Les 12 travaux de la CPI

Alapini Gansou

Le Statut de Rome, texte fondateur de la Cour pénale internationale (CPI), a vingt ans cette année. La Cour a depuis ouvert des enquêtes dans onze situations et pourrait s’investir dans une douzième très bientôt. Seconde partie de notre tour d’horizon.

Par Maxence Peniguet Dalloz-actualite.fr

Dans la première partie de cet article, nous avions conclu avec l’échec kényan de la Cour pénale internationale, en mentionnant une enquête de Mediapart selon qui l’ancien procureur de la Cour, Luis Moreno Ocampo, alors qu’il ne travaillait plus à la CPI, aurait œuvré en coulisses pour offrir au président kényan une « une sortie honorable » (V. Dalloz actualité, 29 mars 2018, art. M. Peniguet ). La situation suivante, en Libye, ne laisse pas non plus indemne Luis Moreno Ocampo. Toujours selon Mediapart, il y aurait travaillé à la protection de potentiels suspects de crimes internationaux.

En février 2011, le Conseil de sécurité de l’ONU défère la situation à la juridiction, « condamnant la violence et l’usage de la force contre des civils, [r]egrettant vivement les violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme, notamment la répression exercée contre des manifestants pacifiques, exprimant la profonde préoccupation que lui inspire la mort de civils et dénonçant sans équivoque l’incitation à l’hostilité et à la violence émanant du plus haut niveau du Gouvernement libyen et dirigée contre la population civile ».

La CPI ouvre une enquête le mois suivant. Des mandats d’arrêt pour crimes contre l’humanité sont rapidement délivrés concernant Mouammar Kadhafi, son fils Saïf Al-Islam ainsi qu’Abdullah Al-Senussi, directeur des renseignements militaires. Ayant été jugé en Libye dans le respect du principe de complémentarité du Statut de Rome, ce dernier n’est plus recherché par la CPI. Kadhafi père décédé, reste dans cette affaire Saïf Al-Islam, en fuite.

Deux autres dossiers ont été ouverts par la suite : contre l’ancien chef de la sécurité libyenne, Al-Tuhamy Mohamed Khaled, et contre Mahmoud Mustafa Busayf Al-Werfalli, de l’Armée nationale libyenne. Ce dernier est suspecté d’être responsable de crimes qui auraient été commis plus récemment, en 2016 et 2017.

Sept ans de privation de liberté pour Gbagbo, toujours pas jugé

Retour en Afrique subsaharienne, en Côte d’Ivoire cette fois. En 2010-2011, plus de 3 000 personnes perdent la vie dans une sanglante crise postélectorale. L’issue du conflit et les procédures qui suivront font encore aujourd’hui l’objet de nombreuses remises en question concernant l’impartialité de la France, de l’ONU et de la Cour pénale internationale.

L’ancien président ivoirien, Laurent Gbagbo, est arrêté le 11 avril 2011 à Abidjan, la capitale économique du pays. Son transfert à La Haye a lieu en novembre de la même année. Depuis, il attend l’issue de son procès pour crimes contre l’humanité, qui a débuté en affaire conjointe avec son ancien ministre Charles Blé Goudé, le 28 janvier 2016. Quant à Simone Gbagbo, première et encore unique femme à être accusée par la CPI, elle est détenue en Côte d’Ivoire après deux procès différents que la juridiction internationale ne considère pas comme l’équivalent des charges qu’elle reproche à l’ancienne première dame du pays. La CPI demande donc son transfèrement, ce que le Gouvernement ivoirien refuse.

Face à de nombreuses accusations de partialité, la procureure de la Cour, Fatou Bensouda, promet depuis longtemps que justice sera rendue pour tout le monde. Mais si les enquêtes se poursuivent en Côte d’Ivoire, le camp du président Alassane Ouattara, soutenu lors de la crise par la rébellion et la communauté internationale, n’est pour le moment toujours pas inquiété.

Les excuses du condamné malien

En juillet 2012, alors que le Mali est depuis six mois aux prises avec plusieurs groupes rebelles, il demande l’intervention de la Cour pénale internationale. Une enquête s’ouvre en janvier 2013 concernant des crimes de guerre.

