De la division des partis politiques à l’exigence d’une démocratie fonctionnelle en Côte-d’Ivoire (2e partie)

a) – De la confiscation clanique du pouvoir et des dysfonctionnements de la justice (suite).

L’examen de l’imputabilité des déficiences reprochées à la justice au pouvoir central, à partir de dossiers sensibles et symboliques, nous oblige à rechercher la confirmation ou l’infirmation de cette assertion ou présomption dans l’administration de la justice ordinaire. Or, il apparaît à ce niveau trois éléments manifestes à l’observation : la lenteur de l’appareil judiciaire, l’insuffisance de ses moyens et la corruption de son système notamment de ses fonctionnaires. La justice ordinaire constitue un domaine où le pouvoir central n’a aucun intérêt ou motif d’intervenir. Ce constat infirme la thèse de l’immixtion, à tout le moins, comme cause unique de cette situation. Dès lors, il nous faut admettre que les faiblesses reprochées à la justice relèvent aussi d’autres causes : insuffisance de moyens, corruption, absence de contrôle et de sanction, carriérisme, zèle partisan ou crainte. Il sera observé que cette défectuosité est antérieure à la gouvernance « Alassaniste », à qui il revient, l’obligation de corriger énergiquement ces dysfonctionnements majeurs. Il s’agit de la qualité et des performances d’un service public de la plus haute importance pour le bon équilibre d’une société, surtout lorsque celle-ci est conflictuelle, et la confiance dans l’institution. L’État est débiteur au corps social de l’efficacité de la justice, car c’est sur cette dernière que s’édifient les pratiques institutionnelles qui définissent les règles sociétales. Or, la corruption et l’abus de pouvoir ne sauraient être normalisées, comme système de références et règle comportementale pour le citoyen, parce que consacrés par l’usage. L’institution dont la mission est précisément de sanctionner les pratiques sociales déviantes, ne peut pas être productrice de contre-modèles. La corruption du principal référent d’une société auto-instituée, introduit en son sein la division et la défiance à l’endroit de l’État. En application du principe de la responsabilité politique, l’imputabilité de ce défaut au pouvoir central est donc parfaitement justifiée. Celle-ci l’est moins par rapport à l’accusation d’immixtion de l’exécutif dans les processus judiciaires, car il n’est nul besoin d’intervention de sa part, pour rendre défectueux ce qui l’est déjà en temps ordinaire. Pour échapper au reproche de partialité et d’immixtion contenu dans la division de la société au sujet de la justice, l’État doit se mettre à distance de la justice, tout en assurant son efficacité.

Cette conception du rôle de l’État en matière de justice, correspond-t-elle à celle que réclame et dénonce l’opposition ? En réalité, la demande de justice exprimée par cette dernière est contraire à la conception d’un État neutre, dont l’intervention est sollicitée dans la résolution de la conflictualité de la société politique. Elle vise davantage à atteindre les buts politiques partisans poursuivis par les formations politiques qui la composent. Il s’agit par ces exigences d’impacter les processus de réconciliation et de démocratisation, plutôt que d’encadrer les conduites sociales et politiques, conformément à la vocation du Droit. Cela signifie que le droit est soumis dans la conception de l’opposition, à une rationalité instrumentale, où l’évaluation de la justice est fonction de son aptitude à atteindre les objectifs politiques et sociaux souhaités par elle. C’est le cas, lorsqu’on réclame l’immunité juridique des personnalités politiques du camp qu’on supporte, quelles que soient les délits commis par celles-ci, en matière criminelle ou financière, plutôt que de réclamer une extension générale des poursuites pour décourager et combattre la malversation des deniers publics et la criminalité politique. Le droit est intimé de se soumettre à la demande sociale d’une section du peule et d’apporter la preuve de son efficacité sociale et politique, en y répondant favorablement. Cette conception instrumentalise le droit, de sorte qu’à «une légitimité fondée sur la régulation des processus, sur la conformité des conditions et des comportements, se substitue une légitimité fondée sur l’efficacité des actions entreprises » par la justice (Jacques Chevallier, «La rationalisation de la production juridique, dans L’État propulsif ». Contribution à l’étude des instruments d’action de l’État). Dans de telles conditions, la norme qu’énonce le droit ne possède plus de valeur intrinsèque en elle-même, qui soit générale et impersonnelle. Elle n’a de valeur que par rapport à la satisfaction et à l’utilité politique obtenue à une revendication ou une dénonciation partisane. Dès lors, celle-ci peut être réputée juste et équilibrée, peu importe qu’elle soit défectueuse ou aille à l’encontre de l’intérêt général. Pour preuve, l’ordonnance portant amnistie, n’est critiquée uniquement que parce qu’elle ne va pas assez loin (extension aux militaires), et non pour son irrégularité (camps de compétence, demande préalable et ratification). Il ne s’agit plus, en somme, «de poser des règles générales en transcendant la division des situations et de les appliquer uniformément en ignorant les cas particuliers, mais tout au contraire de modeler (…) le droit sur le réel (politique), en suivant la sinuosité de ses contours » (Gilles Gagné, «Les transformations du droit dans la problématique de la transition », Les Cahiers de droit, vol. 33, n° 3, septembre 1992, P. 701-733). Dès lors, les oppositions sur la question de la justice se construisent sur des intérêts partisans. Cette attitude traverse toutes les familles politiques, parce ce qu’elle n’emprunte pas une logique juridique pour apprécier les situations, mais une logique partisane. Exemple dernières sorties du PDCI.

