Le Fpi et le Rdr: Deux cas d’offres politiques inquiétantes en Côte-d’Ivoire, selon Tiburce Koffi

Suite et fin de la Trilogie

Politique et ethnicisme en Afrique : cas de la Côte d’Ivoire

(A l’attention des jeunes de mon pays)

Rappel : les deux premiers volets de cette trilogie ont montré la différence entre l’individu occidental (homme singulier), et l’individu africain, homme pluriel parce que produit d’une communauté à laquelle il reste attaché ; d’où l’impact de l’ethnie dans son agir. Ce troisième volet va illustrer davantage ces assertions et montrer en quoi le Pdci, le Rdr et le Fpi sont des partis qui nous inspirent des inquiétudes.

1990. La réinstauration du multipartisme a projeté à l’avant-scène de l’actualité socio politique ivoirienne, de nouvelles figures ; pêle-mêle et entre autres : Simone Ehivet, Gbaï Tagro, Francis Wodié, Bamba Moriféré, Koné Amadou, Laurent Gbagbo, Constance Yahi, Zadi Zaourou, Pierre Kipré, Anaky Kobéna, Angèle Gnonsoa, Laurent Akoun, Djéni Kobina, Marcel Etté, Tapé Kipré… pour ce qui est des plus représentatifs. Notons que les cinq derniers sont d’extraction purement syndicale ; celui qui les précède, Anaky, était, lui, un homme d’affaires au militantisme secret, sinon très clandestin — cela se comprend. Il faut ajouter à ces noms, d’autres d’hommes de presse ; parmi les plus en vue : Georges Coffie, Philipe Bouabré, Paul Arnaud (presse), Ali Kéita, un ex-compagnon d’infortune de Laurent Gbagbo au célèbre camp militaire de Séguéla. Des civils naguère anonymes comme Soumah Yadi…, et Gueu Droh se signaleront aussi dans le milieu politique. Oui, ce fut un temps de bouleversement !

Gueu Droh. Singulier, bien singulier personnage que ce petit bout d’homme, sec comme bois savanier d’harmattan, le regard pétillant de gentillesse et de politesse obséquieuse. Sans doute à tort, l’opinion n’a jamais voulu le prendre au sérieux sur le terrain politique. Mon avis sur la question est qu’il faut un peu de tout pour faire un monde ; surtout un monde de fous comme l’est l’univers politique. Et dans cet univers-là, peuplé de menteurs, de fourbes, de criminels, de cyniques roublards et mystificateurs de tout aloi, de gens sans foi et sans honneur, Gueu Droh est une pièce rare : un condensé de probité naïve et de charmante ignorance ! Vraisemblablement, l’homme s’est trompé de milieu ; et ce milieu s’est trompé de l’avoir choisi. Mais Gueu Droh fut-il en réalité choisi ? Ah ! Gueu Droh ! Un bien sympathique et curieux personnage !

Passons d’une amusante digression à une autre un peu sérieuse : le retour au multipartisme légitimait de fait l’exigence politique de Kragbé Gnagbé qui était d’en voir effectivement l’application, cette modalité juridique et républicaine étant restée inscrite dans la Constitution. Certes, un chef d’État sérieux a le droit et surtout le devoir de mater une rébellion. Le président Houphouët-Boigny fut donc dans son bon droit d’avoir maté la rébellion du guébié, une insurrection de caractère ‘‘zapatiste’’ tournée vers des planteurs baoulé qu’elle commit l’erreur de prendre pour cibles. Mais l’Exécutif ivoirien a tort, sur le plan juridique, d’avoir refusé d’accéder à la revendication légitime et légale de Kragbé : créer un parti politique, conformément aux dispositions constitutionnelles. Frustré, l’homme opta alors pour la solution maximale et désespérée : provoquer un soulèvement armé. Mais, vraisemblablement mal conceptualisée et mal conçue, la rébellion du guébié fut menée de manière désastreuse et sanguinaire (comme toute rébellion), et fut conséquemment matée dans le sang (sort classique de toute rébellion qui échoue) !

