Côte d’ivoire – La vérité sur la notation B1 de Moody’s…

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Par PRAO Yao Séraphin [droite], économiste et analyste politique

(Victor Hugo) «La vérité est comme le soleil. Elle fait tout voir et ne se laisse pas regarder»

Introduction

Les Etats africains ont besoin de bénéficier d’investissements étrangers et des emprunts extérieurs, pour financer leur développement. Pour ce faire, la « notation » par les « agences de notation » est cruciale. L’agence Moody’s vient d’attribuer à la Côte d’Ivoire la note B1. L’orchestre médiatique du pouvoir bat son plein et se fait entendre. Même si c’est la première fois que le pays est noté, l’excès d’enthousiasme reste inexpliqué. Dans cette contribution, nous avons pour ambition d’expliquer modestement le sens de cette notation. De façon spécifique, il s’agira pour nous de faire une présentation qui permettra aux lecteurs de relativiser l’euphorie qui gagne les ivoiriens car avoir la même note que le Sénégal n’a rien de glorifiant. Nous commençons d’abord par donner quelques définitions essentielles à la compréhension du texte. Ensuite, il faudra expliquer aux lecteurs l’impact et les critères de notation. Enfin la présentation de la notation B1 permettra aux ivoiriens de ne point participer au festival médiatique en cours.

1. Quelques définitions essentielles

a) Le risque pays

Le risque pays s’est beaucoup modifié avec la transformation du système monétaire international (SFI). Aujourd’hui, les risques financiers sont très importants et n’épargnent aucun pays. La libéralisation des mouvements de capitaux accroît les transferts de capitaux et accentue la volatilité des changes. Parler du risque pays, c’est donc parler à la fois du risque politique et des risques systémiques de marché financier et de crédit. Ceci revient également à s’intéresser à la dimension politique de certaines crises financières, comme les crises russes, argentines ou encore plus proches de nous de celle des subprimes, et de leurs conséquences. Pour apprécier ou évaluer le risque pays, il existe des analyses quantitatives (méthodes économétriques, rating, analyse structurelle…) et des analyses qualitatives qui donnent davantage d’importance à la qualité de la gouvernance, à l’existence de la corruption, au « bon » fonctionnement des marchés, etc. Depuis le début des années 2000, le nombre des instances qui produisent les notes (COFACE, grandes agences de notation…) a augmenté. Cinq grandes agences de notation se partagent l’essentiel du marché au niveau international : trois américaines (Moody’s, Standard & Poor’s et A.M. Best) et une française (Fitch appartenant à la société Fimalac) et une canadienne (Dominion Bond Rating Services (DBRS).
Ces agences retiennent une série de paramètres représentatifs du risque tels que la stabilité politique, le niveau de développement économique, la vulnérabilité financière et en sélectionnant une batterie d’indicateurs, elles attribuent une note à chacun de ces paramètres. Cette note reflète la probabilité de défaut sur les emprunts à court terme ou à long terme émis par les différents pays. Une note globale permet ensuite de comparer les pays selon la même méthode qui est appliquée pour chacun d’eux.

b) Une agence de notation

Une agence de notation est une société dont le métier est d’évaluer le risque que représente une entreprise ou un pays qui veut emprunter sur les marchés financiers.
Pour prendre une comparaison, lorsqu’un particulier souhaite emprunter à une banque, son dossier est d’abord étudié par le banquier pour estimer s’il ne présente pas un risque excessif. Les conditions de ce prêt dépendront d’ailleurs du niveau de risque établi. Ainsi, plus l’emprunteur inspire confiance, plus le taux du prêt, sera bas, car le banquier ne prend alors pas un gros risque à lui prêter.

L’agence de notation joue donc le rôle de l’analyste crédit de la banque. Sur la base des multiples informations financières disponibles sur l’Etat, la collectivité ou l’entreprise qu’il doit évaluer, il donne son avis sur le risque qu’il y a à lui prêter. Il matérialise ce risque par une note qui conditionne notamment le taux du prêt, et permet aux prêteurs potentiels d’avoir instantanément une idée du risque qu’ils prennent.

2. Comment fabrique-t-on les notes des agences de notation ?

Les agences « fabriquent » les notes en fonction de certains ratios et indicateurs : le produit intérieur brut par habitants, le niveau des dettes publiques par rapport aux recettes fiscales, le niveau et la stabilité des recettes fiscales, la stabilité des prix, l’évolution du taux de change, la qualité des institutions étatiques, le niveau du libre-échange, le niveau de développement etc. On peut résumer ces indicateurs et ratios en quatre critères : la vigueur de l’économie, la stabilité institutionnelle, la solidité des finances publiques et la probabilité d’un risque.

3. L’impact de la notation

Le rôle des agences consiste à évaluer la capacité des sociétés ou d’un pays à payer leurs intérêts, et surtout à rembourser leurs dettes à l’échéance des emprunts. La note AAA permet de profiter de la baisse des taux d’intérêt sur les marchés financiers. Avec la configuration actuelle du système monétaire international, la note, reflet du risque de faillite d’une entreprise ou d’un État, a pris une grande importance pour les entités notées et les investisseurs. Pour les Etats comme pour les entreprises, une note dégradée se traduit par une hausse des taux d’intérêt, c’est-à-dire qu’il coûte plus cher d’emprunter. Les Etats classés Aaa par Moody’s par exemple, autrement dit ceux auxquels les épargnants peuvent en théorie confier leur bas de laine les yeux fermés, sont les plus riches de la planète. A l’autre extrême, les pays pauvres ou instables sont les plus mal notés, en conséquence de quoi on leur réclame les loyers de l’argent les plus élevés.