Par contre, l’État, en tant que producteur de règles, a l’obligation d’adopter une logique juridique dans ses rapports avec le corps social. Cette obligation est elle remplie par le Pouvoir central qui l’incarne actuellement ? Ou au contraire partage-t-il, lui aussi, une conception instrumentaliste du droit, en le soumettant à sa volonté hégémonique, ses calculs et objectifs politiques ? L’histoire nous apprend à travers l’écriture constitutionnelle de notre pays, que la conception instrumentaliste du droit a toujours habité le pouvoir central, et que celle-ci a corrompu les institutions de la République et créé la division du corps social. Par exemple l’introduction de la version politique de l’ivoirité dans le Droit et la vie administrative, certaines décisions du Conseil Constitutionnel en matière électorale. Pour coller à l’actualité récente, prenons l’exemple de la nomination de sénateurs dans une institution élective. Cette rupture avec le principe démocratique du suffrage universel dans un système représentatif, démontre une logique d’assujettissement du droit à la volonté du « prince » . De la même manière, cette institution ne pouvait pas être mise en place sans avoir atteint le quorum prévu par la Loi. Cette obligation est liée à une condition d’effectif constitutionnellement fixé. Il s’en suit une dépendance fonctionnelle à l’égard de l’exécutif, en violation du principe démocratique de la séparation des pouvoirs. Pire, l’exécutif ne supporte aucune obligation de délai pour procéder à la nomination du tiers des sénateurs manquants à cette chambre du Parlement, pourtant nécessaire au fonctionnement l’institution. Cette déficience n’a pas empêché cette dernière de procéder à la constitution de ses différents organes et de son règlement intérieur en toute illégalité. Le PDCI qui a participé et approuvé cet acte, tant qu’il était membre du RHDP, est mal venue de dénoncer aujourd’hui au tard, la paralysie de l’Institution. De même, le Chef de l’État qui n’a pas procédé auxdites nominations dans la foulée, se trouve dans une situation juridique très difficile et embarrassante, tant à l’égard de la Constitution qui lui en fait obligation, qu’au regard du corps social qui n’apprécie pas la violation du principe de la séparation des pouvoirs et du principe démocratique de la représentativité du peuple souverain, incarné par le Parlement à travers ses deux chambres. Il s’en suit un imbroglio juridique, quant à la légalité du Sénat tel que constitué en l’état. La conséquence de cette situation a été de la constater, sans la dénoncer et le dire, en se référant aux dispositions transitoires de la Constitution de 2016, relative à la mise en place des nouvelles institutions qu’elle a créées (art. 181 et art. 182) qui prévoient, qu’en l’absence de leur installation légale et de leur capacité opérationnelle effective, leurs compétences sont assumées dans l’attente, par les institutions déjà établies. Au cas d’espèce le sénat n’étant ni opérationnel, ni légalement constitué, ses compétences sont assumées pas l’Assemblée Nationale. Ce fondement légal est parfaitement justifié en droit. Cependant, il l’est moins quant à l’application de celui-ci aux faits. Il est remarquable que tout le processus de l’édifice juridique qui a conduit à cette situation est corrompu, depuis les dispositions de la Constitution relatives à cet objet, qui ont introduit une logique très évoque, qui violent des principes de base en cette matière (séparation des pouvoirs et caractère représentatif du Parlement) jusqu’à l’ouverture de la session parlementaire du Sénat (conditions de validité non remplie en l’absence du tiers des sénateurs). Dès lors, il apparaît très clairement que l’opposition n’est pas la seule à posséder une conception instrumentaliste du droit, le pouvoir central instrumentalise le droit également, aujourd’hui comme hier. À la différence de l’opposition qui n’est plus au pouvoir aujourd’hui, pour que l’on puisse valablement le lui reprocher, parce qu’elle n’est plus productrice du droit, il incombe à l’État et aux pouvoirs qui l’animent, une obligation de posséder une logique juridique dans ses décisions et dans son rapport au corps social.