Trêve de digression. Depuis les années 1970, mais certainement au cours des années 1980, les noms de la plupart des personnes citées plus haut étaient souvent revenus au centre de faits hautement médiatiques, ou de maintes agitations sociales : grèves notamment, intrigues et conspirations (avérées ou non, et dénoncées par le Pdci). On les appelait alors « ceux de l’opposition clandestine » car c’étaient effectivement outre de féroces contestataires (pour la plupart d’entre elles), des opposants politiques (même si une figure importante comme Pierre Kipré avait rejoint les rangs du pouvoir Pdci, à partir de 1982, dans un contexte historique qu’il n’est pas nécessaire de rappeler ici.) Une autre caractéristique : c’était une opposition conçue et menée par des enseignants, notamment du secondaire (les plus actifs et activistes).

À partir de 1990, l’opposition clandestine aura le soutien des étudiants réunis en une centrale syndicale, la Fesci, très contestataire et batailleuse, et dont les chefs historiques les plus charismatiques restent Martial Ahipeaud, Guillaume Soro et Charles Blé Goudé. Une utile remarque : d’entre ces personnalités politiques que je viens de citer, trois fortes figures, originaires du pays bhété, émergent et se retrouvent à la tête des partis d’opposition (de gauche généralement) qui vont se signaler officiellement dès avril 1990 : Gbaï Tagro (Parti républicain), Laurent Gbagbo (Front populaire ivoirien), Bernard Zadi Zaourou (Union des socio démocrates — Usd).

Quand disparaît le Président Houphouët-Boigny, d’autres visages de politiciens (nouveaux comme anciens) s’imposent aux Ivoiriens : Samba Diarra, Amadou Koné, Kodiara (de l’aventure 1963-1967 — tous ex-hauts cadres de l’État, et ex-prisonniers d’Assabou la tristement célèbre prison de Yamoussoukro), et Alassane Ouattara. Ils sont originaires du nord de la Côte d’Ivoire. Et ils tiennent un discours d’opposant à… Houphouët-Boigny qui venait alors d’être… inhumé — c’est le cas de Samba Diarra et de Koné Amadou ! Etranges politiciens de mon pays ! Ouattara, lui, limite son action d’opposant à son refus de céder ‘‘facilement’’ le fauteuil présidentiel à Henri Konan Bédié le dauphin constitutionnel ; mais dans l’ensemble, il reste très respectueux de la Mémoire du défunt président.

La première vague d’opposants officiels, qui surgit à partir de 1990, est donc pratiquement conduite par des bhété : Gbagbo, Zadi, Gbaï Tagro. Elle a une figure de proue : Laurent Gbagbo, lieu de convergence de tous les espoirs de changements. C’est un vrai chef, un guide hautement charismatique. Son discours, sans louvoiement (l’homme était et reste ferme sur ses convictions politiques), charrie les frustrations que de nombreux ressortissants de l’ouest estiment avoir connues sous le règne d’Houphouët-Boigny. Le nom de Gnagbé Kragbé, et à travers lui la tragédie du guébié, est brandi comme symbole du martyr des gens de l’ouest. Ce nom devient bientôt une référence aux entournures du mythologique, qui réécrit la légende du bhété homme de combat et guerrier intrépide. Et Gnagbé Kragbé fut en effet cela. Son surnom est okpadjrê (la panthère — un animal très loin d’être d’amicale compagnie) !

