Le parti unifié menace la démocratie en Côte-d’Ivoire (Libre Afrique)

Daniel Kablan Duncan, Vice président de la République PDCI favorable au parti unifié photo Jose Cendon/Bloomberg

Safiatou Ouattara

Le Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP), coalition politique au pouvoir, a été créé, le 18 mai 2005, par Alassane Ouattara, président du Rassemblement des Républicains (RDR) et Henri Konan Bédié, président du Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI). Le but de cette union était de gagner la présidentielle face au président Laurent Gbagbo, ce qui a permis à Ouattara de remporter le deuxième tour de la présidentielle de 2010 et de gouverner avec le PDCI. Depuis un certain temps, les deux leaders du RHDP voudraient en faire un parti politique unifié malgré des oppositions en interne, ce qui constitue une menace pour la démocratie.

Non, le parti unifié n’est pas synonyme de paix !

Les promoteurs de la fusion du RDR et du PDCI fondent leur argumentaire sur la consolidation de la paix, la constitution de la majorité nécessaire pour gouverner, et la préservation des acquis de Ouattara et de l’Houphouëtisme. En effet, la consolidation de la paix n’est nullement assujettie au succès de l’initiative du parti unifié. La Côte d’Ivoire étant une démocratie selon le préambule de la constitution du 08 novembre 2016, la consolidation de la paix repose sur le respect des institutions et de la normalité républicaine, qui ne menace ni la paix ni les acquis de la gouvernance Ouattara.

Par ailleurs, le parti unifié n’est pas une expérience nouvelle parce que le RDR est l’œuvre de frondeurs du PDCI en 1994. Avant la fondation du RDR, le parti unifié existait sous le PDCI dirigé par le président Henri Konan Bédié. La bataille de ce dernier contre Alassane Ouattara pour étouffer ses rêves d’être président a engendré de profonds désaccords ayant fait le lit des crises successives depuis le coup d’Etat du Général Robert Guéi, fils du PDCI, qui a renversé le président Bédié, le 24 décembre 1999. Le projet du parti unifié pose déjà problème avec le débat de l’alternance en 2020 (le PDCI réclame du RDR la présidence de la république) et les chantages de certains de ses promoteurs font peser des menaces sur la paix et la cohésion sociale. C’est bien les partisans du RHDP qui ont canonisé feu le président Félix Houphouët Boingy (FHB) et le vénèrent comme un apôtre de la paix. Cependant, pour nombre d’Ivoiriens, il demeure un dictateur impitoyable qui a écrasé toute opposition à son régime en assassinant ses opposants. La mémoire collective reste marquée par l’assassinat de Kragbe Gnabe qui avait fondé le Parti National Africain en 1970. Le régime de FHB a massacré plus de 4000 de ses partisans, le 26 octobre 1970, à Gagnoa. L’effritement de la paix aux lendemains de sa mort, en 1993, montre bien que la paix qu’il a bâtie ne reposait pas sur des fondations solides.

Les conséquences de la fusion du RDR et du PDCI

L’échiquier politique est dominé par le RDR, le PDCI et le Front Populaire Ivoirien qui pèsent près de 95% de l’électorat. Aucune de ces trois grandes formations politiques ne peut toute seule remporter une présidentielle. Une fusion de deux d’entre elles permettrait d’avoir près de 2/3 de l’électorat. Cela assurerait vraisemblablement au parti unifié les victoires électorales. Cependant, la compétition politique en serait affectée puisque la diversité de l’offre politique serait compromise, ce qui appauvrirait le débat et affaiblirait l’incitation des politiques à proposer des idées et à répondre aux attentes des électeurs. D’évidence en écrasant la concurrence politique le parti unifié se sentirait moins obligé de servir l’intérêt général. Ainsi, le RHDP avait imposé le référendum constitutionnel, du 30 octobre 2016, dans son seul intérêt. Comme des militants se plaignaient régulièrement de ne pas avoir leur part du gâteau, Bédié et Ouattara leur ont trouvé des postes à travers la création de nouvelles institutions comme le Sénat qui n’a aucun impact positif sur la démocratie.

