« Casse » d’Abobo: difficile cohabitation entre riverains et ferrailleurs

Crédits: Alfred Kouamé
Crédits: Alfred Kouamé


La «Casse d’Abobo» est le premier quartier que l’on rencontre en provenance d’Adjamé, par la voie express. Sa superficie est estimée à plus de 18 hectares. Selon Coulibaly Vally, directeur technique de la mairie, les origines de ce site remontent au milieu des années 1990.

L’un des problèmes auxquels sont confrontés les habitants de la commune d’Abobo est sans doute l’implantation inopinée de la ferraille sur un site que les autorités communales ne destinaient pas à cette activité.

Aujourd’hui, la cohabitation entre les occupants de cet endroit et les riverains est devenue difficile.

La «Casse d’Abobo» est le premier quartier que l’on rencontre en provenance d’Adjamé, par la voie express. Sa superficie est estimée à plus de 18 hectares. Selon Coulibaly Vally, directeur technique de la mairie, les origines de ce site remontent au milieu des années 1990. En effet, raconte-t-il, tous les occupants de ce site étaient basés à Adjamé. « Plusieurs ferrailleurs ont été victimes d’incendies volontairement provoqués par de sinistres individus. Demeurant à Abobo, certains ont demandé aux autorités de s’installer sur l’actuel site pour continuer d’exercer leurs activités. C’est ainsi que le premier groupe y a été installé ». Cependant, c’est à partir de 2002, au début de la rébellion en Côte d’Ivoire, que la migration des ferrailleurs s’est intensifié. Des ateliers, garages, magasins, véhicules, et marchandises diverses avaient été saccagés ou incendiés encore à Adjamé. L’on se demande aujourd’hui si le Conseil municipal a bien réagi en autorisant de 1996 à 2002 les ferrailleurs à s’installer sur ce site prévu pour des résidences.

Le problème est plus complexe et les mêmes autorités doivent plutôt résoudre les multiples équations consécutives à cette implantation mal préparée. Étant donné quede nombreux riverains se plaignent de l’insécurité, des nuisances sonores, des questions d’environnement consécutives au désordre vécu au quotidien, aux embouteillages et aux difficultés liés à l’assainissement du quartier.

Agnissan S. D. habite un appartement dans les environs du collège Anador. Il ne parvient plus à avoir facilement accès à son domicile, vu que la principale rue qu’il devrait emprunter pour y arriver est encombrée par les résidus de fer. « Quand j’emprunte un taxi, je ne peux accéder à mon domicile. Le chauffeur est obligé de s’arrêter sur la voie express, parce que la rue qui mène à mon domicile est jonchée d’immondices de ferrailles », commente cet habitant. Une visite des rues donne entièrement raison à note interlocuteur. De fait, pendant la journée, lorsqu’ils sont en pleine activité, les ferrailleurs exposent leurs marchandises devant les magasins. Certaines voies sont totalement obstruées. Parfois, des véhicules en épave sont démontés et leurs pièces revendues sur place, à la criée. Ce commerce draine du monde.

Par ailleurs, le soir, lorsque les magasins sont fermés, certains articles non essentiels et des déchets dérivés de ces activités informelles sont entassés et abandonnés sur la voie. C’est le triste spectacle qu’offre la quasi-totalité des principales artères de la Casse. On peut également noter le grand tas de fer compacté et apparemment abandonné. « Ce sont des stocks invendus. Des entreprises rachètent ce fer mort. Parfois, la demande est forte, si bien qu’elles sont obligées de laisser une bonne quantité en attente pour tenir compte de leur capacité de traitement », révèle un ferrailleur.

Évidemment, dans de telles conditions, ces endroits restent très insalubres et les huiles de vidange des moteurs dégradent considérablement l’environnement. Ces huiles, le gasoil, l’essence et bien d’autres produits dérivés, de couleur noirâtre mêlée à l’eau de ruissèlement, coulent dans les rues du quartier dépourvues de caniveaux. Elles dégagent des odeurs suffocantes et nauséabondes.

De plus, les riverains évoquent l’insécurité. Selon eux, certains ferrailleurs sont impliqués dans les vols et autres agressions dans leur quartier. Diallo Aboubakar, secrétaire général de l’Association des ferrailleurs de Côte d’Ivoire (Afer-Ci), rejette cette accusation. Pour lui, ce sont plutôt les enfants des riverains qui ont, plus d’une fois été appréhendés à la suite de vols.

« Nous avons peur la nuit. Vu que ces installations ne sont pas suffisamment éclairées. Cet endroit est un repaire de bandits qui en profitent pour agresser les citoyens », ajoute dame Kouyaté Mariam, habitante du quartier Anador. Son domicile est totalement entouré d’ateliers de ferrailleurs.

