Deux ans après la découverte du charnier de Togueï à Duékoué où en est la justice annoncée en Côte-d’Ivoire ?

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Fédération internationale des Droits de l’homme (FIDH)

Rappel des faits :

Le 20 juillet 2012, le camp de personnes déplacées de Nahibly, situé à la sortie de la ville de Duékoué (ouest de la Côte d’Ivoire) est attaqué par des jeunes encadrés et soutenus par des éléments des Forces républicaine de Côte d’Ivoire (FRCI) et des chasseurs traditionnels Dozos. Sept personnes ont été retrouvées mortes, par balles et par incendie, dans l’enceinte du camp, tandis que plusieurs dizaines sont toujours portées disparues.

Abidjan, 10 octobre 2014 – Deux ans après la découverte de 6 corps dans un puits de la périphérie de Duékoué, dans l’Ouest du pays, nos organisations s’inquiètent de l’enlisement des procédures judiciaires relatives aux crimes commis dans cette région et, plus largement, appellent à des avancées concrètes dans les procédures concernant la crise post-électorale au niveau national.

« Nous revenons d’une mission à l’ouest du pays, d’où nous ne rapportons malheureusement pas de bonnes nouvelles. Les dossiers judiciaires concernant l’attaque du camp de déplacés de Nahibly et les fosses communes de Togueï n’ont connu aucun développement depuis plus d’un an » a déclaré Me Mohamed Sanogo Pongathié, avocat de la LIDHO.

La FIDH, le MIDH et la LIDHO avaient assisté à l’exhumation, les 11 et 12 octobre 2012, d’un charnier dans le quartier Togueï à Duékoué. En présence du procureur adjoint du Tribunal de Première Instance de Man, 6 corps avaient été découverts dans un puits en périphérie de la ville. Cette découverte était intervenue peu de temps après l’attaque, le 20 juillet 2012, du camp de personnes déplacées de Nahibly.

En 2013, nos organisations se sont constituées parties civiles et accompagnent depuis lors les victimes devant la justice. Mais le manque de moyens matériels alloués aux magistrats, conjugué à une volonté politique trop peu manifestée, a contribué à l’enlisement des procédures, malgré l’engagement pris par le gouvernement au moment de la découverte du charnier.

Selon Me Patrick Baudouin, président d’honneur de la FIDH et avocat des victimes, « il est difficile de comprendre qu’aucun acte d’enquête n’ait été posé par les juges depuis plus d’un an. Les corps des victimes de Togueï, par exemple, ont été transportés à Abidjan pour autopsie en octobre 2012, mais personne, à commencer par la juridiction en charge de l’affaire, n’a eu connaissance des résultats. Les familles des victimes attendent en vain de pouvoir enterrer leur proche et perdent confiance dans une institution judiciaire qui semble soumise à des pesanteurs injustifiables ».

Cette inertie de la justice est d’autant plus incompréhensible qu’aucun responsable des forces de l’ordre n’a été entendu dans cette affaire, alors même que plusieurs éléments ont été identifiés par les victimes, notamment au sein du contingent des Forces républicaines de Côte d’Ivoire de Duékoué. De même, aucune fouille n’a été entreprise dans les puits avoisinants dans lesquels pourraient se trouver d’autres corps.

En attente d’exhumation, l’un des onze puits de Togueï, sous la protection de l’ONUCI, octobre 2014 (Crédits : FIDH)

Ces fouilles auraient dû être réalisées en coordination avec celles des fosses communes de la crise post-électorale à Duékoué, qui n’ont pas non plus eu lieu. Cela démontre la nécessité de renforcer les moyens à allouer à la Cellule spéciale d’enquête et d’instruction, chargée d’instruire les crimes commis pendant la crise post-électorale, conformément au décret présidentiel du 31 décembre 2013 prévoyant sa reconduction. Malgré ces difficultés récurrentes, la Cellule a manifesté sa volonté de faire progresser les procédures d’instruction, à travers des actes judiciaires récents encourageants pour les parties civiles. Nos organisations réitèrent leur appel à régulariser cette situation et à permettre aux magistrats instructeurs de mener à bien leur mission.

En attente d’exhumation, l’un des onze puits de Togueï, sous la protection de l’ONUCI, octobre 2014 (Crédits : FIDH)
« Au moment où la Commission Dialogue Vérité et Réconciliation affirme avoir terminé son travail, nous sommes préoccupés par les faibles moyens mis à la disposition de la justice nationale, qui est pourtant une composante essentielle d’une réconciliation véritable. Nous appelons donc le gouvernement à concrétiser enfin sa volonté affichée de lutter contre l’impunité, en prenant les mesures nécessaires au bon exercice de la justice », a déclaré Me Drissa Traore, vice-président de la FIDH et avocat des victimes.

Le président de la Commission Dialogue Vérité et Réconciliation (CDVR) a affirmé le 1er octobre avoir achevé le plan d’action prévu pour la réconciliation nationale. Pourtant, si le travail de terrain des commissions locales de la CDVR a permis d’entendre plus de 64 000 personnes, de nombreux doutes subsistent quant aux suites réelles qui seront données à ce travail. Les conditions de sélection, d’audition et de restitution des témoignages des victimes au cour des audiences publiques qui se sont tenues à Abidjan du 8 au 30 septembre ont laissé les observateurs présents particulièrement perplexes, alors même que les auditions des victimes par les commissions locales se sont poursuivies jusqu’au 10 octobre, comme l’a constaté une mission de nos organisations.

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