L’église catholique de Côte d’Ivoire a-t-elle perdu sa voie/voix ?

En 1883, lorsque Léopold II, roi des Belges envoya ses premiers prêtres catholiques en Afrique endormir la méfiance des Congolais avant que n’arrivent ses armées et ses intérimaires achever le travail d’assujettissement et d’exploitation des Africains, voici ce qu’il leur enjoignit :

Révérends Pères et mes Chers Compatriotes,

La tâche qui vous est confiée est très délicate à remplir et demande du tact. Prêtres, vous allez certes pour l’évangélisation, mais cette évangélisation doit s’inspirer avant tout des intérêts de la Belgique. Le but principal de votre mission au Congo n’est donc point d’apprendre aux Nègres à connaître Dieu, car ils le connaissent déjà. Ils parlent et se soumettent à UN MUNDI, UN MUNGU, UN DIAKOMBA et que sais-je encore ; ils savent que tuer, voler, coucher avec la femme d’autrui, calomnier et injurier est mauvais. Ayons donc le courage de l’avouer. Vous n’irez donc pas leur apprendre ce qu’ils savent déjà. Votre rôle essentiel est de faciliter leur tâche aux Administratifs et aux Industriels. C’est dire donc que vous interpréterez l’Évangile d’une façon qui serve à mieux protéger nos intérêts dans cette partie du monde. Pour ce faire, vous veillerez entre autre à désintéresser nos sauvages des richesses dont regorgent leurs sols et sous-sols, pour éviter qu’ils s’y intéressent, qu’ils ne nous fassent pas une concurrence meurtrière et rêvent un jour de nous déloger. Votre connaissance de l’Évangile vous permettra de trouver facilement des textes recommandant aux fidèles d’aimer la pauvreté, tel par exemple : « HEUREUX LES PAUVRES CAR LE ROYAUME DES CIEUX EST A EUX. IL EST DIFFICILE AU RICHE D’ENTRER AU CIEL » (…) Votre action doit se porter essentiellement sur les jeunes afin qu’ils ne se révoltent pas (…) Insistez particulièrement sur la soumission et l’obéissance. Évitez de développer l’esprit critique dans vos écoles. Apprenez aux élèves à croire et non à raisonner.
Ce sont-là, Chers Compatriotes, quelques-uns des principes que vous appliquerez. Vous en trouverez beaucoup d’autres dans les livres qui vous seront remis à la fin de cette séance. Évangélisez les Nègres à la mode des Africains, qu’ils restent toujours soumis aux « colonialistes blancs ». Qu’ils ne se révoltent jamais contre les injustices que ceux-ci leur feront subir. Faites leurs méditer chaque jour : « HEUREUX CEUX QUI PLEURENT CAR LE ROYAUME DES CIEUX EST A EUX ».

Que Léopold II ait vraiment prononcé ces mots ou pas importe peu. Ce qui importe ici, c’est la collusion observée entre l’église et le pouvoir politique dans l’exploitation de l’Afrique ; plus tragique encore, ce qui importe ici, c’est le fait qu’en Côte d’Ivoire l’église catholique semble s’être donné pour rôle d’influencer ses paroissiens dans le sens de l’indolence, d’abêtir ses ouailles pour la perpétuation de l’autocratie d’Alassane Dramane Ouattara. L’appel à l’action de la théologie de la libération, qui, des décennies plus tôt, dans les dictatures latino-américaines (Colombie, Brésil, Pérou, Nicaragua, Chili, Guatemala, etc.), défia les despotes pour, au nom du Christ, redresser les maux sociaux, alors qu’il retrouve un regain de détermination au Congo ou au Togo pour les nouveaux défis de l’Afrique, vient au contraire s’asphyxier sur les rives de la lagune ébrié, où se développe la plus grande dictature africaine depuis l’ère d’Amin Dada. Ici, à part le courage d’une poignée d’hommes en chasubles, dont Mgr Marcellin Kouadio et Mgr Jean-Pierre Kutwa, qui osèrent dénoncer la dictature de Ouattara, la plupart des prêtres catholiques se sont murés dans un silence coupable. Ici, il m’en souvient la verbosité labyrinthique de Mgr Lézoutié, qui, le 10 janvier 2011, après avoir mélangé analogies footballistiques à allégories théologiques et presque comparé Alassane Dramane Ouattara à Jésus, demandait à Gbagbo de démissionner pour alléger la souffrance des Ivoiriens. Notre Lezoutié qui, curieusement, à part quelques bafouillages, est resté brutalement silencieux aujourd’hui ! Ici, il m’en souvient les pyrotechnies de Mgr Ahouana dans la CONARIV, cette « connerie » qui n’a servi à rien d’autre qu’à donner bonne conscience au despote Ouattara, et qui, sa mission accomplie, fut fermée sans ménagement par Koné Mariatou. Notre Ahouana qui est demeuré brutalement silencieux aujourd’hui ! Tout porterait à croire que l’église catholique ivoirienne a perdu sa voie/voix, se faisant de plus en plus la voix du dictateur Ouattara. L’église catholique ivoirienne, plutôt que d’enseigner inlassablement aux Ivoiriens à tourner l’autre joue aux abus de Ouattara, gagnerait à s’inspirer de l’église catholique congolaise, une église à l’écoute des préoccupations du peuple, catéchisant une théologie de la délivrance.

Martial Frindéthié

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