Deux autres noms alimentent le discours de nombre d’intellectuels et d’opposants originaires de l’ouest : Dignan Bailly et Zokou Gbeûly. Le premier est un homme politique qui mena bataille (et la perdit par vote) contre Houphouët-Boigny, précisément dans le pays bété ; le second, Zokou Gbeuly, est un guerrier traditionnel. On le représente souvent en guerrier authentique, dans le style militaire des guerriers de l’Afrique ancienne, torse nu, vêtu d’une jupe en raphia, et muni d’une lance devenue légendaire. Son fait d’arme significatif ne semble guère aller au-delà d’une anecdote historique : il aurait eu maille à partir avec un sous-officier français. Zokou Gbeûly fut capturé (évidemment !), battu par cet officier, humilié et mis en prison… Il mourut, bien sûr. Mais son nom figure au « panthéon » des héros de l’ouest contestataire et batailleur : il avait osé défier un sous-officier français ! Héroïsme sans doute, mais vraiment d’un autre âge !

Voilà donc un peu (et sans doute de manière caricaturale) comment s’est construit progressivement le mythe du martyr des Bhétés, peuple qui s’estime avoir été brimé par le pouvoir colonial et celui d’Houphouët-Boigny. C’est un double pathos : celui de la souffrance injuste, génératrice d’idées de vengeance réparatrice, et celui du résistant, intrépide guerrier qui se bat jusqu’au bout ! Quand Laurent Gbagbo parvient au pouvoir, en 2000, une de ses paroles fortes qu’il prononce au cours d’une audience accordée aux tribus de l’ouest, est la suivante : « Je suis là, maintenant ! Séchez vos larmes. » La fameuse expression « c’est notre tour maintenant » qui, du règne de M. Gbagbo, alimentait le discours des Bhété, date de ce fait. Bien sûr, Zadi Zaourou, Gbaï Tagro ainsi que nombre de cadres bhété ne tiennent pas ce type de discours vengeur que le premier surtout ne partagea pas, mais alors pas du tout.

Et quand l’ex-Président de Côte d’Ivoire se barricade dans un sous-sol de la résidence présidentielle pour résister de manière suicidaire et jusqu’au bout, aux assauts effroyables et meurtriers de l’armée française, c’est ce sens de la témérité hérité de sa culture ethnique, qu’il exprime. C’est donc un atavisme : le Bhété est effectivement un homme entier, généreux et courageux batailleur, aussi bien pour des idées que dans l’action. Et Laurent Gbagbo l’est. Ce n’est pas un jugement de valeur (qualifiant ou disqualifiant.) C’est juste une réflexion tirée d’une observation vérifiable, sans intention aucune de nuire à la qualité de l’image d’un peuple au demeurant respectable, et dont l’auteur de ces lignes se sent d’ailleurs proche.

Gbaï Tagro. Parlons-en un peu : il est, historiquement, le premier et le seul ivoirien à avoir crânement déposé sur le bureau du Président Houphouët-Boigny, à l’issue d’une audience, le manifeste de son parti politique : le Parti républicain. Nous sommes en 1981-82. Eh oui, jeunes gens !, l’histoire du combat pour la réinstauration du multipartisme porte des noms de précurseurs. De 1962 jusqu’à 1982, les deux personnes qui ont pris l’initiative de la revendication claire du multipartisme se nomment : Christophe Gnagbé Kragbé, Gbaï Tagro. Mais nous devons reconnaître à Laurent Gbagbo, leur cadet et successeur, le mérite d’avoir vraiment incarné ce combat, et de façon largement méritoire, surtout à partir de la deuxième moitié des années 1980.

Synthèse : le retour au multipartisme (1990) et la disparition de Félix Houphouët-Boigny (1993) provoquent une réécriture de la carte politique ivoirienne en trois sphères d’influences : l’une, de l’ouest, menée par Laurent Gbagbo et le Fpi, est à dominante krou, avec les bhétés comme soutien électoral presque indéfectible, sinon captif ; l’autre, au nord, est incarnée par Alassane Ouattara et les populations de cette partie du pays communément ou improprement appelées, toutes, « Dyulas ». Au milieu, comme un pôle d’équilibre, le Pdci-Rda.

