Côte d’Ivoire le nerf de la crise – incertitudes et puzzle

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Shlomit Abel, 16 février 2014

Notre crise dite post électorale a viré à la crise post sciatique. En effet, depuis fin janvier, les problèmes de santé de Mr Ouattara ne passent plus inaperçus. Et le retour en Airbus A380 de Madame, surmédiatisé, a fait oublier quelques jours seulement l’indisponibilité de Monsieur, contraint d’urgence de regagner la “mère patrie” pour raisons personnelles. Les communiqués de la présidence se font rares : « tout va pour le mieux », c’est le peu qui filtre, tantôt confidences de proches de Hambak, tantôt celles de proches de Soro.

Ouattara aurait été opéré une fois, puis on a évoqué une seconde intervention, les médias francophones s’en sont mêlés; après RFI, TV5, la Lettre du continent, voici la version « Jeune Afrique » nous présentant un président opéré d’une « sténose du canal lombaire ». Mais nous voilà de suite rassurés, le journal bien informé nous annonçant le retour de Ouattara, après une convalescence bien méritée, d’ici la mi-mars.

Curieusement, les communiqués proviennent de journaux qui n’ont semble-t-il pas posé la question à des médecins compétents, mais à des « connaisseurs » des arcanes de l’univers diplomatique, ces devins capables de vous diagnostiquer la bonne santé de quelqu’un, rien que sur consultation d’une simple photo d’archives retouchée à la photoshop, recolorée à souhait, rajeunie, comme le ferait une madame Soleil devant sa boule de cristal. Quand à la version « jeune Afrique », elle nous fait assister en différé à l’opération, -unique-, et nous tremblons aux côté du malade. Pensez-donc, cette ‘laminectomie’ aurait duré trois longues heures !

Aujourd’hui nous retiendrons que Madame Ouattara serait très occupée à trouver un lieu calme pour la bonne convalescence de son époux : quittant en principe l’hôpital cette semaine, son épouse cherche un endroit sympathique, trois semaines ou plus sur les bords de Seine, la Côte d’Azur, peut-être même la Riviera suisse… Nous pourrions suggérer à Mamadou Koulibaly d’aider la première Dame, qui pense d’abord « français » avant de penser « ivoirien », non pas par parti-pris, mais parce qu’elle est déboussolée en ce moment. Pourquoi ne pas prévoir un temps de repos dans le palais ancestral de Kong ? Cela clouerait enfin le bec aux mauvaises langues : Ouattara pourrait renouer avec tous ses amis d’enfance perdus de vue, faute de temps à leur consacrer. Ou alors, pourquoi ne pas lui permettre de goûter un repos bien mérité dans sa résidence fortifiée, financée par les deniers ivoiriens, et dont il n’a certainement pas beaucoup eu l’heur de jouir, sans cesse attelé à la tâche, dans l’un de ses bureaux terrestres ou aériens. Notre leader du Lider, spécialiste en Constitution et en Économie, pourrait au passage nous expliquer pourquoi Ouattara a préféré l’énorme dépense d’un nouveau palais, plutôt que de relooker le « bunker » de Laurent Gbagbo, il est vrai légèrement dégradé par les tirs et bombardements français, la semaine qui a précédé le 11 avril 2011. Mais justement, en matière d’économies, la Côte d’Ivoire aurait tout eu à y gagner, puisque à l’ombre de cette France voulue par Nicolas Sarkozy, ex-ministre de l’Intérieur, puis futur ex-Président des Français, les casseurs sont (en principe) toujours les payeurs.