Les temps et les mentalités ont changés, les méthodes et les conceptions doivent s’adapter à cette évolution, sous peine de révolte et de division. Nous voyons bien que toute la société politique fonctionne en dehors d’une logique juridique, mais à l’intérieur d’une logique instrumentaliste et utilitariste. C’est triste et dommageable. Les causes objectives de nos crises successives en découlent. La preuve de cette conception instrumentaliste du droit par l’opposition est surabondante, et met ses incohérences en évidence dans les revendications qu’elle exprime. Un exemples. La demande de la libération des détenus en lien avec la crise post-électorale, quelles que soient les infractions de leurs auteurs, au détriment des droits des victimes et de la sécurité de l’État. Elle aurait du exiger l’inculpation de tous les responsables de crimes dans les deux camps qui se sont affrontés, tels que pointés par la Commission Nationale d’Enquête pour respecter la neutralité du droit et sa logique répressive. En s’en tenant à cette exigence exclusive, elle obéirait davantage à la rationalité juridique qu’a un combat politique défendant des intérêts particuliers. Autre exemple relatif au droit international dans l’ordre interne. L’opposition revendique l’application du principe de la primauté de la Loi externe sur la Loi interne en 2018, par rapport à l’Arrêt de la Cour Africaine des Droits de l’homme et des Peuples. Or, lorsqu’elle était au pouvoir, elle a radicalement refusé l’application de ce même principe en 2010, en matière électorale (Décision de l’ONU, de l’UA dont la Cour Africaine est un organe, Décision de la Cour de la CEDEAO). Cette contradiction est accentuée par le fait qu’elle avait pourtant bénéficié de l’application de ce même principe auparavant par l’obtention d’un mandat présidentiel sans élection sur décision de l’ONU. Pour en jouir, il pas été opposé à cette décision, les dispositions de la Constitution Ivoirienne qui prévoient que le Président de la République exerce son mandat pour 5 ans révolus et qu’il est élu au suffrage universel. Cette Décision imposée par « la communauté internationale », incarnée par l’ONU (catéchisme du FPI) a été acceptée sans la moindre protestation de sa part. Toujours relativement aux engagements internationaux de l’État, autant celui-ci a adhéré à la Charte de la Cour Africaine, autant il a signé le traité sanctionnant son adhésion à la Cour Internationale Pénale. Il en découle la même obligation vis à vis des décisions de deux Cours. Or, j’observe que l’opposition ne réclame pas le transfèrement de Mme Simone GBAGBO à la CPI, malgré l’injonction répétée que cette Institution a adressée à l’État Ivoirien, alors qu’elle réclame, sous peine d’insurrection, l’application de l’injonction formulée par la Cour Africaine relativement à la réforme de la CEI. Les traités et les conventions forment le droit international dans l’ordre interne. Dès lors, la jurisprudence judiciaire et administrative reconnait au juge le pouvoir d’écarter l’application d’une loi interne ou d’une décision administrative contraire à un traité international, entendu que celui-ci a subi un contrôle de constitutionnalité avant sa ratification. Le pouvoir de la refondation, qui constitue aujourd’hui l’opposition a nié et rejeté ces principes, chaque fois que ses intérêts particuliers étaient contrariés. Nous connaissons la suite. Cette sélectivité, cette inconstance, cette variabilité, selon ses intérêts et ses objectifs politiques du moment, confirment pleinement sa conception instrumentaliste et utilitariste du droit. Elle contredit totalement sa prétention à l’attachement au droit. C’est cette instrumentalisation du droit qui est à l’origine de notre crise, cumulée au refus de le respecter, précisément parce instrumentalisé et corrompu par des intérêts particuliers. Faisons très attention à notre manière de produire et de sanctionner les normes. Autant l’État doit assumer ses responsabilités quant à l’efficacité de son système juridique, se mettre au-dessus du corps social et prendre de la distance vis à vis du fonctionnement judiciaire, autant la demande de justice sociale doit obéir à la rationalité juridique, à l’objectivité et à l’impartialité.