Dans une procédure ultra rapide pour l’institution, Ahmad Al Faqi Al Mahdi, ancien membre d’Ansar Dine, est condamné à neuf ans de prison pour des attaques contre des bâtiments à caractères religieux et historiques à Tombouctou, le 27 septembre 2016. Son mandat d’arrêt n’avait été émis qu’un an auparavant, dans la foulée duquel il fut transféré de Niamey à La Haye. Une procédure rapide qui s’explique par l’aveu de culpabilité de l’islamiste repenti. “Dites la vérité, fût-ce contre vous-même”, avait déclaré Al Mahdi après la lecture des charges qui pesaient contre lui. “Les accusations portées contre moi (…) sont véridiques. (…) Je voudrais exprimer mon profond regret et ma profonde tristesse, en particulier, aux descendants des saints dont j’ai détruit les mausolées”, avait-il confié devant les juges.

Cette affaire close, la CPI n’en a pas moins terminé avec les responsables de crimes au Mali. En effet, Al-Hassan Ag Abdoul Aziz Ag Mohamed Ag Mahmoud, suspecté d’avoir été le chef de la police islamique de Tombouctou, a été transféré à La Haye le 31 mars dernier.

Et enfin, la Cour s’essaye à d’autres horizons

Longtemps accusée de ne viser que l’Afrique (alors que c’est l’Afrique qui lui a surtout demandé d’intervenir) la Cour rompt avec ses habitudes le 27 janvier 2016. Les juges autorisent alors le bureau de la procureure à ouvrir une enquête en Géorgie, dans le Caucase.

Les investigations se portent sur des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre qui auraient été commis entre juillet et octobre 2008 dans le cadre du conflit international à trois parties : la Géorgie contre sa province séparatiste, l’Ossétie du Sud, et la Russie appuyant cette dernière.

Aucun mandat d’arrêt n’a pour l’instant été rendu public dans un contexte qui s’avère compliqué. Car si la Géorgie semble clairement coopérer avec la CPI, les intentions ne sont pas les mêmes en Ossétie du Sud et en Russie.

Le Burundi quitte le navire (trop tard)

Retour en Afrique, du côté des Grands Lacs, au Burundi. En avril 2015, des manifestations ont lieu pour protester contre la volonté du président Pierre Nkurunziza de se présenter pour un troisième mandat – ce que la Constitution n’autorise normalement pas. C’est le début de la crise qui dure encore et qui a coûté la vie à des centaines de personnes, selon les estimations les plus optimistes.

Devant la possibilité grandissante de voir s’ouvrir une enquête de la CPI à son encontre, le pouvoir burundais notifie le retrait de son adhésion au Statut de Rome le 26 octobre 2016. Un retrait qui prend effet, conformément au règlement, un an plus tard. Mais le 10 novembre 2017, alors que le Burundi n’est plus partie au statut, la situation rebondit avec l’annonce de l’ouverture d’une enquête. Elle vise les responsables de crimes contre l’humanité qui auraient été commis entre le 26 avril 2015 et jusqu’au 26 octobre 2017 « par des agents de l’État et d’autres groupes mettant en œuvre les politiques de l’État ».

Les enquêteurs, sans surprise, se heurtent alors à la non-coopération du Gouvernement burundais. « Pour le Burundi, cette décision est sans effet. Le pays a dénoncé par le passé – et le fera encore avec véhémence – la manipulation de la justice internationale par les forces néo-colonialistes pour tenter de porter atteinte à la souveraineté du Burundi et à opérer un changement de régime. Cette décision est le résultat de l’utilisation coordonnée par l’Union européenne et son réseau composé des militants de l’opposition radicale, les putschistes, certaines organisations non gouvernementales et des nations qui sont hostiles au Burundi », déclarait à cette époque la ministre de la Justice Aimée Laurentine Kanyana.

La CIA devant les juges ?

Les situations précédentes font ou ont toutes fait l’objet d’enquêtes de la part de la CPI. Pas celle que l’on aborde maintenant, et qui sera la dernière. Fatou Bensouda, la procureure de la Cour, s’y attelle cependant : elle a en effet demandé aux juges l’autorisation d’ouvrir une enquête en Afghanistan le 20 novembre 2017. À l’heure où ces lignes sont publiées, la décision reste à rendre.

En Afghanistan, la Cour pourrait diriger ses investigations sur des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre qui auraient été commis depuis le 1er mai 2003. Elle pourrait faire de même sur « d’autres crimes allégués se rapportant au conflit armé en Afghanistan et suffisamment liés à la situation en cause, qui ont été commis sur le territoire d’autres États parties depuis le 1er juillet 2002 », notait le bureau de la procureure dans un rapport publié en décembre dernier. Il s’agirait alors des activités des prisons secrètes de la Central Intelligence Agency (CIA) en Pologne, en Roumanie, et en Lituanie.

En plus de pouvoir poursuivre des membres de la CIA, Fatou Bensouda pourrait accuser du personnel de l’armée américaine, des talibans et des éléments des autorités afghanes.

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