La diaspora doit avoir des representants à l’Assemblée nationale (interview)

abel

Interview exclusive ! / Bémitian Adama Ouattara se révolte :

 

Chef d’entreprise dans le BTP (Bâtiment et travaux publics) en Côte d’Ivoire, Bémitian Adama Ouattara reste bien présent au cœur de la diaspora ivoirienne en France. Ce jeune militant associatif que l’affaire Awa Fadiga a davantage fait découvrir aux Ivoiriens, parle de ses liens avec Laurent Gbagbo, de la gouvernance d’Alassane Ouattara, et de ses ambitions pour une diaspora ivoirienne plus écoutée et mieux prise en compte dans les décisions qui engagent la vie de la Nation.

M. Ouattara Bémitian, malgré vos charges importantes de chef d’entreprise en Côte d’Ivoire, vous êtes bien présent en France au cœur de nombreuses activités associatives. Qu’est-ce qui vous motive ainsi ?

J’aimerais d’abord préciser que c’est de façon exceptionnelle et pour des raisons professionnelles que je passe les trois quarts de mon temps en Côte d’Ivoire. Sinon, je réside normalement en France. J’aimerais indiquer que la présence de mon entreprise dans le secteur privé ivoirien répond à l’appel du Président Ouattara qui a demandé à tout Ivoirien, ayant les ressources et les capacités, de venir prendre part à la reconstruction de la Côte d’Ivoire. Mes activités professionnelles sont naissantes, et je tiens à leur donner l’assise nécessaire et suffisante sur place à Abidjan afin de déléguer ensuite mes prérogatives de décision et d’exécution au sein de mon entreprise. Ensuite je me mettrai entièrement aux tâches de mutualisation des forces de la diaspora ivoirienne, précisément de celle de France à laquelle j’appartiens. Je suis donc constamment entre Abidjan et la France parce que je suis aussi un Ivoirien de France et je n’en ai pas honte.

Pourquoi n’acceptez-vous d’investir dans votre pays qu’à l’appel d’Alassane Ouattara ? Sous Laurent Gbagbo, la Côte d’Ivoire n’était-elle pas aussi intéressante pour vous ?

Noooon, il ne s’agit pas de ça ! Sachez que la constitution de mon entreprise a débuté avant l’accession d’Alassane Ouattara aux fonctions et responsabilités de Président de la République de Côte d’Ivoire. Mais j’admets que l’expérience de la gestion des affaires de l’Etat par cet homme (Ndlr : SEM Alassane Ouattara) m’a convaincu que nous ne sérions plus dans cette sorte de pagaille dans laquelle nous avons longtemps pataugé. J’ai cru en lui, et pour l’instant, je ne suis pas déçu.

Pendant que de nombreux Ivoiriens se plaignent de la cherté de la vie, de l’argent qui ne circule pas, vous clamez haut et fort votre satisfecit de la gestion du Président Ouattara ?

Je comprends mes compatriotes qui disent que ‘’ce n’est pas goudron on mange’’. C’est vrai, ‘’on ne mange pas le goudron”, mais le développement vient par la route. Si nous n’avons pas de route, comment voulez-vous que les denrées alimentaires agricoles arrivent aux villes pour nourrir les populations ? Comment voulez-vous sans route acheminer nos matières premières agricoles vers les zones industrielles et les ports pour la transformation et l’exportation ? Sans les routes, comment voulez-vous que se fassent les déplacements des hommes et femmes qui produisent les richesses de ce pays ? Le Président Alassane Ouattara est en train de poser les fondements et les bases crédibles d’un réel développement de la Côte d’Ivoire.

Pour vous, seuls les routes et les ponts suffiraient au bonheur des Ivoiriens ?

Je n’ai nullement dit cela. Il faut beaucoup de choses pour faire le bonheur de l’ensemble des Ivoiriens. Je suis conscient que l’économie seule ne règle pas la question du bonheur d’un homme ou d’une femme, mais les infrastructures économiques constituent la pierre angulaire du développement économique.