Quoi qu’il en soit, il va sans dire que dans la version quasi officielle des péripéties sanitaires du chef, tout est bien qui finit bien : le président souffre d’une sciatique comme d’autres souffrent d’une crise de goutte, d’une indigestion, ou d’un coup de fatigue. La suite réside dans l’explication pédagogique du mal, partant de la version simple, niveau CP : mal de dos = sciatique, puis passant crescendo de la version semi-cultivée -“hernie discale”-, puis cultivée -“hernie inguinale”-, à celle, de plus en plus savante, évoquant d’abord le “canal rachidien”, pour aboutir en apothéose à la “sténose du canal lombaire”. En fait, c’est la même information, le tout, c’est d’être branché sur le bon canal pour bien la comprendre, que l’on soit simple Dozo, Dozo presque diplômé comme Hambak, ou com’zone en complet veston.

ADO

Et maintenant, Chef, quelle suite ?

D’un côté nous avons pu voir le tandem Hambak/ première Dame entourer le président, et le dauphin constitutionnel Soro débouté, mais souriant. Son service de Com nous le signale en Iran du 15 au 20 février, missionné par le Président, avec lequel il communiquerait téléphoniquement chaque jour, voire même trois fois par jour. Un article dithyrambique de Franklyn Nyamsy, reconnu par certains comme la plume de Soro, nous présente cette image idyllique d’un tandem Ouattara et Soro dans les meilleurs termes qui soient.

Selon Chantal Ozoua, ce qui se trame à l’abri des regards, n’est autre que la fébrile tentative de prendre en compte tous les facteurs de la situation, afin d’arriver au compromis le plus large possible, ménageant toutes les susceptibilités ou presque, sans que l’on sache encore qui sera malgré tout et fort malheureusement sacrifié au passage, raison d’état oblige…

Alors, Ouattara malade, convalescent, en pleine possession de ses moyens ? ou très diminué comme l’affirment certaines sources médicales underground qui ne peuvent pas s’exprimer sans attirer les foudres du ministre de l’Intérieur ? Je vous livre ces quelques phrases d’un journaliste ivoirien qui m’a écrit il y a deux jours : « Selon les spécialistes que j’ai consultés, quand on opère une sciatique avec succès, le patient a le choix entre la paralysie des membre inférieurs ou celle des membres supérieurs. S’il n’y a pas mensonge du gouvernement ivoirien, et si la convalescence se passe bien, Ouattara nous reviendra sûrement dans une chaise roulante ou comme un légume. » Le problème se pose donc en ces termes: va-t-on vers une « vacance du pouvoir », ou vers un « intérim » ? Ceci bien sûr dans l’hypothèse du scénario le plus optimiste quant à la résolution de la crise post-sciatique.

En coulisses, depuis quelques semaines, probablement depuis que Ouattara s’est adjoint une équipe médicale française à demeure, on assiste, entre Abidjan et Paris, à un ballet incessant de valises diplomatiques avec porteurs, ministres, dignitaires de tous grades et professionnels de la politique, sans parler des petites fourmis françaises besogneuses qui s’activent des deux côtés de la mer …

Comme je l’avais déjà écrit, si madame Ouattara avait été Sénégalaise comme ce brave ministre du budget Abdelhamane Cissé, ou si elle avait davantage copié le look de sa collègue camerounaise Chantal Biya, en optant pour quelques variantes esthétiques et quelques séances en caisson UV, on aurait pu d’emblée lui confier l’intérim, en attendant la sortie de cette crise médicale.

Dans les officines françaises de France et de Côte d’Ivoire, il semble que l’on s’acheminerait vers le cocktail suivant : la mise en avant de madame Ouattara, à qui son adjoint Hamback servirait de « caution constitutionnelle ». Suivant une recette à peine revue et corrigée, on sortirait du chapeau d’une “légalité” sur mesure l’article 48 préconisant non pas une vacance du pouvoir, mais un intérim, prolongeable façon régence jusqu’aux prochaines élections. Cet intérim permettrait à madame Ouattara de conserver sa place de “maître à bord”, couverte jusque-là par l’ombre de son époux, avant de l’être désormais par celle d’une personne de confiance, Madame Sako, première vice-présidente de l’Assemblée Nationale, “affidée du couple Ouattara et femme de paille de Dominique”. Ajoutez au cocktail un zeste de constitutionnalité, grâce au juriste François Wodié, totalement acquis aux Ouattara, et le tour est joué. Il faudra bien sûr court-circuiter Soro Guillaume, le mandat de la CPI ne pouvant malheureusement pas être ignoré plus longtemps. Bédié, quant à lui, pourrait enfin obtenir de cette Assemblée Nationale de complaisance le vote de son statut honorifique de président adjoint.

