Côte d’Ivoire: Doué et Mangou, tel père, tel fils

 

Le 20 août 2005, sur les antennes de RFI, c’est le coup de tonnerre. «La situation a trop duré et le départ du président Gbagbo est la condition unique au retour de la paix en Côte d’Ivoire». Celui qui procède à ces tirs de destruction ayant pour objet d’annihiler l’ennemi n’est pas un élément de la rébellion armée (qui depuis septembre 2002 était sur le pied de guerre), mais le général Mathias Doué (à droite sur la photo).
Il ralliait le colonel Jules Yao Yao, ancien porte-parole des FANCI, entré en dissidence. Le dîner dans la nuit du 28 au 29 juin 2005 à l’ambassade de France, en compagnie du général Laurent M’Bahia et du colonel Désiré Bakassa Traoré a tourné au vinaigre avec une interpellation musclée et «Monsieur Haut les cœurs, on y va» a pris ses distances avec le pouvoir Gbagbo. De son exil américain, il fustigeait le régime, demandant aux soldats ivoiriens de s’affranchir des pesanteurs politico-militaires pour ne défendre que l’intérêt national.

La surprise, si elle ne fut pas générale, créera néanmoins une onde de choc. En octobre 2000, à l’issue d’une présidentielle mouvementée, Laurent Gbagbo a choisi comme premier chef d’état-major de son mandat présidentiel, le général Mathias Doué. Transfuge du Comité national de salut public ou CNSP où il occupait le quatrième rang, il a battu campagne pour le général Robert Guéi, chef de la junte militaire et «candidat du peuple».
Mais beaucoup d’eau a coulé sous les ponts d’Abidjan. Doué a perdu de sa superbe, y compris au sein des troupes qui le soupçonnaient de ne pas jouer franc jeu. Ainsi, dans la nuit du 28 au 29 novembre 2003, des soldats et des activistes de la majorité présidentielle prenaient d’assaut la télévision nationale pour exiger son limogeage ainsi que celui des généraux Denis Bombet, commandant des forces terrestres, et Touvoli Bi Zobo, commandant supérieur de la Gendarmerie nationale.

Humilié, il présente sa démission au chef suprême des armées qui oppose une fin de non recevoir. Le 13 novembre 2004, la lune de miel finit par prendre fin, sans surprise. «Aujourd’hui est le jour de votre jour; vous serez libérés. L’opération ‘Dignité’ est en marche», lançait Mathias Doué le 4 novembre. Mais cette opération destinée à libérer Bouaké de l’occupation rebelle, a été sanctionnée par le bombardement, le 6 novembre, du cantonnement français de Bouaké dans des circonstances jamais élucidées.

Le général Doué est alors relevé de ses fonctions. Il est aussitôt remplacé par une étoile montante: le colonel Philippe Mangou, son fils spirituel et commandant du théâtre des opérations (à gauche sur la photo). «C’est une fierté pour moi de voir arriver le fils à la succession du père», a commenté le chef d’état-major déchu à la passation des charges.

En moins de sept ans, le 9è chef d’état-major des Forces armées de Côte d’Ivoire (FANCI) brûlera toutes les étapes de la promotion militaire en un temps record: colonel-major, général de brigade en juin 2005, général de division en août 2007 et général de corps d’armée avec quatre étoiles en juillet 2010.

Sur les traces de son «père» Doué, le général Mangou va aussi user, sur tapis vert, de stratégie militaire dont il a abreuvé les téléspectateurs durant sa déposition. Dès la proclamation des résultats définitifs de la controversée présidentielle du 28 novembre 2010, il faisait allégeance à Laurent Gbagbo, déclaré vainqueur du scrutin par le Conseil constitutionnel et s’engageait à ne pas lui planter un poignard dans le dos.
Il galvanisait et mobilisait les «Jeunes Patriotes». Le 23 janvier 2011 au stade Robert Champroux de Marcory, Mangou était tout feu tout flamme. «Nous ferons la guerre si on nous l’impose car la Côte d’Ivoire détient des armes lourdes à destructions massives», déclarait-il. Car, affirmait-il, «Laurent Gbagbo est celui-là que le Seigneur a choisi en ce moment crucial de l’histoire de ce pays pour lui donner sa souveraineté et sa dignité ». «Les Forces de défense et de sécurité de Côte d’Ivoire iront avec le président Gbagbo jusqu’au bout de sa mission et ce, jusqu’au sacrifice suprême», concluait-il.