C’est à croire que les travaux d’assainissement et d’aménagement qui ont été fait n’ont été que de la poudre aux yeux puisque Abidjan est sous les eaux.
Noooon, je ne vous laisserai pas dire des choses aussi incorrectes. Vous qui êtes journalistes, vous semblez ignorer qu’à la fin de l’hiver dernier, la capitale anglaise était sous les eaux. L’Australie, le sud de la France, et bien d’autres grandes villes de pays développés aussi. Les inondations ne sont pas uniquement liées au niveau d’assainissement ou d’aménagement d’une ville, mais aussi et surtout à la pluviométrie. Les météorologues vous le certifieront, il est tombé sur Abidjan en un mois, plus d’eau qu’il n’en tombe en six mois habituellement. Mais il faut aussi que toutes les emprises publiques soient libérées. Tous ceux qui ont construit sur des emprises publiques doivent les libérer car elles reviennent au public. Nous devons également changer de comportement et de techniques de dimensions de nos réseaux d’assainissement car notre indice pluviométrique a changé. Cependant, le plus important lors de ce type de catastrophe et d’intempérie, est de disposer d’équipement nécessaire pour réagir aux mieux et au plus vite de sorte à éviter des drames humains et ne pas bloquer la machine économique du pays. Ne nous leurrons pas, Abidjan ne pourra s’aménager de sorte à éviter de probables inondations, mais elle peut se doter d’équipements pour réduire au maximum les conséquences négatives sur les infrastructures économiques et sociales. Ce que le Président Ouattara est en train de réaliser n’est pas de la poudre aux yeux ; il est en train de poser des socles solides d’un développement durable de notre pays. Le reste suivra…

Le reste c’est quoi ? La gestion politique du pays ?

Pas seulement ! Mais la gestion politique de Ouattara est assez satisfaisante au vu de l’importante activité de l’opposition. Il faut saluer la détermination du Président à nous faire sortir de la situation d’exception pour parvenir à une situation normalisée. Le FPI qui est pratiquement le chef de file de l’opposition vaque tranquillement à ses occupations politiques en organisant des meetings et réunions pour son retour aux affaires, ce qui est tout à fait normal et est à encourager. Il nous faut sortir de la logique de violence et comprendre que le débat politique républicain proscrit la violence. Il faut que chacun respecte les règles du jeu démocratique dont l’aboutissement se trouve dans le vote des citoyens. Vous savez, je n’épouse plus entièrement cette définition de la démocratie selon laquelle c’est le gouvernement du peuple par le peuple. Qui est le peuple et qui ne l’est pas. Si la majorité l’est, la minorité ne serait donc pas du peuple ? Pour moi, la démocratie, c’est désormais la traduction quantitative de l’égale dignité qualitative de chaque citoyen devant la loi ; c’est-à-dire le vote. Nous devons tout mettre en place de sorte à avoir des élections crédibles qui ne souffriraient aucune contestation. Ainsi, nous pourrons nous prémunir des violences qui émanent des résultats d’élections contestées. Vous savez, chez nous en Afrique, les violences se déroulent toujours autours des élections, et cela, nous pouvons l’éviter.

Mais l’opposition doute de la sincérité du pouvoir à organiser des élections crédibles, vu les batailles autour de la CEI, la révision des listes électorales et l’épineuse question des prisonniers et exilés politiques.

C’est de bonne guerre. L’opposition est dans son rôle, et je ne fais aucune objection de forme dans sa démarche. Il ne faut surtout pas qu’elle veuille utiliser la violence comme un outil de négociation ou de pression. Pour le reste, elle est en droit de demander davantage ce qui leur parait utile et nécessaire pour un jeu égal lors des élections.

Ce jeu démocratique auquel vous appelez, l’opposition ivoirienne ne l’envisage pas sans ses partisans emprisonnés et exilés.

Par principe idéologique, je ne suis pas à l’aise avec la question des exilés ivoiriens chez nos voisins. Il faut qu’ils rentrent, et le pouvoir leur a promis la sécurité. S’agissant des prisonniers, je suis pour la justice. La Côte d’Ivoire ne doit plus vivre la tragédie qu’elle a vécue. Que les détenus de la crise postélectorale soient jugés dans les meilleurs délais, et ceux pour lesquels il sera prouvé qu’ils sont responsables de crimes punissables par la loi ivoirienne soient punis, et les autres libérés. La Côte d’Ivoire doit en finir au plus vite avec les stigmates de cette tragédie qui a fait tant de morts que nous aurions pu éviter.

