Côte-d’Ivoire: Si le général Kassaraté m’était conté

Avant le 29 septembre, date de son inhumation à Williamsville, retour sur le parcours d’un chef qui aura réussi à transformer son nom en une entité avant son décès le 13 juillet dernier.

Vendredi 13 juillet 2018. Le général occupe sa matinée à être présent aux obsèques d’un proche qu’il a perdu. C’est un devoir. Puis il retourne chez lui au quartier Faya, prend le déjeuner en famille et fait une sieste. Il a un rendez-vous à 18h. Se lève quelques minutes avant et se rend à la station Petroci d’Aguien les perles rencontrer son contact.

Ce dernier lui a fait remettre un colis que le Général récupère sans descendre de la voiture à l’arrière de laquelle il se trouve assis. Puis la voiture quitte la station. Une poignée de minutes plus tard, l’homme ressent un malaise et le fait savoir aux autres passagers du véhicule, son homme de main et son neveu. Il se plaint. Il boit une gorgée d’eau.

Les plaintes se réitèrent à mesure que le malaise s’accroît et que la voiture prend la direction d’une clinique. Mais au crépuscule Abidjan sait être bouchonné de partout. La voiture dont le chauffeur multiplie les astuces pour avaler du goudron et prendre des raccourcis arrive dans une première clinique. Elle ne peut résoudre le problème.

Vite, une autre clinique pour résoudre le mal qui doit être d’autant plus sérieux que le 16 mai 2018, soit deux mois plus tôt, le général avait été admis aux urgences pour un malaise cardiaque et était astreint à un régime alimentaire et comportemental spécial.

Contre vents et marées, l’on arrive à la clinique de Danga Cocody. Les médecins sont alertés. Ils ne réagissent pas promptement au gout des proches du malade. Ce dernier rend l’âme. Rien qu’un quart d’heure plus tard, la toile s’agite : « le général Kassaraté est décédé ».

C’est par ce canal internet que sa fille aînée vivant en France apprend la nouvelle. Puis le tout Abidjan se lance dans des commentaires comme il sait si bien le faire. Toutes les (hypo) thèses sont avancées. C’est que le général n’était pas homme à laisser indifférent.

D’où vient Kassaraté ?

Originaire de Tabou, il vient de Karié, son village et appartient à la tribu Glaro et au clan Bayoudé qui est celui de la chefferie. Le peuple Kroumen duquel il est issu est installé sur de vastes étendus, mais n’est pas riche en population, les hommes étant des navigateurs dont certains sont restés dans des contrées éloignées. On trouve ainsi des Kroumen à Port gentil par exemple. D’autres ayant étant emportés par des affections au contact d’autres populations lors des voyages maritimes.

C’est dans cette région que Kasssaraté voit le jour en 1950. Son père biologique Kassaraté Boua Benoit est homme d’équipage et sa mère Zio Taoulé Marie, femme au foyer qu’elle agrandit avec 4 enfants. Sa coépouse Jeannette Gnepa Djéré donnera 3 enfants portant la fratrie à 7. De cette fratrie il tient la tête de peloton et on lui donne le nom de Kassaraté Tiapé Edouard. Le petit Edouard est éduqué par un capitaine en second, Victor, le frère de Benoit qu’il voit agir au quotidien. Ce qui contribue à très vite le responsabiliser et lui donner certainement cette conscience des troupes, de la discipline, la rigueur de l’armée. Il obtient son Cepe à l’école Epp de Tabou. Edouard a 10 ans quand il comprend qu’il sera homme d’armée. Une évidence. Un combat. Ça tombe bien. Au lendemain des indépendances, le président Houphouët-Boigny envoie les meilleurs élèves du primaire à l’Empt de Bingerville pour garnir son armée.

Dans un élan de coopération sud-sud, certains sont envoyés par paire au Sénégal. En 1963, l’Ecole militaire Saint-Louis du Sénégal l’équivalent de l’Empt accueille deux Ivoiriens, les binômes Kassaraté et Monnet. Le colonel Monnet finira lui, pilote. Les 7 années d’études secondaires s’effectueront sans heurt.

Bien au contraire, le jeune Edouard Tiapé est brillant et pendant les vacances il retourne au village et tout Tabou parle de lui, de sa tenue d’élèves militaires qui exhale l’autorité, impose le respect et fait valser des cœurs. Un en particulier. Celui d’Yvonne Bahoué Pohoun de 5 ans sa cadette qui cède à cet homme dont les avances ne manquent pas de la convaincre et surtout la rassurer tant le jeune homme est singulier et chargé de promesses.

Solide formation

Il obtient son bac littéraire en 1970 et part pour Toulon. Il y approfondit son amour pour les langues. Il en lit et comprend une : le latin ; en parle 6 autres couramment au total dont le kroumen avec ses us et coutumes (c’est un chef), l’allemand, l’italien, l’anglais…

Après Toulon, c’est la prestigieuse St Cyr qui l’accueille. Il y noue des relations d’importance qu’il a su toujours entretenir, élargissant son carnet d’adresses et faisant de lui, un incontournable homme de réseau au sens positif du terme. De 1975 à 1976 il se forme à la cavalerie et au blindé à Saumur (France). De 1976 à 1977, il s’instruit de cours de gendarmerie à Melun (France) et prépare concomitamment à la faculté de droit de Paris, le certificat de science criminelle qu’il obtient à la fin de l’année 77.