Par sa posture historique de parti d’obédience panafricaniste, le Pdci-Rda s’avère trans-ethnique car il couvre une surface nationale plus large que les deux autres partis, quoique sa base demeure akan (baoulé, agni et des peuples lagunaires — Ébrié, Adjoukrou, Allandjan…). C’est cette nouvelle géographie de la vie politique ivoirienne du pays qui détermine jusqu’aujourd’hui le discours et l’action politiques en Côte d’Ivoire. Notons que les akans et les gens du nord représentent, à eux seuls, plus de la moitié de la population ivoirienne, et donc de l’électorat. En conséquence, tant que ces deux grands groupes ethniques seront unis, le pouvoir restera toujours, sinon pour longtemps, entre leurs mains. C’est un danger pour la démocratie et l’unité nationale (on le verra plus loin).

[Le pacte tribalo-ethnique et le leader devenu otage]

À l’observation de la carte politique du pays, les craintes d’Houphouët-Boigny, et ses réserves sur le multipartisme se justifient : l’homme, on le sait, était persuadé que le multipartisme sera le spectre de l’ethnicisme qui détruira l’embryon de nation qu’il s’attelait à créer, et que ses successeurs devaient avoir pour mission de consolider. Les trois grandes formations politiques du pays que sont le Pdci-Rda (son propre parti), le Fpi et le Rdr sont aujourd’hui des structures politiques à base ethnique. Une nuance toutefois : le Pdci et le Fpi le sont devenus au cours de leur évolution. En effet, le Pdci-Rda, d’inspiration panafricaniste, fut transnational à sa création jusqu’en 1990, date de la rupture du consensus. Le Fpi fut une réelle aspiration nationale, et son chef, Laurent Gbagbo, un héros national comme le fut Houphouët-Boigny des années 1940-60 pour tous les Ivoiriens de l’époque coloniale.

C’est, en réalité, à partir de 2004 que, face à la persistance de la menace identitaire et armée du nord, le Fpi trouva dans le repli identitaire les moyens de sa survie (1) : c’est une donne courante en Afrique où la tribu s’avère comme la soupape de sécurité la plus sûre, aussi bien pour l’individu, que pour les structures politiques. Mais, à mon avis, le réflexe ‘‘ethniciste’’ du Fpi est accidentel et non structurel

Au contraire du Pdci-Rda et du Fpi, le Rdr est, lui, un parti d’inspiration exclusivement ethnique, pis, ‘‘ethniciste’’ en postulant la référence géographique, l’origine tribale et l’ancrage socioculturel comme fondements, justifications et nécessité historique de sa création. Dans les idiomes linguistiques partagés (le bambara et le malinké résumés en la dénomination « djoula/dyula »), dans la religion (l’islam) et le sens des affaires (à travers le commerce), ce parti cimente son unité et réalise son actualité par une récupération et une réécriture idéologique de l’histoire et du destin des tribus du nord (sénoufos et malinkés) : contrôler la Côte d’Ivoire, « leur terre », conquise hier par la force des fusils (thèse promue par Lamine Diabaté, en 1990 et 1995.) Son héros historique, Alassane Ouattara, surnommé à dessein « bravetchê », est le souffre-douleur et celui-là même qui doit rétablir la dignité bafouée des gens du nord.

C’est ce pathos de la revanche de la tribu (que les gens du nord partagent avec ceux de l’ouest) qui rationalise et justifie la création du Front républicain. Non, contrairement à ce que de nombreux analystes avaient pensé avec aise et confort intellectuel, le Front républicain ne fut pas une « alliance contre nature », un inceste politique entre le Fpi (parti d’obédience nationale et nationaliste) et le Rdr, un parti ethnique et ‘‘ethniciste’’ et très ouvert sur l’extérieur : c’est une articulation apparemment contradictoire, mais qui s’explique par le vécu culturel, transnational, des membres de ce parti — nous avons déjà exposé cette donne. Bien au contraire, le Front républicain scelle une alliance politique lucide sur la base d’intérêts partagés (c’est la règle en politique), pour réaliser des utopies tribalo-ethniques : mettre fin à l’hégémonisme akan incarné par le long règne d’Houphouët-Boigny et celui de Konan Bédié qui rêvait de la même longévité. La une exaltée d’un numéro de « La Voie » de cette époque titre alors : « Alassane, toi et moi, nous dirigerons ensemble la Côte d’Ivoire » — c’est Laurent Gbagbo qui s’exprimait ainsi ! Prose lyrique et politique d’un autre temps ! Ah, la vie !…