Il y a aussi le préalable de la libération de Laurent Gbagbo …

(Il met un temps d’attente) Concernant Laurent Gbagbo, j’ai envie de dire ; quel gâchis ! Vous savez, c’est cet homme qui a éveillé ma conscience à la chose politique et au combat pour l’amélioration de la condition humaine. Si je suis de sensibilité politique de gauche aujourd’hui, c’est grâce à Laurent Gbagbo. Son parcours politique jusqu’à l’accession au pouvoir d’Etat en 2000 m’a séduit. La force de conviction de Laurent Gbagbo, sa capacité de mobiliser des hommes restent des repères pour moi. Mais les dérives identitaires de ses partisans qu’il pouvait arrêter, m’ont éloigné définitivement d’un homme qui a énormément compté dans le processus de démocratisation de notre pays. C’est vrai, la prison n’est pas honorable, elle fait honte. Que se soit à la Maca ou à La Haye, la prison ruine l’honorabilité de tout homme surtout quand il s’agit d’un homme comme Laurent Gbagbo qui a été notre président. Mais avec ce que nous avons vécu dans ce pays, il nous faut nous asseoir un moment et observer un temps de justice. Ici, comme à La Haye, la justice doit être dite. Si rien n’est prouvé contre Gbagbo à la CPI, il reviendra parmi les siens, l’honneur sauf. Dans le cas contraire, il paiera pour ce qu’il aura fait. Nous devons prendre ce ‘’médicament amer’’ qu’est la CPI pour que ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire, ne se reproduise plus encore un autre jour. Si des affaires à la CPI sur la situation ivoirienne peuvent servir de censeur et couper des velléités de commettre des crimes de masses sur des civils, alors je saluerai toutes les actions de cette Cour à juger toutes les personnes susceptibles d’avoir commis des crimes visés par elle. Il ne doit pas y avoir d’autres préalables que la paix et la sécurité dans notre pays.

Vous vous êtes révélé aux Ivoiriens sur le terrain social, lors du décès du jeune mannequin Awa Fadiga. Qu’est ce qui a motivé la descente d’un chef d’entreprise dans l’arène sociale ivoirienne ?

C’est tout simplement parce que je suis profondément attaché à la justice sociale et à l’égalité des chances et des droits. Dans un hôpital, ou précisément aux urgences d’un hôpital, il ne devrait pas y avoir de privilégiés au nom de l’argent ou du rang social. Or, ne peuvent se soigner que ceux qui ont de l’argent, et on laisse mourir les défavorisés de la société. Non, ce n’est pas ma vision d’une société juste. J’ai trouvé inadmissible, comme l’ensemble des Ivoiriens d’ailleurs, qu’une jeune fille arrive vivante aux urgences d’un CHU de mon pays et meure parce qu’aucun soin d’urgence ne lui a été donné. Cette affaire a simplement brisé la glace autour de l’état lamentable de nos hôpitaux en matière d’accueil et de soins d’urgence. Avec le Collectif Awa Fadiga (CAF), nous espérons avoir concouru à l’amélioration sensible aux urgences de nos CHU.

C’est donc fini pour le Collectif Awa Fadiga ?

Pas du tout ! Bien au contraire, il y a encore beaucoup à faire. Nous sommes en train de travailler au sein du Collectif de sorte à recenser l’ensemble des dysfonctionnements structurels et conjoncturels dans nos hôpitaux publics, et nous les rendrons publics afin que les autorités y apportent au plus vite les réponses adéquates. Le Collectif Awa Fadiga va se muer en structure autonome de veille sur les questions de santé publique et de fonctionnement de nos hôpitaux et centres de santé publics. Nous sommes également en train de tisser des liens avec des organisations et associations poursuivant le même but ici en France pour récolter du matériel médical et des médicaments de première nécessité à mettre à la disposition de nos hôpitaux.

Vous venez d’achever un tour de France d’associations ivoiriennes auxquelles vous avez apporté des soutiens. Que recherchez-vous exactement ?

(Rires) Rien, sinon me rendre utile auprès de mes compatriotes. De nombreuses organisations ivoiriennes sollicitent assez souvent mon soutien, et lorsque je peux, je ne ménage pas mon énergie et mon temps pour me rendre disponible et utile.

Il se raconte que vous êtes en précampagne. Vous sériez intéressé par un siège de député des Ivoiriens de France.

(Eclat de rires) Ah bon ? Mais ça fait quoi si je veux être élu député des Ivoiriens de France ?