b) – De la Réforme du Système Électoral et ses implications (objectifs et contraintes) :

L’examen de la question de la reforme de la CEI appelle de prime abord, une bonne définition du périmètre de sa problématique, en vu d’atteindre les objectifs visés par la Décision de la Cour Africaine, mais aussi plus largement de traiter la situation socio-politique. Cette démarche nous permettra de mesurer correctement l’étendue des enjeux, et d’apprécier la pertinence des moyens nécessaires à la reforme du système électoral en son entier. La formulation de notre demande ou de notre proposition doit être en adéquation avec ces réalités. Certes, l’État doit s’ouvrir au corps social pour renforcer son pouvoir social. Gouverner dans la post-modernité, c’est savoir écouter son peuple. Néanmoins, le corps social doit s’ouvrir à l’État réciproquement pour renforcer son pouvoir politique, car l’exercice de la citoyenneté implique la reconnaissance de l’intérêt commun incarné par l’État. Cette démarche croisée du pouvoir social et du pouvoir politique, pour atteindre un point de consensus sur les normes qui doivent régir la société, contredit tout discours triomphaliste du style « on l’a fait plié ». L’un et l’autre sont complémentaires au bon équilibre du fonctionnement de la Nation. C’est par cette démarche relationnelle, qui s’exerce sur un mode légaliste (Cf.Weber), que nous parviendrons à une démocratie fonctionnelle effective. Il convient d’identifier et d’éliminer les blocages de notre société dans le domaine de la vie élective et politique. Cela passe par une réforme préalable de notre mentalité et de nos conduites sociales et politiques

Le reproche adressé à la CEI relève de sa composition, notamment de la prépondérance du Pouvoir central en son sein, à travers de nombreuses représentations institutionnelles et la présence de nombreux départements ministériels. La commission centrale de la CEI compte dix-sept membres. Quatre membres sont issus de la mouvance présidentielle, quatre de l’opposition, quatre de la société civile et cinq autres au titre des institutions de la République. C’est cette surreprésentation institutionnelle de l’État, à travers ces cinq membres dotés d’un pouvoir délibératif, soit 29,4% (5/17), qui rompt l’équilibre au sein de la commission centrale de la CEI. Celle-ci cumulée à la représentation de la mouvance présidentielle porte ce taux à 52, 9 % ((5+4)/17). Cette dernière relève en effet du Pouvoir central. Une partie lui est subordonnée (départements ministériels) et l’autre (représentants des présidents des institutions de la République) le soutient en vertu de son appartenance à la mouvance présidentielle. Dès lors, le pouvoir central détient la majorité absolue de la CEI actuelle. En comparaison à celle qui l’a précédé, ces défauts bien qu’identiques (politisation de la structure rendant impossible son indépendance et la forte présence du pouvoir central en son sein) montrent un déséquilibre manifeste de représentativité dans la CEI actuelle. En effet, formée sur la base de la loi n°2004-642 du 14 décembre 2004, l’ancienne CEI comportait 31 membres. Les partis signataires de l’accord de Linas Marcoussis y étaient représentés à raison de deux délégués par formation. Elle comportait également 7 commissaires centraux relevant du Pouvoir central soit 22,6 % (7/31). En additionnant cette surreprésentation aux membres de la mouvance présidentielle de l’époque (FPI, UDCY), on obtient un taux cumulé de représentativité égal à 35,4 % (11/31). Ces éléments comparatifs permettent d’établir deux choses : la CEI de 2004 est plus équilibrée politiquement et moins dépendante du Pouvoir Central. Celle de 2011 est plus opérationnelle, mais plus dépendante du Pouvoir central.

