Démocratiser la démocratisation de l’Afrique

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Auteur: Louis-Marie Kakdeu

De nos jours, le livre polémique de René Dumont paru en 1962 pourrait s’intituler « La démocratie africaine est mal partie ». Dans la version originale, « L’Afrique noire est mal partie », l’auteur déplorait déjà une « Afrique cliente de l’Europe ». Cette relation entre l’Afrique et l’Occident demeure polémique en matière de démocratie. Remonter à Dumont permet de modérer ce débat qui n’a jamais disparu sur la non-préparation de l’Afrique à la liberté et sur l’inadéquation du modèle occidental pour le continent. Déjà, en 1990, comme le rapporte Jeune Afrique N°1523 du 12 mars 1990, Jacques Chirac, alors Premier Ministre français, déclarait à Abidjan que la démocratie (multipartisme) était « un luxe » et « une erreur politique » pour l’Afrique.

Dans les faits, peut-on dire que les valeurs démocratiques ne sont pas compatibles avec les valeurs de la société africaine ? N’est-ce pas simplement un problème de méthode de démocratisation ? Est-il possible pour l’Occident de promouvoir la démocratie en Afrique avec des méthodes anti-démocratiques ?

La démocratie suppose la représentation aux instances de prise de décision et la participation aux prises de décision. En prenant des décisions sur l’Afrique en absence des Africains, la communauté internationale viole ce principe démocratique et soulève des problèmes d’éthique. Par exemple, comment expliquer que les interventions militaires sur le sol africain se fassent contre l’avis de l’Union Africaine comme ce fût le cas en Libye en 2011? Comment expliquer que la sécurité au Nigéria se soit discutée plutôt en France le 17 mai 2014 au lieu de se discuter en Afrique et mieux, à l’Union Africaine dans le cadre d’un dialogue interafricain ? En l’état, la démocratie est délégitimée sur le continent qui la perçoit comme un outil occidental de domination du monde. Il convient donc d’ouvrir les instances internationales comme le Conseil de sécurité des Nations Unies aux Etats Africains et d’y développer des mécanismes de transmission de la volonté populaire conformément à l’article 21, paragraphe 3 de la déclaration universelle des droits de l’homme de 1945 qui stipule que « la volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics ».

La démocratie suppose aussi la transparence dans le pilotage des affaires publiques et la souveraineté du peuple. Or, on observe que l’ingérence humanitaire en Afrique se transforme très vite en une idéologie des droits de l’homme. On peut parler de « pétrodémocratie » en référence à la volonté des puissances occidentales de manipuler la démocratie pour garder la mainmise sur les richesses du sous-sol africain. En effet, « l’aide au développement » est présentée comme une « prime à la démocratie » mais, le prétexte des droits de l’homme est souvent utilisé pour déstabiliser les régimes « libres » qui menacent les intérêts impérialistes. En ce qui concerne la France par exemple, tout part de La Baule où, faisant suite au vent de la liberté dans le monde (chute du mur de Berlin), le Président François Mitterrand décréta la démocratisation de l’Afrique le 20 juin 1990 lors de la 16ème Conférence des chefs d’État d’Afrique et de France. Le Président français avait dit en substance que le vent de liberté qui avait soufflé à l’Est devait aussi souffler en Afrique. En effet, les 37 pays (Chefs d’Etat) présents étaient invités à accélérer leur processus de démocratisation afin de pérenniser leurs échanges avec le Nord. C’était un discours de « démocratie contre échange » qui avait malheureusement marqué le tournant du transfert des priorités des pays africains des affaires intérieures vers les affaires extérieures. L’objectif politique était dès lors de plaire à la France. Le curseur de la démocratie est tenu par les forces étrangères en fonction de leurs intérêts à elles. Ce sont elles qui déclarent une élection libre et transparente de façon discutable et ce sont elles qui déclarent un régime fréquentable, légitime ou non. Par exemple, le coup d’Etat est tantôt condamné comme celui du capitaine Sanogo au Mali en 2012 et tantôt accepté comme celui de Michel Djotodia en RCA en 2013. Cela pose un problème d’égalité de traitement si chère à la démocratie. Aussi, la communauté internationale n’intervient promptement que dans des pays où les intérêts internationaux sont importants. Parlant toujours de la RCA, la situation humanitaire s’est considérablement dégradée avant l’intervention internationale.

Enfin, la démocratie suppose le respect des droits fondamentaux comme le droit de choisir et même de plus en plus le droit à la différence. Elle est fondée sur un principe de tolérance et pourtant, la thèse universaliste (rejet des différences culturelles) des droits de l’homme se révèle être porteuse d’intolérance en faisant passer ses idées comme des dogmes qu’on ne saurait critiquer ou questionner sans se placer en dehors de l’humanité. La démocratisation importée est assimilée à une occidentalisation de l’Afrique (mission civilisatrice) qui provoque du rejet à travers la montée des micro-nationalismes. Ainsi, est considéré comme terroriste et ennemi de l’Occident, toute personne qui « défie » cette « civilisation ». A ce sujet, le secrétaire général des Nations Unies, Koffi Anan, avait déclaré au sommet de Davos le 23 janvier 2004 : « La guerre contre le terrorisme peut parfois aggraver ces tensions et faire naître des préoccupations en ce qui concerne la protection des droits de l’homme et des libertés civiles ». Pire, certaines « grandes ONG » sont dirigées par une « élite des droits de l’homme » qui agit en symbiose avec les « grands donateurs » et les pouvoirs politiques (africains ou occidentaux) et livrent des rapports discutables. Il s’agit de la « philanthropie hégémonique » qui gangrène le jeu démocratique en Afrique.

Finalement, on se rend compte que dans le débat africain, ce n’est pas la démocratie (libérale ou participative) qui est coupable, mais les méthodes impériales de démocratisation adoptées. L’Occident s’est constitué en « caution pour la démocratie de façade ». Il convient de prêcher par l’exemple en démocratisant l’intervention internationale en Afrique.

Par Louis-Marie KAKDEU, PhD & MPA
Article publié en collaboration avec Libre Afrique

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