Pdci-Rda, Fpi, Rdr. Chacun de ces trois grands partis puise incontestablement ses ressources démographiques dans l’ethnie. C’est une donne plus culturelle qu’idéologique ; ou alors, c’est une idéologie de la tribu et de l’ethnie pensées en termes d’adjuvants politiques. Nous le répétons, ce n’est pas une tare ; c’est, bien au contraire, une note d’originalité qui différencie la politique en Afrique de celle, en vigueur en Occident. Dans le dernier cas, l’individu, unité libre, décide de son choix politique ; dans le premier cas, c’est la communauté qui dicte le choix à l’individu (unité collective) car c’est elle, la communauté, qui, au commencement et à la fin (de la naissance jusqu’à la mort) répond et répondra de l’individu.

Oui, les Bhétés ont soutenu et soutiennent Laurent Gbagbo, tout comme les Baoulés ont soutenu Houphouët-Boigny et soutiennent Konan Bédié ; et les Dyulas soutiennent Alassane Ouattara. Et ces différents leaders ont récompensé les membres de leurs tribus respectives pour le soutien que ceux-ci leur ont apporté. Car ce sont toujours ceux-là, les membres de la tribu et du groupe ethnique qui donnent de la voix et de la poitrine pour la réussite du combat du fils du terroir, le héros de la tribu. Ils vont souvent jusqu’au sacrifice même de leurs vies — cas du Fpi et surtout du Rdr, deux partis animés par des leaders trop charismatiques et générateurs de fanatisme ensorcelé et dangereux. Où est le mal qu’il y a à récompenser ces gens, ces braves méritants ?

Voilà donc, jeunes gens, une bonne part de l’explication de la politique de « rattrapage ethnique », que Ouattara n’est pas le seul à avoir appliquée : Bédié l’a fait et continue de le faire ; Gbagbo l’a fait. En la matière, Ouattara n’a rien inventé — c’est juste une question d’amplitude du phénomène. Arrêtons donc ces indignations sélectives et tardives sur une pratique classique dans la politique en Afrique, notamment dans notre pays. Non, la politique ne peut s’affranchir des donnes culturelles du milieu qui l’a secrétée. C’est quand elle vire exclusivement à l’affirmation d’un groupe ethnique et religieux sur le vécu national, qu’elle devient un danger. Et c’est le tableau qu’offrent malheureusement aujourd’hui le Fpi et le Rdr.

La défaite électorale et militaire de Laurent Gbagbo, puis son transfèrement et son procès à la Haye ont accentué le sentiment d’injustice que les Bhétés éprouvent depuis l’époque d’Houphouët-Boigny (« l’homme de la France »), jusqu’aujourd’hui avec Alassane Ouattara, un autre « pion de la France. » Oui, le peuple bhété est habité par une culture de la victimisation que semblent confirmer les faits. A-t-il tort de ‘‘sentir’’ ainsi les choses ? Pas si sûr. Mais, à l’analyse, accusation pour accusation, Laurent Gbagbo ne fut-il pas, lui aussi, « l’homme de la France » respectivement contre Houphouët-Boigny (1982-1993), contre Henri Konan Bédié (1993-1999), et aussi et surtout « l’homme de la France » contre le Général Robert Guéi, en 2000 ? Et à la réflexion, Robert Guéi n’aura-t-il pas été, en réalité, le seul chef d’État ivoirien à s’être affranchi du dirigisme français ?