Si l’on se projette dans l’hypothèse de l’unification du RDR et du PDCI, avec la majorité potentielle que le RDHP (parti unifié) obtiendrait, cela lui conférerait une longévité au pouvoir à l’instar du PDCI en son temps (40 ans consécutifs au pouvoir). D’où le problème de l’alternance et le retour au parti-Etat. L’ancien ministre des sports, Alain Lobognon, député issu du RDR, a qualifié récemment cette future formation politique de “parti Etat’’ qui va “tuer la démocratie en Côte d’Ivoire’’, dans une interview à ALERTE INFO. Le parti unifié entrainerait aussi l’exclusion politique des voix qui oseraient s’opposer à lui. Il est aussi à craindre que les régions rejetant le parti-Etat ne bénéficient pas des investissements publics et que leur développement soit mis en veille. L’absence de démocratie et de liberté de pensée au sein du PDCI et du RDR contribueraient à faire du parti unifié une machine qui écrase tout. La Cour des comptes, l’Assemblée nationale, le Sénat et les autres institutions chargées de contrôler l’action gouvernementale, sous l’emprise du RHDP, ne pourraient pas jouer leurs rôles de contre-pouvoirs, menaçant ainsi la séparation des pouvoirs. Un contexte où l’exécutif contrôle les institutions et autorités administratives chargées d’auditer les comptes de l’Etat et de veiller à la transparence de la gestion publique serait totalement contraire à l’exercice de la démocratie. En étant le joueur et l’arbitre en même temps, le RHDP n’aurait aucune incitation à gérer de manière rigoureuse les finances publiques. La haute autorité à la bonne gouvernance et l’autorité nationale de régulation des marchés publics tronqueraient leur vocation de lutte contre la corruption en services publics destinés à caser des militants du RHDP. Cela écraserait toute capacité de reddition des comptes. On peut aussi prévoir que les ONG et les médias rencontreraient des obstacles dans les dénonciations de malversations du régime et des agents de l’administration. Puisque le pouvoir absolu corrompt absolument, la mauvaise gestion pourrait tranquillement devenir la norme dans la gouvernance publique.

Au regard de tout ce qui précède, le parti unifié n’est pas une panacée pour la Côte d’Ivoire comme le prétendent ses promoteurs. Son avènement serait une véritable catastrophe pour la consolidation de l’adolescente démocratie du pays.

Safiatou Ouattara, chercheure ivoirienne.

Article publié en collaboration avec Libre Afrique

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3 réflexions au sujet de “Le parti unifié menace la démocratie en Côte-d’Ivoire (Libre Afrique)”

  1. @Safiatou Ouattara, chercheure ivoirienne.A l’analyse de votre texte on ne voit pas en quoi la fusion RDR-PDCI si il y’a fusion empêcherait la démocratie de fonctionner et de bien fonctionner? comme vous l’avez mentionné le PDCI d’Houphouët a été mise a rude épreuve avec son lot de morts .soit mais la destruction du mur de Berlin qui a permis la floraison de plusieurs partis politique poussant le pays à la démocratie comme voulue par les tenants de cette doctrine n’a pas empêché les morts , les repressions sanglantes et autres meme les coups d’états on étés perpétrés dans certains pays. cela dit que le PDCI et le RDR et d’autres partis politiques se mettent ensemble ne doit pas tuer la démocratie mais au contraire elle doit pouvoir créer de vrais débats démocratiques . que peut on obtenir avec 100 partis politiques qui ont n’ont pas de programme ou qui n’ont meme pas de militants en dehors du fondateur et de sa famille? a quoi sert d’avoir une floraison de parti pour le meme objectif? sinon à quoi sert de faire des coalitions qui se défont au lendemain d’une défaite ou d’une victoire? les bonnes démocraties tournent autour de deux grandes tendances : la gauche et la droite , au lieu de combattre ce genre de fusion il faut encourager ceux qui sont da la gauche à fusionner pour créer une entité durable .ne sommes nous pas fier quand on parle de DEMOCRATE ET DE REPUBLICAIN aux USA?
    ne sommes pas fiers lorsque l’on parle de SOCIALISTE ET de REPUBLICAIN EN France?
    en definitive c’est quoi la démocratie? nous devrons être content que le PDCI et le RDR et les autres partis qui se reconnaissent en HOUPOUET se rejoigne et ceux qui ne se sentent pas dans cette fusion n’ont qu’à rejoindre l’opposition. ça aussi c’est la démocratie.
    nous serons heureux de voir ceux qui ont quitter le FPI y retournent.
    Qui se souvient encore du parti de Mr Bai Tagro ou de Gueu Droh ou meme de Mr BAMBA Moriferé.