Commence pour lui l’ascension à la gendarmerie : de 1977 à 1978 il est commandant du peloton de Dimbokro. De 1978 à 1993, il est commandant de l’escadron blindé de gendarmerie et a eu le temps de repartir suivre des stages de capitaine de cavalerie de 1983 à 1984 à Saumur, de nouveau, et d’Etat-major de 1986 à 1987 en Allemagne. Il est en poste et commande la légion de Séguéla de 1990 à 1993.

Il est ensuite muté à Korhogo en qualité de commandant adjoint de 1993 à 1994. Il repart un an durant suivre un stage d’Etat-major à l’école militaire de Paris de 1994 à 1995 et se forme à la guerre, à l’école supérieure de guerre de Paris de 1995 à 1996. Et au Fbi à Washington toute l’année 1997. Il effectue pendant cette période, des missions à l’ex-Anad, à la Cedeao, à l’ex-Oua, à la Banque mondiale.

De 1999 à 2000 il est commandant de la 3e légion de gendarmerie de Bouaké et de 2000 à 2011 il est commandant militaire du Palais présidentiel de la République, en ayant remplacé entre temps le général Touvoly à la tête de la gendarmerie nationale en 2005. En 2011 il est fait ambassadeur au Sénégal par le président Ouattara qui met fin à ses fonctions en 2017.

Quelques mois plus tôt il comparait à la Cpi et devient un témoin ni à charge ni à décharge au procès de la Haye. En début d’année 2018, le président Henri Konan Bédié le promeut vice-président du Pdci-Rda en même temps que Abinan Kouakou Pascal, Jean-Claude Kouassi et Moise Koumoin Koffi.

‘‘Inétiquetable’’ et diplomate dans l’âme

On le comprend, Kassaraté meneur d’hommes, dispositif important dans le bastion de l’ouest frontalier du Liberia, région sensible représente une force. Et une force, mieux vaut l’avoir avec soi et devenir soi-même plus fort. Le personnel politique le sait, accoutumé qu’il est des voltefaces, des solitudes du pouvoir, des trahisons, du cynisme, de l’infidélité en amitié… Chaque chapelle politique a voulu avoir le général avec elle.

Mais Kassaraté est bien plus que Général. Généreux en amitié, il sait entretenir les relations au point où chacun lui a dû, lui doit et lui devra quelque chose : une protection un jour, un service gratuit. Mais on le sait désormais, de toute, la gratuité est la dette contractée la plus malaisée à rembourser. Ce qui fait de lui un homme de tous les camps, sur lequel à tort, des suspicions de tous les bords sont jetées. Preuve de la neutralité de l’homme. Peut-être. Ou encore de son sens aiguisé de la République et de la citoyenneté.

La volonté de fixer le général dans une case est ratée. Et elle est révélatrice d’un peuple mal à l’aise avec lui-même. On veut encaserner (Ndlr : mettre en case ou en caserne) tout le monde et à tout le monde on veut coller une étiquette. Un Pdci c’est un mécontent qui n’arrive pas à revenir au pouvoir. Facilement. Un Rdr l’est aussi parce que ceux qui ont déjà gouverné ne lui laisse pas le temps de mieux faire, en poursuivant et parachevant les chantiers de valorisation de la Côte d’Ivoire. Un Fpi est un frustré, un ostracisé tenu loin des cercles de décisions. Un apolitique est en attente du bonheur qui est à portée de tous sur ce sol riche et béni. Tous sont tentés de classer Kassaraté, mais ils n’y arrivent pas. Même quand ils réussissent à le faire, leurs certitudes se révèlent être de grosses illusions et erreurs. Kassaraté est celui que tous voudraient être : inclassable, insaisissable, multiple, libre, à l’abri du besoin, non tenue à la laisse financière.

Un père poule

«Il est très gentil. C’’est un homme bien, un homme de parole » aimait à me dire Landry Kohon mon confrère de Fraternité matin décédé lui aussi le mardi 31 mai 2016 et qui entretenait avec le général, des liens très forts. « Il ne mange jamais seul ». Propos valable au propre comme au figuré. Partout où Kassaraté vit, il y a de la chaleur, du monde, du rire, du partage alimentaire, pécuniaire.

De la famille aussi au sens large du terme faite de parents biologiques mais aussi d’amis de très longue date, de collaborateurs subalternes mus en petits frères, d’enfant adoptifs et adoptés sans être passés par la case administrative, mais plutôt par l’impulsion du cœur, le siège des sentiments. A tous, il a donné un coup de pouce.

Aux sportifs, aux artistes, à des inconnus qui témoignent tous de ses largesses dont il est difficile de douter quand son départ provoque même en public, des pleurs bruyants dans le rang des gradés des forces de l’ordre. Il aura veillé sur sa famille, son épouse Yvonne qui dès les années 1972 jusqu’en 1993 lui aura donné des enfants aujourd’hui tous des cadres. Il aura veillé sur ses 8 enfants biologiques et ses autres enfants de cœur ou d’arme, avec amour. Aura su alterner douceur et fermeté dans l’éducation.

L’aîné de ses fils Gilles, titulaire d’une licence aura échoué au concours d’entrée à la Gendarmerie avant de partir de la base en démarrant sous-officier pour gravir lentement les échelons. Ses filles auront chacune fait l’apprentissage de l’épreuve, de l’échec à l’Ena, au concours de magistrature ou ailleurs avant d’obtenir le moindre succès. Par elles-mêmes.

Preuve que le népotisme et lui ne font pas bon ménage. Il aura été pour beaucoup dans la pacification du peuple Kroumen, de la zone de Tabou et la frontière libérienne. La région de Tabou, la gendarmerie, le Pdci, le Rdr, le Fpi et la Côte d’Ivoire perdent un homme important.

ALEX KIPRE

Commentaires Facebook