Poursuivons la liste de questions : Laurent Gbagbo, quand il bénéficie du soutien sans réserve de la gauche française qui entérine pratiquement l’insurrection populaire qui le porte au pouvoir (nonobstant le sérieux contentieux électoral entre Robert Guéi et lui), quand il finance la campagne de Jacques Chirac, et quand il entretient le cabinet de Sarkozy (espérant avoir son soutien) ; enfin, quand ce même Gbagbo se fait conseiller par des politiciens français, n’est-ce pas au titre de potentiel (et même réel) « homme de la France » ? Comment, par ailleurs, expliquer le fait que ce socialiste proclamé tel n’ait jamais scellé alliance avec la Russie, parapluie politique de tous les régimes socialistes ? Même la social-démocrate Engela Merkel ne fit pas partie de ses alliés ! Les partenaires principaux du régime de la Refondation furent les Français, aussi bien ceux de la droite que de la gauche ! C’est dire que, de fait, hormis le Général Robert Guéi, chacun de ces chefs d’État de notre pays fut « l’homme de la France. » Et ce n’est pas l’avènement d’Alassane Ouattara au pouvoir qui nous contredirait…

Par la faute de l’actuel régime qui les a exclus de la vie administrative et politique ivoirienne, les Bhétés et de nombreux ivoiriens de l’ouest ne s’en remettent, aujourd’hui, plus qu’à Laurent Gbagbo dont l’espérance du retour atteint à celle que nourrirent pendant longtemps les Mexicains pour Zapata, le redresseur de torts. Sa libération attendue (et elle se réalisera), résonnera comme une note d’espoir de revanche et de réhabilitation des Bhétés et, par ricochet, des hommes de l’ouest. Il y a là, des raisons d’être inquiets : le Fpi de nouveau au pouvoir ne fera sans doute pas économie d’une chasse, sans pitié, aux sorcières !

[Le pouvoir Rdr ou l’exaltation outrancière de l’ethnie]

Au Rdr, la perspective de la perte du pouvoir en 2020 accentue les réflexes défensifs dans le repli identitaire. C’est, en réalité, un parti sans réelle audience nationale, malgré la large surface géographique qu’il couvre : les dyulas (sa base ethnique) sont, de culture, des gens expansionnistes ; et le sens de l’hospitalité qui caractérise les peuples de Côte d’Ivoire a fait qu’ils ont été ACCEPTÉS PARTOUT sur le territoire national. C’est là, une donne vérifiable qui dément, en grande partie, la thèse de l’exclusion systématique et systémique dont ils affirment avoir été victimes en Côte d’Ivoire, et qui a pu servir de justification à la rébellion. En vérité, c’est la mauvaise gestion du cas Ouattara qui a généré ces méfiances stupides et dangereuses contre une communauté nôtre qui vit (effectivement) peser sur elle, des soupçons, tout aussi stupides, d’appartenance à l’étranger ! L’obsession d’exclure Alassane Ouattara du jeu électoral ivoirien a, indiscutablement, généré des actes ignobles et insupportables à l’encontre des gens du nord. Et il était absolument nécessaire de combattre ces pratiques, de la manière la plus rigoureuse et la plus vigoureuse : c’est ce que fit la rébellion.

Chers compatriotes, et surtout vous autres jeunes de mon pays, ce que l’enseignant, journaliste et écrivain que je suis, écris ici, est rigoureusement exact. Continuer de nier ces fautes graves commises sur cette communauté serait une attitude irresponsable et offensante à l’encontre de ces gens du nord, cette part de nous, cette immensité culturelle et démographique nationale que nous avions effectivement bafouée. La tragédie des gens du Nord (les maltraitances qu’ils ont subies) est un fait avéré, une histoire connue ; et, n’en déplaise aux négationnistes achevés et ensorcelés, je continuerai de l’écrire et de la dire à ma manière. À des fins pédagogique : qu’elle nous serve de leçon et nous fasse comprendre, à tous, le sens de notre destin collectif de gens d’un même pays appelé « Côte d’Ivoire », une terre de rassemblement dans l’Union, la Discipline et le Travail (nos valeurs républicaines), pour la construction d’une « patrie de la vraie fraternité » (nos valeurs cardinales promues par notre hymne national).

