Côte d’Ivoire – Réquisition contre casses de la Bceao

REUTERS/Luc Gnago (IVORY COAST)
REUTERS/Luc Gnago (IVORY COAST)

Le régime déchu reste dans le collimateur de la justice ivoirienne. Aux crimes de sang, s’ajoutent les crimes économiques. Le mardi 21 juillet, le Tribunal de 1ère instance d’Abidjan-Plateau a entamé le procès de certains dignitaires de l’ancien régime: Laurent Gbagbo (président déchu et détenu à La Haye), Aké Marie N’Gbo Gilbert, ex-Premier ministre (condamné, le 10 mars 2015, à 24 mois de prison avec sursis pour atteinte à la sûreté de l’Etat), Noël-Laurent Désiré Dalo, ex-ministre de l’Économie et des Finances (condamné, lui aussi, à 24 mois de prison avec sursis) et Justin Katinan Koné, ex-ministre délégué auprès du ministre de l’Économie et des Finances chargé du Budget (en exil au Ghana). Ils sont poursuivis pour «vol en réunion par effraction portant sur des caves à la Bceao et des numéraires; complicité de vol en réunion par effraction; destruction d’une installation appartenant à autrui; détournement de deniers publics».

Les faits remontent à la crise post-électorale (4 décembre 2010 – 11 avril 2011) et dans la gestion des mesures prises pour étouffer le régime de Laurent Gbagbo. En dehors des banques ivoiriennes partenaires de l’État (Banque de l’Habitat de Côte d’Ivoire, Banque nationale d’Investissement, Banque pour le financement de l’Agriculture, Versus Bank, Caisse nationale des caisses d’épargne), une dizaine de banques commerciales (notamment Sgbci, Citibank, Banque atlantique, Bicici, Biao, Sib, Ecobank, Acces Bank, Standard Chartered), ont fermé à compter du 14 février 2011, au motif d’une «confusion juridique et réglementaire liée à la situation particulière du pays».

Car, la Banque centrale des États d`Afrique de l`Ouest (Bceao, basée à Dakar), a pris position dans la crise post-électorale en faveur d’Alassane Dramane Ouattara, menaçant de sanctions les établissements qui travailleraient avec le camp de Laurent Gbagbo.

Nationalisation des banques françaises

Le gouvernement ivoirien, par la voix du ministre chargé du Budget, Koné Katinan, condamnait «le caractère illégal» de la décision de fermeture des banques. «Cette décision se situe dans le prolongement des manœuvres initiées pour punir le peuple ivoirien pour son soutien à la légalité constitutionnelle», affirmait-il, avertissant que le gouvernement Aké N’Gbo «ne saurait tolérer ces actes de défiance».

Aussitôt dit, aussitôt fait. L’État ivoirien nationalisait les deux filiales de banques françaises, la Sgbci et la Bicici (qui pèsent toutes les deux, près de 55% du marché bancaire ivoirien) et procédait à leur réouverture. Afin de continuer le paiement des fonctionnaires et autres agents de l’État, et rassurer les hommes d’affaires et le secteur privé. Aussi, l’agence nationale de la Bceao à Abidjan a-t-elle été réquisitionnée le 26 janvier 2011 de même que la Bourse régionale des valeurs mobilières, pour éviter les ruptures de liquidités et un effondrement du système bancaire dans la crise des nerfs et le combat des chefs.
C’est pour cette réquisition qualifiée de «braquage» de l’Agence nationale de la Bceao que les mis en cause sont attraits en justice. L’affaire «Ministère public contre Laurent Gbagbo et autres» a été renvoyée au 20 octobre 2015, 5 jours avant la présidentielle, pour «comparution de toutes les parties et pour retenue».
Mais dans le cadre des casses des agences Bceao, c’est motus et bouche cousue. Le 24 septembre 2003 à Bouaké (alors siège du secrétariat général de la rébellion armée), l’agence locale de la Bceao est victime de casse : les mystérieux braqueurs s’évanouissaient dans la nature avec un joli pactole. Presque un mois plus tard, soit le 28 octobre 2003 et à 24 heures d’intervalle, les agences de la même Banque centrale à Man et à Korhogo, étaient attaquées. Plus de 1000 milliards de FCFA auraient été volés.

Tout tremble, rien ne bouge

Le gouverneur de la Bceao, Charles Konan-Banny, muet sur le montant des sommes dérobées, promettait : «Cet argent appartient aux huit pays membres de l’Union monétaire ouest-africaine (Umoa). Je ferai tout mon possible pour faire arrêter les responsables et les envoyer devant les tribunaux.» Il affirmait par ailleurs avoir «pris les mesures requises pour prévenir le risque de recyclage des fonds dérobés dans les circuits économiques et financiers normaux».

Dans l’un comme l’autre cas, si tout a tremblé dans les déclarations, rien n’a bougé dans les faits, même si, en campagne et en colère, Konan-Banny a demandé, en mars 2015, à Soro Kigbafori Guillaume de répondre des casses de la Bceao: cet argent a été bel et bien été blanchi aussi bien en Côte d’Ivoire que dans des pays de la sous-région, et les auteurs de ces crimes économiques sont en totale liberté, sûrs de ne jamais être inquiétés.

Le bi-hebdomadaire L’Éléphant Déchaîné, dans sa parution du 24 – 27 mai 2013 et citant des informations confidentielles obtenues auprès d’anciens cadres de la BCEAO, donne des informations époustouflantes: «Une évaluation complète du préjudice causé à la Banque centrale a été faite. Les montants dérobés dans les trois agences s’élèvent à 1038 milliards de FCFA. Cet argent a d’abord été placé au Burkina Faso, base arrière de l’ex-rébellion, avant d’être convoyé au Sénégal en avion. Et c’est dans ce pays que tout cet argent a été blanchi avec des complicités au plus haut sommet de l’État sénégalais et de la direction de la BCEAO. Parce que, sans la complicité de la BCEAO elle-même, il était impossible de blanchir cet argent qui a été par la suite injecté dans le circuit. Le rapprochement entre certaines autorités sénégalaises sous la présidence d’Abdoulaye Wade et des ex-chefs de la rébellion ivoirienne prend son explication dans cette opération. Des dizaines de milliards provenant de ce blanchiment ont été investis dans l’immobilier, dans la restauration, dans l’hôtellerie, au Burkina Faso. D’autres ont été investis un peu partout en Afrique et même au Brésil, où des Ranch ont été achetés. Et l’ancienne direction de la BCEAO a les noms de toutes les personnes qui ont profité de cet argent. Mais rien n’a été fait, personne n’a été poursuivi, en dehors d’un pauvre Béninois qui s’était fait avoir à Bouaké par un ex-chef rebelle et qui a été brièvement interpellé à Bamako en possession de plusieurs millions provenant des agences braquées. A l’époque, la France qui fait partie des actionnaires de la BCEAO, a voulu faire arrêter tous les cerveaux des attaques contre ces agences, mais des chefs d’État dont les pays ont massivement profité de ce vol, n’ont pas voulu s’associer à l’opération, parce qu’elle les mettait en difficulté eux-mêmes. Et les choses en sont restées là.»
FB

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