« L’Afrique ne représente que 1,2 % de la valeur ajoutée manufacturière mondiale », selon Roland Portella

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Roland Portella, Président du club économique la CADE, spécialiste en développement d’entreprises

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Figure de la diaspora africaine à Paris, Roland Portella est le président de la « la 4e génération » de la CADE (Coordination de l’Afrique de demain), « do tank » actif depuis plus de vingt ans dans les questions de développement et, plus précisément, du rôle de la diaspora dans le renouveau économique du continent. Entretien.

“LES SIMPLES PRODUCTIONS ET COMMERCIALISATIONS DE MATIÈRES PREMIÈRES ATTEIGNENT LEURS LIMITES EN TERMES DE PRODUCTIVITÉ ENDOGÈNE ET D’EXTERNALITÉS POSITIVE”

Quels sont d’après vous les fondements des politiques industrielles à mener en Afrique?

La consolidation de la croissance économique en Afrique doit se réaliser en investissant dans les secteurs industriels, gages de créations de richesses et de gisements importants d’emplois. En effet, les simples productions et commercialisations de matières premières atteignent leurs limites en termes de productivité endogène et d’externalités positives. Les secteurs des services ne pourront générer que très peu d’emplois au regard de la poussée démographique, de l’urbanisation accélérée et de l’arrivée massive des jeunes sur le marché du travail. Les besoins en consommation et en équipement vont s’accélérer dans les 15 années à venir. L’Afrique ne représente que 1,2 % de la valeur ajoutée manufacturière mondiale, ce qui est très faible au regard des défis de son développement structurel et inclusif. Pire, 50% des importations africaines représentent des produits manufacturés. D’où l’exigence d’orienter les économies africaines vers les besoins intérieurs susceptibles de porter le développement des appareils productifs. L’impératif crucial des Etats africains dans l’ensemble est de structurer des politiques industrielles efficientes et de mobiliser des capitaux pour bâtir des industries et filières compétitives.

Comment rendre les gouvernances et les leaderships industriels plus efficaces ?

La véritable industrialisation sur le moyen et long terme nécessite de faire émerger des activités à fort gisement d’emplois et des écosystèmes de production, des savoir-faire techniques et technologiques, des process d’ingénierie de production. Il ne s’agit pas uniquement de satisfaire la demande de consommateurs et des entreprises en produits de qualité, mais de construire ou reconstruire (pour les pays qui ont subis ces dernière décennies une baisse des activités industrielles comme le Sénégal dans le domaine du textile) des tissus industriels modernes.

Les entrepreneurs de terrain en Afrique sont en demande de la part des institutionnels nationaux et internationaux d’analyses plus pertinentes et surtout de prospectives pouvant leur permettre de mieux cibler à l’avance les marchés en croissance. Ce qui leur permettrait de réaliser des investissements industriels d’avenir. D’où l’impérative nécessité d’avoir dans chaque Etat de véritables leaderships institutionnels qui savent définir des orientations stratégiques avec production de statistiques et de tendances économiques qu’ils devront maîtriser. Le leadership entrepreneurial doit s’imposer afin de réaliser des actions de lobbying constructif et être force de propositions envers les gouvernants. Ce qui lui permet d’être acteur dès l’amont de la définition des stratégies, politiques, et des mesures nationales et régionales d’incitation favorisant le développement industriel, telles que : la fiscalité attractive, les échanges commerciaux de produits et services, le transport-mobilités, l’éducation et formation professionnelle, les baisses de barrières douanières ou le « protectionnisme intelligent »….etc. Les regroupements en réseaux des chefs d’entreprises en Afrique sont à encourager, notamment ceux qui œuvrent dans les secteurs industriels.

La ZLEC, la Zone de libre échange continentale, va-t-elle réellement favoriser l’industrialisation de l’Afrique ?

Oui, sur le principe je pense que cela est une nécessité d’acter et de créer une zone de libre échange intra continentale afin de faire croître les échanges commerciaux intra africains, et nous espérons aussi un développement plus rapide d’industrialisation. Mais les effets ne seront pas du tout mécaniques, il faut donc que chaque Etat signataire ou par zones sous régionales s’engagent à financer des mesures d’accompagnement (qui se chiffrent à des dizaines de milliards de dollars) pour leurs entreprises et filières qui devront se mettre à niveau pour rester compétitifs par rapport à leurs concurrents importateurs. La problématique se pose déjà avec les accords de libre-échanges ou de partenariats avec l’Europe ou avec les USA, l’Asie, etc. On assiste à des destructurations de filières locales, par exemple dans les produits agricoles tels que la volaille, le lait et les huiles, ou dans les produits de textile. La question est de savoir si les règles de la ZLEC pourront permettre à certains Etats de négocier des clauses de sauvegarde comme dans les règles de l’OMC et des systèmes de vigilance accrue sur les règles d’origine des produits. Le « protectionnisme intelligent » » et le « patriotisme économique » de chaque Etat n’est pas en totale contradiction avec la libéralisation des échanges. D’ailleurs c’est l’une des raisons pour lesquelles le Nigéria refuse pour l’instant d’apporter sa signature à la ZLEC.

Quels sont les types et activités industriels dont l’Afrique a besoin?

Tout dépend du contexte de chaque pays, de son niveau de développement et de capital humain, de son patrimoine et de son savoir-faire technologique, de ses avantages comparatifs.

De manière globale, selon nos analyses, les priorités par ordre d’importances sont les produits manufacturés qui visent la consommation intérieure : industries agro-alimentaires afin de réduire les importations de produits alimentaires qui se chiffrent à plus de 60 milliards de dollars par an ; fabrication de produits de santé et d’hygiène ; produits d’équipement ménagers ; matériaux de construction d’infrastructures et d’habitats ; puis les nouvelles industries liées à la transition écologique et environnementales (énergies renouvelables, traitement et valorisation des déchets, dépollution ).

De manière spécifique, il existe des industries de pointe insérées dans les chaînes de valeur mondiale : usine de moteurs d’avions de Ben Guérir au Maroc, fabrication en flux tendu de cockpits pour Airbus et usines électroniques en Tunisie, avec des niveaux de production aux standards mondiaux et des niveaux de productivités très appréciables, à Tanger Med une chaîne de montage de voitures pour Renault, etc Mais l’enjeu aujourd’hui est que ce type d’industries modernes du Maroc, de Tunisie, d’Afrique du Sud, du Nigéria ou de l’ile Maurice, puisse servir de laboratoire industriel et de transfert de savoir dans leurs propres pays sur d’autres segments d’activités industrielles plus basiques ou dans les autres pays d’Afrique qui accusent un retard de production et d’organisation industrielle.

Mais il faut savoir que ce qui conforte un secteur industriel et le modernise ce sont les services connexes ou sous-jacents qui contribuent à la croissance industrielle, telle que les services de logistiques et de transformation digitales (dans les pays développés on parle d’industrie 4.0), d’efficacité énergétique, etc. C’est la raison pour laquelle ont dit que les secteurs industriels sont structurants car ils produisent le plus d’effets induits et sont multiplicateurs d’externalités positives. Mais ils peuvent aussi produire des externalités négatives, notamment écologiques.

Justement, comment combiner forte industrialisation et préservation de l’environnement ?

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