Non, aucune nation ne se construit sans trébuchement. Le bons sens populaire dit d’ailleurs que « l’erreur est humaine. » Mais, comme l’humain n’est pas une erreur (et ne saurait même l’être), persister dans l’erreur ne saurait donc être un comportement d’humain, c’est-à-dire une attitude de gens dotés de raison ! Soyons donc intelligents : ne répétons pas la faute grave qui débouchera inévitablement sur la même tragédie — les mêmes causes provoquant les mêmes effets. Or, c’est malheureusement ce vers quoi nous attire le Rdr dans ses fautes graves de gouvernance. Six années d’exercice du pouvoir Rdr nous ont suffisamment fait subir le spectre de la dictature ethnique, ce nord détenteur de l’Exécutif. Jamais dans l’histoire administrative et politique de notre pays, nous n’avions vu une telle parade ethnique !

De nombreux collègues, amis et cadres du nord me confient, en aparté, leur crainte de l’avenir : ils sont conscients d’avoir accaparé la presque totalité de l’espace administratif et politique du pays ; ils sont conscients du caractère ‘‘ethniciste’’ outrancier de l’actuelle régence ; et nombre d’entre eux redoutent les temps à venir où ils seront (inévitablement) boutés du pouvoir : aucun règne n’est éternel. Comment affronteront-ils alors cette (nécessaire et inévitable) mise à l’écart, après leur temps de règne absolu, hégémonique, insolent, menaçant et sans partage, sur la cité ? Le spectre de l’exil s’agite alors dans leur subconscient (2) perturbé ; cet exil qu’ils ont imposé aux autres compatriotes et dont ils s’accommodent de manière navrante et irresponsable ! Comment peut-on en arriver à croire qu’une telle exaltation de l’ethnie et du clan politique pourrait survivre et prospérer outre mesure ?

« La Côte d’Ivoire d’aujourd’hui se résume à l’avènement au pouvoir de deux groupes ethniques qui règnent en maîtres sur le pays : le groupe ‘‘dyula’’ à travers le binôme malinké-sénoufo, et le groupe akan, par le binôme baoulé-agni (3).» L’ouest (et donc le groupe krou) est pratiquement exclu ! Et ses ressortissants continuent de subir un ostracisme intolérable. La perspective du retour du Fpi au pouvoir est donc à redouter ; de même, celle du maintien du Rdr au somment de l’Exécutif. Même le Pdci-Rda, s’il reprenait le pouvoir, pourrait s’avérer une menace d’hégémonie tribale avec le redoutable binôme akans-dyulas (l’alliance avec le Rdr.) On le voit : c’est un guêpier dont il nous faut absolument sortir. Comment procéder ?

Prochainement : « La nécessité d’une alliance nouvelle et républicaine » (pour la réhabilitation d’une Côte d’Ivoire réconciliée et unie).

tiburce_koffi@yahoo.fr

(1) Fait significatif et franchement malheureux : dès que parvenu au pouvoir, l’ouvrage que Laurent Gbagbo publie porte la marque de la tribu : « Sur les traces des Bhétés » ! Autrement dit, la tribu avant tout ! Comment un chef d’Etat, de surcroît écrivain et universitaire, peut-il se comporter ainsi ?

(2) Cette peur transparaît dans des discours publics.

(3) In « Non à l’Appel de Daoukro — adresse citoyenne », Les Editions du Souvenir, novembre 2014. Un essai de Tiburce Koffi.

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1 réflexion au sujet de « Le Fpi et le Rdr: Deux cas d’offres politiques inquiétantes en Côte-d’Ivoire, selon Tiburce Koffi »

  1. Tiburce Koffi, le prostitué intellectuel, soutient que le FPI et RDR sont dangereux et induiétants. Donc dans son entendement, c’est Soro et sa rébellion qui sont paisibles, fiables et exemplaires…

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