Côte-d’Ivoire Charles Blé Goudé: Une vie d’épreuves ou les épreuves d’une vie

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28 Septembre 1999-28 Septembre 2016, cela fait exactement 17 ans que Charles Blé Goudé fut enchainé d’une chaine rouillée dans son lit d’hospitalisation, au CHU de Treichville, par le pouvoir d’Henri Konan Bédié

Une contribution du Dr. Patrice Saraka

Je voudrais profiter de cette date anniversaire pour saluer tous les élèves et étudiants de cette époque (…). Car ces chaines au pied de Charles Blé Goudé symbolisaient notre douleur à tous, sans distinction.

(…) Je reste convaincu que notre génération malgré ses innombrables potentialités ne peut espérer ou rêver de changer la Côte d’Ivoire de demain sans rassemblement. Et ce serait un gros gâchis.

28 Septembre 1999-28 Septembre 2016, cela fait exactement 17 ans que Charles Blé Goudé fut enchainé d’une chaine rouillée dans son lit d’hospitalisation, au CHU de Treichville, par le pouvoir d’Henri Konan Bédié.

Cette image choquante fit rapidement le tour du monde. C’est dans ce contexte que j’ai reçu la visite de deux agents en tenue civile à la faculté de Médecine ; ils étaient venus me notifier une convocation à la sureté au Plateau. J’y ai répondu courageusement et j’ai été soumis à un interrogatoire pendant des heures. J’ai assumé avec sérénité et responsabilité mes liens avec le SG de la FESCI et confirmé que j’étais par ailleurs son médecin personnel.

Environ un mois et demi plutôt, vers la mi-août 1999 (13-14 Aout), à 3H du matin le SG de la FESCI fut arrêté par la DST dans sa clandestinité, sur dénonciation de certains complices dont je tais volontairement le nom du principal. Sinon, comment comprendre que cette arrestation fasse la grande « UNE » du quotidien gouvernemental Fraternité Matin, malgré l’heure tardive à laquelle elle a eu lieu?

Après avoir été maltraité durant plusieurs jours à la DST, il sera mis sous mandat de dépôt et déféré à la MACA où séjournaient déjà d’autres responsables de la FESCI (Kouamé Kouakou dit OK, N°2 ; Dago Antoni dit Féfé, Secrétaire à l’Organisation ; AGOTIO Julien, Secrétaire Adjoint à l’Organisation et Djékou Fayo, SG de la section de la Riviéra) ainsi que des élèves et étudiants anonymes.

Blé Goudé entama du fond de sa prison une grève de la faim pour protester contre leurs conditions de détention, exiger leur libération et la satisfaction des revendications des élèves et étudiants. Malade et affaibli à l’issue de huit jours de grève de la faim, il sera transféré d’urgence au CHU de Treichville, sur intervention de la Croix Rouge et de MSF (Médecins Sans Frontière).
En décidant d’aller à son chevet, Feu le Cardinal Bernard Agré et l’imam Idriss Koudouss, eux qui, avec le Bishop Benjamin Boni, avaient convaincu Charles Blé Goudé, Secrétaire Général de la FESCI, de lever son mot d’ordre de grève, étaient certainement loin de s’imaginer qu’ils le trouveraient effectivement enchainé de rouille dans un lit d’hôpital.
A ses côtés, couchée sur un petit morceau de pagne, le jeune leader pouvait compter sur la présence rassurante et réconfortante de sa jeune compagne, Bindé Solange, celle qui lui donnera des années plus tard Kpassagnon et Obou.

Se culpabilisant dans une certaine mesure, pour avoir donné toutes les garanties pour la levée du mot d’ordre de grève qui courait depuis plusieurs mois déjà (Mars 1999), ces deux guides religieux tenaient à apporter en personne leur soutien à Blé Goudé et à la FESCI ; il voulaient aussi lui dire leur désolation et qu’ils ne l’ont pas trahi.