«Des clients viennent directement avec leurs véhicules et les font réparer sur place ; alors qu’en réalité, nous n’avons pas prévu cela sur le site. Cette situation a pour conséquence, le bruit. Vous savez qu’ici, c’est de l’artisanat pur. Parfois, pour démonter certaines pièces, il faut donner des coups de marteau. Cela gêne aussi les riverains, étant donné que quelques ateliers sont mitoyens aux domiciles », reconnaît Cissé Amadou, président local de l’Association des ferrailleurs des casses modernes de Côte d’Ivoire (Afecam-Ci). Celui-ci se dit conscient des désagréments subis au quotidien par les riverains. C’est pourquoi, il souhaiterait le recasement des travailleurs sur un autre site plus approprié et où ils ne gêneront plus le voisinage.

La fluidité routière mise à mal et l’occupation des trottoirs de cette voie express au niveau de la « Casse » préoccupent tout autant. Un véritable casse-tête pour tous. En effet, les activités de la Casse drainent beaucoup de monde: revendeurs de pièces, clients, mécaniciens. Pour mieux exposer leurs marchandises, certains revendeurs de pièces n’hésitent pas à occuper une partie des trottoirs, de cette voie express. Les voies intérieures étant obstruées ou impraticables, les automobilistes stationnent donc sur une partie de la chaussée. Ce qui est interdit. Pour ne pas arranger les choses, les chauffeurs de minicars ou « Gbaka », irrespectueux du code de la route, marquent des arrêts ou stationnent pour prendre ou descendre des passagers. Résultat : la voie est bouchée. On assiste à un embouteillage monstre. Aux heures de pointe, la chaussée rétrécie n’a plus qu’une bande de roulement, les 2 autres étant bouchées par des automobilistes indisciplinés.

Les autorités municipales ont initié des actions. En vain. De la sensibilisation au déguerpissement, en passant par la mise en fourrière des engins stationnés à ces endroits interdits, rien n’y fit. L’on se rappelle qu’en 2012, Koné Gaoussou, commandant du groupement tactique 9 des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (Frci), a entrepris une action de déguerpissement pour rendre fluide la circulation routière. La présence des agents des forces de l’ordre a permis, un tant soit peu de régler la question. Mais lorsqu’ils se sont retirés quelques jours après, le désordre a repris, de plus belle. « On a tout essayé. On a procédé à des déguerpissements, mais les gens se sont réinstallés. En tout cas, rien n’a évolué à la Casse d’Abobo », avoue Coulibaly Valy, directeur des services techniques de la mairie d’Abobo.

Toujours dans l’optique de trouver une solution durable à la question de l’engorgement de ce lieu, les différentes associations de ferrailleurs ont même installé une brigade qui a pour rôle de réguler la circulation routière. Cette mission a été confiée à des jeunes volontaires de la Casse. Ici encore, nous avons appris que les différents syndicats et organisations ne sont pas tombés d’accord, en raison des divergences de vues et surtout de conflits d’intérêt. Toujours à la recherche de solution à cette situation, la mairie d’Abobo a initié un projet de construction de la casse d’Abobo sur un espace de 43 hectares à N’Dotré. Cette œuvre devrait être constituée, selon le chef de service, d’un atelier (magasin et surface d’activités), d’un centre de recyclage pour la pneumatique, l’huile usagée, les batteries et acides et le conditionnement de la ferraille.

Un centre de formation professionnelle (formation continue, expérimentation et alphabétisation). Une clinique médicale, un parc d’exposition et de vente de véhicules, une salle polyvalente (exposition salons et salles de réunions), des latrines publiques, des restaurants et kiosques, des écoles, des lieux de cultes, un motel (station-service, supermarché, hôtel) un complexe omnisport y sont prévus. Le tout assorti des voies de réseaux divers (Vrd) pour l’assainissement et une meilleure gestion des déchets. Malheureusement, ce projet n’a pu voir le jour.