Rien, mais dites-nous si vous ambitionnez vraiment de briguer un tel siège s’il était créé ?

Je juge malsain que l’on subordonne mon action auprès des associations ivoiriennes en France et mes ambitions de faire de la diaspora ivoirienne une force de proposition et d’initiative pour la Côte d’Ivoire, à un agenda personnel. Ceux qui me connaissent savent que j’ai été membre-fondateur de plusieurs associations et fédérations d’associations ivoiriennes en France. Mon militantisme associatif n’est pas nouveau ici en France. Mais revenons plus sérieusement sur la question des sièges de député des Ivoiriens de l’étranger. Je n’arrive pas à comprendre que les Ivoiriens de l’étranger prennent part au choix du Président de la République, et qu’il ne leur soit pas permis de désigner un des leurs comme leur représentant à l’Assemblée nationale oubliant que celui-là peut être Président de la République en cas de vacance du pouvoir. Savez-vous qu’il y a officiellement plus 1.300.000 Ivoiriens hors du territoire national dont 60% vivent en France ? Et ils injectent annuellement plus d’une dizaine de millions d’euros dans le circuit de consommation, et même bien plus du double dans le tissu commercial et entrepreneurial. Les Ivoiriens de l’étranger constituent une véritable force économique, il est temps qu’ils deviennent aussi une force de proposition et d’initiative. Il y a des circonscriptions en Côte d’Ivoire qui n’ont même pas 30.000 habitants, mais qui ont un représentant au parlement. Il y a de grandes circonscriptions qui ont parfois quatre députés tout en ne produisant même pas le dixième des richesses produites par la diaspora ivoirienne. Mais pourquoi veut-on maintenir la diaspora hors des centres de décisions politiques quand on sait ce qu’elle représente pour l’économie et le social en Côte d’Ivoire ?

Les principaux partis ivoiriens disposent déjà de représentants à l’étranger …

Je le sais, mais ces représentations ne sont que des centres d’exécution et non des pôles de proposition. Les directions des partis politiques décident, et ils font appliquer les décisions par les militants ici en France. La diaspora ivoirienne regorge de talents et d’expertises qu’on ne doit pas indéfiniment garder sous l’éteignoir.

Pourquoi ne rentrez-vous pas en Côte d’Ivoire si vous voulez faire partie des instances de décision?

Mais pourquoi cette même litanie : ‘’rentrez au pays si vous voulez être pris en compte’’ ? Savez-vous ce que représente la diaspora juive pour l’Etat d’Israël ? Allez demander à cette diaspora là de rentrer en ‘’terre promise’’. Les diasporas n’ont pas vocation à retourner chez elles, mais plutôt de là où elles sont, elles doivent œuvrer pour le bien-être de leurs compatriotes vivants dans le pays. Pourquoi en Côte d’Ivoire, quand on veut parler, on vous rétorque de rentrer au pays, comme si un Ivoirien de l’étranger n’avait pas le droit de parler des affaires publiques de son pays. Non, il faut que cela cesse ! Nous avons trop longtemps souffert de cette discrimination. Même la France sur laquelle nous avons quasiment copié notre modèle républicain a des députés qui représentent les Français de l’étranger. Mais pourquoi accepterions-nous les milliards de Didier Drogba, pour ne citer que l’un des plus visibles, et lui refuserait-on le droit de désigner un député pour défendre ses intérêts d’Ivoirien vivant à l’étranger ? Nous ne voulons plus accepter ce mépris voué à une importante partie et non négligeable d’Ivoiriens en matière de pouvoir économique. Pour ma part, en ma qualité d’Ivoirien vivant à l’étranger, je revendique mon droit à la parole politique. Comme les Ivoiriens de Côte d’Ivoire, les Ivoiriens de l’étranger ont aussi de la famille sur le territoire national. Comme les Ivoiriens de Côte d’Ivoire, les Ivoiriens de l’étranger ont aussi des investissements sur le territoire national. Comme les Ivoiriens de Côte d’Ivoire, nous aimons tous notre pays chacun autant que nous sommes, et autant que nous nous situons.

Interview réalisée par Jean-Paul Oro.
Correspondant permanent en France

[Facebook_Comments_Widget title= » » appId= »331162078124″ href= » » numPosts= »5″ width= »470″ color= »light » code= »html5″]

Commentaires Facebook