4. La notation B1 de la Côte d’Ivoire par Moody’s

Il est important de signaler que la notation est une appréciation de Moody’s sur la volonté et la capacité d’un émetteur à assurer le paiement ponctuel des engagements d’un titre de créance, tel qu’une obligation tout au long de la durée de vie de celui-ci. L’échelle de notation qui va d’un maximum de Aaa à un minimum de C, se décompose de 21 crans. Cette agence de notation vient d’accorder à la Côte d’Ivoire la note de B1 avec une perspective positive. Selon Moody’s quatre éléments ont pesé en faveur de cette note : le potentiel de croissance élevé, une dette publique et un déficit public sous contrôle, mais également une précarité institutionnelle et une vulnérabilité politique réelle bien que modérée.

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Tableau 1 : Les notations selon trois agences

Source : Laurence ABABIE (2011, p.288).

5. Pourquoi la joie des ivoiriens doit être mesurée

Premièrement, le processus de notation permet de comprendre la dimension politique des notations. Si l’on détaille le processus de notation en 5 étapes, un certain nombre de remarques à chacune des étapes peuvent être formulées :

1. demande de notation : l’entreprise ou le pays demande une note à l’agence contre rétribution. Ce qui signifie que les agences sont rémunérées par les entreprises ou les pays qu’elles notent.

2. schéma d’analyse : l’agence collecte les données nécessaires à l’étude, publiques (rapports annuels, etc.) ou confidentielles (rapport de gestion, prévisions, stratégies). L’entreprise ou le pays peut taire ou cacher des éléments d’information importants.

3. comité : l’agence établit la note. L’entreprise ou le pays peut faire appel en fournissant de nouvelles informations. L’interventionnisme de l’entreprise ou du pays peut nuire à l’objectivité de la note.

4. publication de la note : l’agence ne publie la note et les commentaires qu’avec l’accord de l’entreprise ou du pays. L’entreprise ou le pays peut ne pas donner les informations confidentielles nécessaires au suivi.

5. suivi de la note : tant que subsistent des encours de dettes notées sur le marché, l’agence doit en assurer le suivi. L’entreprise ou le pays s’engage à donner à l’agence les informations nécessaires à sa mise à jour. Or, compte tenu du grand nombre de notes à suivre, les agences peuvent tarder à réagir.

Deuxièmement, les notes des agences sont constamment contestées. L’on se souvient que Vivendi Universal a fait faillite deux semaines après avoir été noté AAA. En 2008, Lehman Brothers est noté A la veille de son effondrement. Ces agences avaient attribué des triple-A à la pelle à des produits dérivés de créances hypothécaires subprimes aux États-Unis, qui se sont effondrés en 2007. Les agences de notation font parfois de la politique. Sur ce point, un européen affirmait qu’«Il est intéressant de constater que chaque fois que la situation budgétaire se dégrade aux Etats-Unis, certaines agences de notation braquent les projecteurs sur l’Europe».

Troisièmement, la notation B1 n’est pas la meilleure note. Cette note classe le pays dans la catégorie des investissements spéculatifs dont un doute pèse sur la capacité de remboursement. Avec cette note, la plupart des investisseurs institutionnels, et notamment les fonds de pension, les caisses de retraites, les assureurs ne peuvent généralement prendre des positions sur les titres d’un tel pays. Il faut aussi signaler qu’avec cette note, le rendement du coût de financement est élevé car plus la note de crédit est faible, plus l’émetteur est considéré comme risqué et plus il doit offrir une prime par rapport aux taux de référence. Cette prime rémunère le risque. La joie démesurée des autorités actuelles n’a aucun fondement économique. Moody’s a simplement exprimé la probabilité croissante qu’à l’issue des aides massives actuelles, le pays ait besoin de nouveaux tours de financements. L’agence Moody’s est d’ailleurs prudente faisant allusion à un poids de la dette modéré bien qu’en progression, des perspectives d’amélioration des recettes fiscales, et surtout un soutien élevé de la communauté internationale. Tout en cherchant à aider l’ancien directeur adjoint du FMI, l’agence a toutefois souligné l’existence des lacunes dans la gestion des finances publiques et une vulnérabilité politique. Elle a fermement dit qu’elle réviserait la note du pays dans le cas d’une recrudescence des tensions politiques et sociales qui compromettrait les perspectives de croissance du pays à moyen terme. Egalement une détérioration des comptes publics conduirait à cette même révision. L’agence de Moody’s a également attribué la même note à d’autres pays africains pauvres comme la Côte d’Ivoire. Il s’agit du Sénégal, du Ghana, du Mozambique et du Kenya. Tous ces pays sont en situation de risque élevé ou de menace réelle de défaut de paiement.

Conclusion

Contrairement au gouvernement qui semble se réjouir démesurément de la notation B1 du pays, cette présente réflexion recadre le débat. La notation vient simplement confirmer que la Côte d’Ivoire est un pays sous-développé, endetté, avec une finance publique fragile. La notation B1 permet désormais aux investisseurs d’exiger des taux d’intérêts élevés. C’est simplement une manière intelligente de dire aux investisseurs occidentaux ceci « vous avez en Côte d’Ivoire un Président qui aime endetter son pays. Allez-y placer votre argent dans ce pays mais exigez des taux d’intérêt très élevés ».

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