Côte d’Ivoire – Affi N’Guessan joue son va-tout malgré de sérieux talons d’Achille

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Bally Ferro

L’affaire est définitivement pliée et la cause, entendue. Piqué par le virus dictatorial des dirigeants politiques ivoiriens, Pascal Affi N’Guessan a engagé son parti (ou du moins la tendance qui lui est fidèle) dans la compétition électorale. Autant Henri Konan Bédié, président du PDCI-RDA, a profité, le 17 septembre 2014, de la visite d’État d’Alassane Dramane Ouattara dans le Iffou, sa région natale, pour appeler à violer la résolution du 12è Congrès ordinaire de l’ex-parti unique en imposant «L’appel de Daoukro» ou le soutien à la candidature, à sa réélection, du chef de l’Etat, autant Affi s’est servi de sa tournée politique dans la région du Gbêkê pour mettre le Congrès des 21 et 22 mai au pas, en annonçant, le 26 avril 2015 à Bouaké, la participation du FPI à la prochaine élection présidentielle, transformant ainsi cette instance suprême du parti en caisse de résonance et son investiture comme candidat naturel à la Convention, en simple formalité.
Affi joue son va-tout et file en ligne droite. Devant lui, le boulevard que lui ouvrent les décisions de justice: c’est lui qui, dans la crise interne, est reconnu comme le président légal du FPI et interdiction est faite aux dissidents d’utiliser dorénavant les sigle, logo et nom du parti. La justice ne s’est pas arrêtée là: s’appuyant sur l’absence de demande manuscrite de Laurent Gbagbo dans son dossier de candidature présenté par des militants afin que le chef de l’État déchu demeure au cœur du débat, elle a soustrait, sur plainte d’Affi, le fondateur du FPI de la liste des candidats à la présidence du parti.
Après avoir exercé une fonction présidentielle, cette velléité de candidature de Gbagbo passe pour certains militants pour un retour en arrière. De ce fait, le come-back, au lieu d’être triomphal et source de rassemblement autour du chef charismatique, est lesté dans un conflit interne usant. Débarrassé du syndrome Gbagbo et ayant réussi à mettre ses opposants sous l’éteignoir de la loi, Affi est en roue libre et vis-à-vis des militants, il essaie de jouer à fond sa carte pour se frayer un chemin.
Reçu en grande pompe, le 19 septembre 2013, à Bouadikro, son village, dans le département de Bongouanou, au lendemain de sa libération provisoire, le 5 août 2013 de la prison de Bouna, le chef Nanan Kassi Paulin lui prédisait un avenir présidentiel et un destin national: «Affi était presque au sommet. Mais les méchants l’ont fait tomber. (…) Nous vous le confions pour que vous le laviez de la souillure de la prison, afin qu’il ait la force, le courage et la sagesse nécessaire pour avancer jusqu’au sommet.»

Aux avant-postes pour convaincre
Dans cette course de vitesse, certains accusent le président légal du FPI de scier la branche sur laquelle il est assis. Mais il n’est pas sourd aux critiques. Tirant les leçons du controversé secrétariat général du 4 juillet 2014 où il a semblé faire preuve de défiance ou de parricide en créant un secrétariat national chargé des actions pour la libération de Laurent Gbagbo sans titulaire du poste, Affi est maintenant aux avant-postes pour convaincre qu’il ne veut pas «dégbagbotiser» le parti ou tourner la page Gbagbo.

Avec ses partisans, il a une ligne de défense imparable: les «frondeurs», c’est-à-dire son opposition interne, sont les trouble-fêtes. Ce sont eux qui, tapis dans l’ombre, veulent instrumentaliser le nom du fondateur du FPI. Car, dit-il, ce dernier n’aurait jamais fait acte de candidature. Sur sa lancée, il parle maintenant de réconciliation nationale, tout en ne banalisant plus ce qui est pour les purs et durs du parti une question préjudicielle: la libération de l’ancien président de la République.

La 5è vice-présidence dirigée par l’ancien directeur du Port autonome d’Abidjan, Gossio Marcel, a ainsi été investie le 11 avril pour «dire au président Laurent Gbagbo que ses camarades ne l’oublieront jamais, qu’ils se battent et se battront tant qu’il est en détention, pour obtenir sa libération», selon Affi. Ce dernier, pour cette même raison, a rencontré, en mars, les présidents du Mali, IBK, et du Niger, Mahamadou Yssouffou, les amis africains de l’Internationale socialiste. Il a même annoncé, en février, une visite, qui semble ne plus être à l’ordre du jour, à Laurent Gbagbo.

Cependant, une sévère crise de confiance, suivie d’une rupture idéologique, oppose les parties belligérantes au FPI. Les résolutions de la Convention de 2014 prévoyaient certainement la bataille pour la libération de Laurent Gbagbo, mais aussi et surtout la création d’un consensus entre le pouvoir et l’opposition autour de la vérité sur la crise post-électorale, de la Commission électorale indépendante (CEI), du code électoral, de la liste électorale et d’une sécurité garantissant des élections justes et transparentes. Tel n’a pas été le cas mais le président légal du parti regarde ailleurs.