Malgré le désordre, le secteur des métaux-mécaniques joue un rôle essentiel dans le développement économique. Il est pourvoyeur d’emplois. Fofana Bangaly, membre de l’Afecam-Ci, déclare que 1500 artisans, membres de cette organisation, ont été recensés.De son côté, l’Afer-Cicréée en 2003 revendique 3000 adhérents qui vivent directement du travail de la « Casse ». On a, au total, 7 associations de ferrailleurs. A la Chambre nationale des métiers d’Abobo, plus de 6000 artisans ont été recensés en 2012. Ceux-ci en tirent directement les revenus pour subvenir aux besoins de leurs familles. « Nous vendons des pièces d’occasion.Les transporteurset les véhicules particuliers qui n’ont pas assez de moyens pour acheter les pièces et accessoires d’origine des engins chez les concessionnaires viennent s’approvisionner ici. Et nous parvenons à remettre en état des voitures totalement en épave dans nos garages »,soutient Fofana Bangaly de l’Afecam-Ci.C’est pourquoi,tous les artisans font remarquer que si le parc automobile a pu résister à la crise économique, c’est grâce au travail des ferrailleurs. Qui ont permis, malgré le vieillissement du parc automobile, de réparer des voitures.

«J’ai l’habitude de venir acheter les pièces de mon véhicule ici. Je suis en train de le réparer pour aller faire la visite technique à la Société ivoirienne de contrôle et technique automobile (Sicta). On peut trouver de bonnes pièces. Mais attention, souvent on vous vend n’importe quoi. C’est pourquoi, il faut se faire accompagner par un bon mécanicien. Celui-ci peut reconnaître les bons et les moins bons accessoires et pièces », révèle un client qui venait d’acheter des amortisseurs, des rotules et 4 pneus d’occasion.

A la « Casse », les artisans sont installés pêle-mêle. Ceux qui ont de grands moyens sont confortablement installés dans de grands magasins. Les locataires doivent payer entre 20.000 et 100.000 Fcfa de frais de loyer. Les autres, les plus nombreux, ont des ateliers construits avec des matériaux de récupération. Cependant, chacun a sa spécialité. On y trouve des mécaniciens qui réparent uniquement des véhicules de marques japonaises. D’autres, de marques françaises, allemandes, américaines, etc. On trouve aussi des ateliers spécialisés dans le dépannage et la commercialisation des pièces. Des garages se consacrent aux moteurs Diesel ou essence, des ateliers à l’électricité, aux phares, gentes, accessoires et équipements divers. Le client est souvent assailli. Chacun lui propose ses services. Les statistiques disponibles dans les associations indiquent que 70% des ferrailleurs sont des analphabètes. Toute chose qui constitue un handicap pour sortir ce secteur de l’informel.

Ce jour, nous avons assisté à la vente au détail de pièces d’un véhicule accidenté dans une rue spécialisée qui grouille de monde. « Le propriétaire du véhicule me l’a confié pour le liquider. En pareil cas, c’est certain que les pièces sont de bonne qualité.Ceux qui sont intéressés par une quelconque pièce, vérifient son état et nous discutons le prix. Et ainsi de suite jusqu’à la liquidation totale de la voiture », commente Coulibaly Hamed, un jeune mécanicien. Parfois, la transaction prend l’allure d’une vente aux enchères. Trois clients voulaient s’offrir le moteur de ce véhicule. Il a été adjugé à 450.000 francs Cfa.

Les responsables des associations des ferrailleurs ont évoqué quelques problèmes liés à la cherté des magasins loués et la destruction de leurs biens par des vandales. « En 2006, 24 de nos magasins ont été incendiés. En 2008, 5 ateliers ont été détruits. Pendant la crise post-électorale de 2011, ce sont 17 magasins et 24 véhicules qui ont été incendiés. Nous ne savons pas pourquoi pendant la crise sociopolitique, nous sommes pris pour cible ? », s’interroge Fofana Bangaly. Par ailleurs, ces ferrailleurs dénoncent la concurrence déloyale que leur livrent des importateurs de certains pays anglophones de la sous-région. Pour eux, ceux qui vendent en gros ne devraient pas en même temps faire de la distribution au détail. Cette situation a fait l’objet d’un protocole d’accorden 2008 entre l’Association professionnelle des commerçants grossistes et ferrailleurs. Mais au dire, de Diallo Aboubakar de l’Afer-Ci, cet accord n’est pas respecté. Sur le terrain, les grossistes continuent de vendre leurs marchandises au détail. En outre, les banques sont très méfiantes quand il s’agit d’octroyer des prêts aux artisans pour développer leurs activités. Vu que ces activités sont dans l’informel. Enfin, ces travailleurs n’ont aucune couverture médicale.

En définitive, face aux difficultés qu’ils rencontrent sur ce site (insécurité, environnement, encombrement de la voie express, assainissement, pollution du milieu de vie, cadre inapproprié à une telle activité…), les travailleurs de la « Casse » d’Abobo souhaitent leur recasement sur un autre site plus propice à l’exercice de leurs métiers.

ALFRED KOUAME
Fratmat.info

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