  2. Si la démocratie ivoirienne veut dire que le FPI doit aussi gouverner, alors le parti unifié parti unifié menace sérieusement la démocratie en Côte-d’Ivoire 🙂

  3. Il faut savoir revenir aux fondamentaux.

    La démocratie se repose avant tout sur la liberté d’opinion que chaque ivoirien a le droit de manifester, mais aussi et surtout sur le fait que celui, ou ceux qui sont légitimés à diriger un pays, soient issus de la majorité des votes exprimés.

    Et puisque l’on parle de vote, on se doit tout autant de parler du cadre dans lequel ce vote s’effectue, car pour pouvoir voter, il faut instaurer des lois qui définissent comment il se passe et qui les supervise. C’est justement ici que cela coince dans ce pays, car manifestement, le parti ou pouvoir s’est donné le droit de formater ce cadre de vote pour en tirer des avantages.

    La base est donc fausse.

    Si la base est fausse, c’est évident que le résultat l’est tout autant.

    Sinon, fondamentalement, si l’on considère que le cadre des élections est transparent et libre, le plus important est bien que les élections se passent en conformité avec nos lois et principes.

    Dans ce cadre, que le RDR et le PDCI se mettent ensemble ou pas, qu’il y ait parti unifié ou pas, cela ne joue aucune espèce d’importance, car seule la vérité des urnes est ici le principal.

    Nous retombons dans ces calculs d’officines qui donnaient par exemple le RHPD de OUATTARA et BEDIE vainqueurs au second tour à priori, avant tout scrutin, sans toutefois tenir compte des abstentions et votes blancs, des ralliements vers LMP de divers militants et sympathisants PDCI, de la fraude manifeste et exprimée.

    Il ressort de ceci qu’un parti unifié RDR PDCI n’est nullement gage de victoire à une élection présidentielle et que ce qui devrait nous importer, c’est le fait que ces élections soient libres, transparentes et crédibles. Ce qui devrait nous importer est ce que les urnes livreront et non le jeu de sorciers dans un parti politique donné.

    Et si le RDR ne réussit pas à former cette coalition, on comprend pourquoi OUATTARA parle de menace sur la paix, car il sera bien obligé de faire usage d’autres moyens pour se maintenir au pouvoir, moyens que l’opposition, sinon tout ivoirien, seront en droit de rejeter.

    Alors oui, la paix est en danger si le RHDP échoue !

    Et vu que toute tension politique et toujours liée dans notre pays à des tensions économiques, il y aura forcément des conséquences sur le train de vie des ivoiriens, sur la croissance et le reste.

    Le chantage de OUATTARA est donc clair : former le parti unifié ou alors menacer la paix et la prospérité économique de notre pays.

    Un chantage sans nom qui dans le fond ne tient pas la route, car rien ne dit que le RHDP, parti unifié, pourrait gagner ces élections si les conditions en étaient transparentes et libres.

    L’enjeu politique de ce pays réside donc sur comment les élections sont organisées et non sur quelle coalition doit être au pouvoir ou sur comment l’opposition doit s’organiser, dans le boycott ou l’accompagnement d’une forfaiture annoncée !!

    A ce rythme, on ne pourra pas se priver d’une révolution, surtout si le rapport de force démocratique donne le RDR minoritaire !!

    Dabakala !!

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