C’étaient des leurres et des tirs d’aveuglement aux fumigènes. «Mon téléphone est inondé de coups de fil de généraux et d’officiers supérieurs qui sont en train de nous rejoindre», avertissait, sûr de lui, le Premier ministre de l’hôtel du Golf, Soro Kigbafori Guillaume, le 19 février 2011 à Dakar. Des tractations souterraines faisaient, en effet, des dégâts dans les rangs des Forces de défense et de sécurité (FDS), traversées par des clivages politiques.
C’est pourquoi, officier de réserve, Laurent Gbagbo qui se savait «entouré de compromissions, de traîtrises, de duplicité et d’alliance mercantile», va, à son tour, user de tirs éclairants pour essayer d’observer d’éventuels mouvements insurgés afin de riposter et désorganiser la manœuvre adverse. Et Mangou est tombé pieds joints dans le panneau de ce piège politique.

Quand pour le sonder, le chef de l’Etat a prétexté son abandon par deux de ses soutiens africains, Jose Eduardo Dos Santos d’Angola et Jacob Zuma d’Afrique du Sud, qui lui auraient demandé de démissionner, Mangou est sorti du bois, le 11 mars 2011, pour se mettre à table, montrant qu’il jouait à un double jeu qui lui a valu, en 2007, d’être copieusement hué par ses soldats.

Après la signature de l’Accord politique de Ouaga (APO), entre la rébellion armée et l’Etat en mars 2007, les militaires ont souhaité que l’Etat verse à chacun d’eux des primes de dédommagement à hauteur de dix millions de nos francs.
Niet de Laurent Gbagbo. «Vous n’avez pas gagné la guerre», leur a-t-il dit pour expliquer son refus. Naturellement, ils ont bien moqué leur général qui, à cette occasion, envisageait pour eux des décorations honorifiques en lieu et place des pécules.
Et quand le général Mangou, lui aussi humilié d’avoir été frustré, a voulu rendre le tablier, Gbagbo lui a répondu, comme à son «père»: «Ce n’est pas le moment».

La crise post-électorale sera alors l’aubaine pour prendre sa revanche. «Monsieur le président, démissionnez pour faire honneur aux deux présidents (Jose Eduardo Dos Santos d’Angola et Jacob Zuma d’Afrique du Sud). Monsieur le président, il y a déjà trop de morts. En plus, vous avez passé des commandes de munitions et d’armes depuis huit mois; nous ne les avons pas reçues. Donc je vous demande de démissionner», a-t-il confessé le 26 septembre 2017 lors de sa déposition à la CPI pour indiquer les tirs de neutralisation dont il s’est servi à l’effet de fixer l’ennemi et l’empêcher de manœuvrer.

Utilisant le même discours rodé que son «père» en 2005, il a poursuivi pour abattre ses cartes et corroborer sa totale collusion avec le camp Ouattara: «Vous êtes deux enfants du pays qui êtes allés aux élections. Et nous les militaires, nous avons voté. Moi, en tant que chef d’état-major des armées, je ne peux pas demander à ceux qui ont voté pour le président Ouattara de se battre pour vous maintenir au pouvoir». Ce n’est pas un aveu d’impuissance, mais de parti-pris et de trahison. Car le militaire recyclé à la diplomatie a sa défense. «Je sers la Côte d’Ivoire, pas Laurent Gbagbo», a-t-il confié à un journal gabonais.

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