Même les aveugles voient les résultats
En outre, même si, côté cour, tout le monde fustige le transfèrement de Laurent Gbagbo à la prison de Scheveningen, à La Haye, cette détention représente, côté jardin, une aubaine politique. Affi s’affranchit de tout parrainage politique et s’émancipe, sans frais, des apparatchiks du parti au nombre desquels Mme Simone Gbagbo et Sangaré Abou Drahamane dit le «gardien du temple», condamnés à de lourdes peines de prison (20 ans pour l’une et 5 ans pour l’autre), Assoa Adou et Moïse Lida Kouassi, détenus à la Maca, la prison civile de la commune abidjanaise de Yopougon.

Après avoir, durant longtemps, avalé des couleuvres dans la gestion du parti, la partition, qui se joue, a un arrière-goût de revanche sur le destin. «Je veux travailler à la libération du président Laurent Gbagbo et non utiliser le nom de Laurent Gbagbo pour me faire un nom,» a précisé Affi à Bouaké.
C’est pourquoi le président légal du FPI souffle le chaud et le froid. S’il revendique la tutelle politique de Gbagbo pour ne pas couper le cordon ombilical avec la base, il tacle l’ancien président du FPI et tous ses détracteurs en n’attribuant sa promotion politique et professionnelle (il a été premier ministre d’octobre 2000 à janvier 2003 et président du FPI depuis 2001) qu’à son seul mérite. Dans la peau donc du rival politique qui ne renonce pas à sa candidature pour prendre sa liberté, Affi est dans le starting-block pour essayer de déboulonner Ouattara qui «est à notre portée», a-t-il dit.
Dans sa posture, il faut se rendre à l’évidence que le président légal du FPI fait l’âne pour avoir le foin. Laurent Gbagbo n’a-t-il pas, sous la transition militaire, fait usage d’une telle stratégie pour gagner la confiance du général Robert Guéi, chef de la junte militaire, pour ensuite l’endormir avant de l’abattre dans les urnes et dans les rues?

Du discours maximaliste où il tirait à boulets rouges sur Ouattara et Bédié, Affi a désormais un langage policé et surtout, grâce à son acceptation du dialogue politique, il fait mine d’entrer dans le jeu du pouvoir, le jeu de l’accompagnement. Et les résultats sautent aux yeux, même des aveugles: au procès en Cour d’assises des pro-Gbagbo poursuivis notamment pour rébellion et atteinte à la sûreté de l’État, il a été épargné dans le verdict rendu le 10 mars 2015 (18 mois avec sursis); il vient d’obtenir, selon les révélations du journal L’Intelligent d’Abidjan, 120 millions de nos francs au titre du financement des partis politiques sur fonds publics; il a été rayé, le 27 février, de la liste du comité des sanctions du Conseil de sécurité de l’Onu.

De sérieux talons d’Achille
J’ai le net sentiment, toutefois, que ceux qui croient qu’Affi ne veut que légitimer le pouvoir Ouattara ont tort. Resté jusque-là dans l’ombre de Gbagbo dont il est un fidèle lieutenant, Affi ne dissimule plus ses légitimes ambitions politiques et veut voler de ses propres ailes. Aussi, entame-t-il sa conquête du pouvoir d’État. Advienne que pourra. Seule, je crois, la réalité du terrain pourrait le transformer en candidat-alibi, à l’instar de Vangah Romain-Francis Wodié (3.84% de voix) en octobre 1995 face à Bédié.

Car, les talons d’Achille me paraissent sérieux. D’un, il est confronté à une crise profonde qui casse le parti en deux et menace de l’emporter, malgré les béquilles de la loi. De deux, même s’il a avec lui des pontes du régime déchu dont les ministres Dogou Alain, Komoé Augustin et Voho Sahi, il est handicapé par l’absence des principales figures emblématiques et, à l’exception de Thierry Bouikalo Bi, ex-directeur général de l’Imprimerie nationale, des membres fondateurs du FPI; de ce fait, il est certes crédible mais pourrait souffrir d’un manque de réelle audience populaire dans un contexte où l’attachement des militants et sympathisants qui s’identifient à des leaders est sans limite.

De trois, s’il a le soutien de ses alliés de l’Alliance des forces démocratiques (AFDCI, coalition de dix partis), Affi s’est aliéné l’appui de La 3è Voie (coalition de six partis de l’opposition dirigée par Mamadou Koulibaly). Avec les «irréductibles», c’est-à-dire les candidats à la présidentielle issus du PDCI-RDA qui ont refusé de suivre «L’appel de Daoukro» (Essy Amara, Charles Konan-Banny, KKB et Kablan Brou) dont deux ont déjà rendu visite à Gbagbo, cette plate-forme a choisi, comme interlocuteur pour le compte du FPI, Abou Drahamane Sangaré, président intérimaire de l’autre tendance du FPI et adversaire d’Affi. Et après un séjour en France, Innocent Anaki Kobena, président du MFA en butte, lui aussi, à une fronde au sein de son parti, a pris position en faveur de Sangaré.
Ces prises de position, en ces moments de suspicion (légitime ou pas), sont des mauvaises nouvelles. Faisant boule de neige au point d’isoler un camp sur la scène politique, elles sont destructrices pour le président légal du FPI, son image et son message. Aux yeux de l’opinion, elles sont de nature à présenter Affi comme l’allié objectif du pouvoir, menaçant de briser sa cote de popularité et prononcer son divorce avec la base militante. Et si la messe n’est pas encore dite, le cygne pourrait alors commencer à chanter.
FB

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