En effet, de la mosquée d’Aghien à la cathédrale Saint Paul du Plateau où, entouré des trois leaders religieux précités, Blé Goudé lança l’appel de la levée du mot d’ordre de grève de la FESCI, en passant par la participation effective des représentants de la confédération des confessions religieuses à l’Assemblée Générale du forum de l’université de Cocody, ces guides spirituels auront pesé de tout leur poids et leadership pour convaincre les étudiants de la nécessité de lever leur mot d’ordre de grève. Malgré ses réserves, Blé Goudé et la FESCI ont accédé à leur demande. On comprend dès lors pourquoi l’évolution de la situation les a préoccupés au plus haut degré.

C’est ce jour-là que Charles Blé Goudé prononça pour la première fois son fameux « UN JOUR, IL FERA JOUR », sans manquer de rassurer ses visiteurs en ces termes : « AYEZ L’ESPRIT ET LA CONSCIENCE TRANQUILLES, CE N’EST PAS VOUS QUI M’AVEZ TRAHI; C’EST LE POUVOIR BEDIE QUI NOUS A TOUS TRAHI ».

A leur suite, d’autres personnalités comme Atin Oria, Ministre de la santé à cette époque, accompagné de son épouse, et le Professeur Francis Wodié, Ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique d’alors, ont pu faire l’amer constat de voir le jeune leader étudiant dans le fer, dans la rouille.

Lorsque sous la pression internationale le pouvoir Bédié décida de le libérer, Blé Goudé exigea et obtiendra la libération de tous les élèves et étudiants injustement incarcérés.
En jugeant important de revenir sur ce triste souvenir, c’est surtout pour en tirer ou en évoquer les principales leçons qui me semblent d’actualité et qui peuvent nous éclairer et nous conduire vers un futur meilleur. Cette histoire m’inspire trois choses essentielles :

1- Charles Blé Goudé le leader, le combattant intrépide et téméraire qui, malgré les difficultés et épreuves de tout genre continue de démontrer sa constance et sa fidélité. Il ne renonce jamais à ses idéaux et convictions. Il fait corps en toute circonstance avec ses camarades de lutte et continue de se battre pour défendre l’intérêt collectif. Aujourd’hui encore, le Ministre Blé Goudé, du fond de sa cellule de déportation continue d’avoir la même attitude, la même posture d’homme Digne.

2- Charles Blé Goudé était fort parce qu’il pouvait compter sur ses camarades qui sont restés solidaires et unis derrière lui. Et avec lui, nous sommes allés jusqu’au bout ! Avec lui nous avons gagné de nombreux combats.
Aujourd’hui encore, Charles, je tiens à te dire et à te rassurer que tu peux non seulement compter sur mon soutien personnel qui ne te fera jamais défaut, mais surtout celui de notre génération, celui de ces nombreux jeunes et femmes d’ici et d’ailleurs qui ont la certitude de ton retour.

3- Charles Blé Goudé était fort parce qu’il pouvait aussi compter sur le soutien de sa compagne, une femme qui a bravé les policiers à maintes reprises pour son leader qui se trouve être son homme. Récemment encore, avant sont transfèrement, elle l’a vaillamment démontré. Je continue d’avoir la conviction que sans elle Charles ne serait pas aussi solide à La Haye.
Je voudrais modestement traduire toute ma gratitude à cette brave dame, Solange Bindé, pour sa loyauté, sa constance et sa fidélité.

Pour finir, je voudrais profiter de cette date anniversaire pour saluer tous les élèves et étudiants de cette époque avec qui nous avons vécu des moments difficiles et endurer cette douleur commune, quel que soit leur bord d’aujourd’hui qui m’importe peu. Car, ces chaines au pied de Charles Blé Goudé symbolisaient notre douleur à tous, sans distinction. Nostalgique de cette belle époque, je ne peux que rêver de revivre l’environnement de solidarité et d’union dans lequel nous avons lutté par le passé ; c’est ce qui nous a permis de gagner des combats décisifs. Je reste convaincu que notre génération malgré ses innombrables potentialités ne peut espérer ou rêver de changer la Côte d’Ivoire de demain sans rassemblement. Et ce serait un gros gâchis.

Abidjan le 28/09/2016

Une contribution de Dr. Patrice Saraka
Président du Conseil de Contrôle de Discipline et d’Ethique (CCODE) du Cojep

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