graves abus commis par les forces de sécurité depuis que Ouattara a pris ses fonctions, notamment l’attaque de juillet 2012 contre le camp de personnes déplacées de Nahibly, qui a fait au moins 12 morts ; et le recours généralisé aux détentions arbitraires, le traitement cruel et inhumain et les actes de torture qui ont eu lieu en août et septembre 2012, à la suite de plusieurs attaques contre des établissements militaires. Il n’y a eu aucune poursuite pour ces crimes, même si les autorités ont ouvert des enquêtes dans l’affaire de Nahibly.

Le procureur militaire a mené des enquêtes et des poursuites contre des soldats dans d’autres affaires, moins politiquement sensibles, y compris pour meurtre et pour vol. Bien que ces poursuites aient été importantes, elles suggèrent également que l’absence de poursuites dans les cas les plus sensibles découle d’un manque de volonté politique.

Droits fonciers

Au cours de la crise postélectorale, la violence a entraîné le déplacement de centaines de milliers de personnes, que ce soit en tant que réfugiés ou bien à l’intérieur même de la Côte d’Ivoire. Un grand nombre de personnes sont rentrées chez elles et ont retrouvé leur terre occupée illégalement par le biais de ventes illicites ou, dans certains cas, d’occupations hostiles — violant ainsi leurs droits de propriété, ainsi que leurs droits en tant que réfugiés de retour au pays.

En août, le gouvernement a adopté des réformes concernant les lois foncières et de nationalité, en reconnaissant à juste titre leur lien avec les récentes violences politico- militaires. Cependant, il a omis de soutenir adéquatement les mécanismes administratifs et judiciaires locaux impliqués dans la résolution des conflits fonciers, laissant un grand nombre de personnes dans l’incapacité d’accéder à leurs terres plus de deux ans après la crise. Plusieurs attaques en mars 2013 contre des villages ivoiriens proches de la fron- tière libérienne étaient liées à la dépossession de terres, illustrant le risque de futures violences si le gouvernement ne garantit pas la juste résolution des litiges fonciers.

Désarmement et réforme du secteur de sécurité

Le gouvernement ivoirien a progressé lentement dans la réforme du secteur de la sécurité et dans le désarmement des dizaines de milliers d’anciens combattants qui se sont battus pendant la crise. Selon l’ONU, à juin 2013, le gouvernement avait désarmé et démobilisé environ 6 000 ex-combattants. Certains anciens combattants armés se sont livrés à la criminalité violente, tandis que d’autres ont organisé des manifestations dans plusieurs villes pour protester contre la lenteur des progrès des programmes de réinsertion.

Il y a eu une amélioration en 2013 concernant le retour des fonctions de sécurité de l’armée à la police et à la gendarmerie, mais l’armée a maintenu une présence aux postes de contrôle routiers et en ce qui concerne la conduite de la riposte aux menaces de sécurité interne. Bien qu’ayant maintenu une présence moins visible qu’en 2011 et 2012, un grand nombre de jeunes ayant combattu au sein des forces pro-Ouattara pendant la crise ont continué à exercer des fonctions de sécurité sous les ordres de commandants de l’armée. Plusieurs commandants militaires impliqués dans de graves violations des droits humains occupent toujours des postes clés.

Violence sexuelle

La violence sexuelle reste un problème majeur. L’ONU a signalé au moins 100 cas de violence sexuelle au cours du premier semestre de 2013, dont un grand nombre contre des enfants. Bien que cela ne soit pas requis par la loi, si la victime ne présente pas un certificat médical, pour lequel elle doit payer, les autorités ivoiriennes refusent souvent de mener des enquêtes. L’obligation de rendre des comptes pour les actes de violence sexuelle est encore amoindrie par l’état dysfonctionnel de la cour d’assises, le tribunal ivoirien mandaté pour juger de telles affaires. Par conséquent, les autorités sont souvent contraintes de rétrograder le délit de viol comme attentat à la pudeur, pouvant être poursuivi devant d’autres tribunaux, mais passible de sanctions bien moindres.

Avec l’aide de l’ONU, le gouvernement ivoirien est en train de finaliser une stratégie nationale de lutte contre la violence sexuelle. Le gouvernement et l’armée ont également priorisé la réduction des violences sexuelles par les forces de sécurité. S’il s’agit
là d’étapes importantes, des lacunes au sein des forces de l’ordre et du système judiciaire ont continué à entraver les enquêtes et les poursuites relatives à la plupart des cas de violence sexuelle. En outre, l’accès des victimes aux services de santé et psychosociaux reste limité, en particulier en dehors d’Abidjan.

Corruption

Le Groupe d’experts des Nations Unies, nommé par le Conseil de sécurité afin de surveiller le régime de sanctions en Côte d’Ivoire, a indiqué en avril que d’anciens seigneurs de guerre rebelles — maintenant commandants dans l’armée ivoirienne — détournent des millions de dollars de l’économie ivoirienne au moyen de la contrebande et d’un système de taxation parallèle sur le cacao, le bois et d’autres produits d’exportation. Ces pratiques de corruption pourraient saper les efforts visant à améliorer l’accès à la santé et à l’éducation, entre autres droits.

En novembre, 14 anciens responsables du secteur du cacao, initialement mis en accusation en 2008, ont été condamnés pour avoir détourné des centaines de millions de dollars entre 2002 et 2008. Les autorités n’ont pas encore enquêté de manière crédible sur le rôle de responsables politiques de haut niveau qui auraient également été impliqués et auraient en partie utilisé les fonds détournés pour acheter des armes.

Principaux acteurs internationaux

Plusieurs partenaires internationaux de la Côte d’Ivoire, dont la France, sont restés largement silencieux sur l’absence de justice pour les auteurs de crimes passés, omettant ainsi de tirer les leçons de l’histoire de la Côte d’Ivoire quant aux coûts dangereux de l’impunité.

L’Union européenne, la France et les États-Unis ont appuyé la réforme du secteur judiciaire et de sécurité, avec la mission de l’ONU en Côte d’Ivoire (ONUCI), qui a également surveillé les violations de droits humains et a aidé à mettre en œuvre une formation aux droits humains pour les forces de sécurité.

L’expert indépendant sur les droits de l’homme en Côte d’Ivoire, nommé par le du Conseil des droits de l’homme (CDH) de l’ONU, a publié des rapports en janvier et juin, en soulignant, entre autres, des préoccupations concernant le caractère à sens unique de la justice pour les crimes postélectoraux et son impact sur la réconciliation.

Plus d’informations

www.hrw.org/sites/default/files/reports/wr2014fr_web.pdf

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