Voici ce qu’écrit Marie Chantal Ozoua : « Les tuteurs, compte tenu de toutes les batailles de succession entre un dauphin constitutionnel, Soro Guillaume et un dauphin présomptif, Hamed Bakayoko, optent pour une solution bâtarde : faire assumer par un intérimaire la présidence… en faisant signer à Ouattara une ordonnance en vertu de l’article 48 de la constitution : “Lorsque les institutions de la république, l’indépendance de la nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacés d’une manière grave et immédiate ; et que le fonctionnement des pouvoirs constitutionnels est interrompu, le président de la république prend les mesures exceptionnelles exigées par ces circonstances après consultation obligatoire du président de l’assemblée nationale et celui du conseil constitutionnel. Il en informe la nation par message. L’assemblée nationale se réunit de plein droit.” »

Il semblerait pour l’instant que le refus de laisser Michel Gbagbo partir pour la France, aille à l’encontre de cette thèse ; mais à observer sur le terrain la rivalité opposant Hambak à Soro, l’interdiction faite à Michel Gbagbo de quitter la Côte d’Ivoire ne profite qu’à Soro, puisque c’est Hambak, son rival, qui en a pris l’initiative.

Il faut bien comprendre que cette affaire Michel Gbagbo n’est qu’une manœuvre destinée à endormir momentanément les Ivoiriens, en détournant leur attention du cours des événements actuels : l’état de santé réel du président Ouattara, toujours hospitalisé à l’hôpital militaire de Clamart, et le renforcement de l’assistance française : un contingent de 120 à 200 militaires en provenance de Poitiers, a discrètement débarqué le 15 février, tandis que l’on signale des mouvements de convois d’armes et de munitions vers le Nord, en direction de Korhogo, ainsi que la livraison de plusieurs avions. Quelques bateaux ont aussi été aperçus. A la libération annoncée d’une soixantaine de sympathisants pro gbagbo s’est substituée celle de 250 FRCI braqueurs, ayant pour la plupart du sang sur les mains. Et je ne vous parlerai pas de la plus grande commande jamais reçue par un chantier naval français -celui de Quimper en l’occurrence- : 30 bateaux dont « trois patrouilleurs de 33 mètres du type RPB 33, quatre vedettes de 12 mètres du type RPB 12 et six embarcations rapides de 9.3 mètres pour commandos ».

Bref, derrière le sourire de madame Ouattara, qui ne renonce pas à trouver les derniers financements pour sa vitrine “mère enfant”, se cache plus que jamais une réalité ivoirienne pour laquelle il y a du souci à se faire. Soro ne va pas se laisser mener à l’abattoir sans se défendre, et les français, attentistes, passant du plan A comme Alassane au plan B comme Bakayoko, n’ont pas tous les éléments en main. Que savent-ils de la réactivité des Ivoiriens ? Ces derniers vont-ils continuer à courber l’échine et baisser les bras ? Le climat de peur et de terreur peut-il se perpétuer indéfiniment ? Et la pile du patient Ouattara tiendra-t-elle ses promesses jusqu’en 2015 ? Beaucoup de pièces du puzzle n’ont pas encore trouvé leur place, mais c’est aux Ivoiriens de décider si la télécommande de leur avenir doit encore être tenue par des mains parisiennes, ou si le moment n’est pas venu de changer à la fois de film et d’acteurs.

Shlomit Abel, 16 février 2014

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