Néanmoins, ce défaut n’affecte pas nécessairement, tout au moins jusqu’à preuve du contraire, la fiabilité, la transparence, l’équité et la sincérité du processus électoral. Pour preuve, les grandes démocraties dans le monde entier confient l’organisation de leurs élections au Pouvoir central (ministère de l’intérieur le plus souvent) sur la base de la confiance légitime qu’elles portent à leurs institutions. Cette confiance repose sur une présomption d’honnêteté et de droiture, et sur une conception du caractère transcendant de l’État. Celui-ci étant situé au-dessus des partis politiques et des intérêts particuliers du corps social. En Afrique nous avons créé pour appuyer notre transition démocratique, une structure réputée indépendante, parce que notre société politique n’a aucune confiance en ses propres institutions, et que nos entrepreneurs politiques ne se font pas confiance non plus entre eux, en tant qu’acteurs de la compétition électorale. C’est une défiance repose sur une présomption de déloyauté. Celle-ci justifie sa légitimité par l’histoire (habitude de fraude et de manipulation des résultats). Nous sommes sous l’influence de notre subconscient collectif par rapport à l’expérience de notre passé. Cependant, vis à vis du présent, il se peut que notre suspicion repose sur des préjugés négatifs, notre imaginaire et notre aversion à l’égard du Pouvoir central, chargé subjectivement d’une présomption de culpabilité non démontrée (preuve probante). Il s’en suit que l’urgence de la réforme ne peut pas être objectivement justifiée uniquement sur la base d’une absence de confiance, d’autant plus qu’il existe des recours contre la fraude et la manipulation. Ces faits doivent être attestés et établis par la preuve, pour devenir une réalité. Le sentiment n’est ni un fait, ni une preuve. Dès lors, il ne reste plus que l’obligation de se conformer à une décision de justice et de trouver une formule acceptable pour tous. Par contre l’urgence reste discutable. Cette question pose le problème de l’évaluation de l’opportunité et de la pertinence de la démarche, d’autant plus que l’Arrêt à appliquer, est dépourvu d’une obligation de délai et que la société est divisée sur ce sujet. Notons aussi, que la construction de la CEI actuelle procède d’un consensus (pouvoir/opposition/société civile), et qu’elle a bénéficié de l’assistance et des conseils d’institutions spécialisées, dont l’expérience et l’expertise en la matière, sont reconnues dans le monde entier. Dès lors, il ne saurait être déduit de cette démarche une volonté frauduleuse. Par ailleurs, la légitimité de la revendication de la reforme est reconnue. Il ne se pose plus désormais que la question de délai, de l’opportunité et du choix méthodologique, pour la mise en œuvre effective de cette reforme. Ma position sur la question, est qu’il convient mieux de mettre tout le système électoral en son entier à plat, pour atteindre pleinement les objectifs visées par l’Arrêt de la Cour.

Une nouvelle CEI dans la précipitation, ne changerait pas grande chose à l’état de la démocratie élective actuelle, car les ailes dissidentes des partis politiques divisés, ne pourraient pas y participer, faute d’existence légale. C’est le cas du FPI-canal historique, du MFA originel, du PIT évincé, et des mouvances centrifuges, telle que le PDCI-sur les traces d’Houphouet-Boigny. Dans l’hypothèse, contraire à ma conviction, qu’il faille une représentativité politique la CEI, version 2018, celles-ci ne pourraient y participer. La frustration serait la même, et le consensus le même. Au passage, les indépendants seraient également ignorés, au profit des partis politiques. Non seulement ces forces représentent dans leur ensemble, une proportion importante du corps social, mais leur nouveau électorat qui ne s’est pas inscrit sur la liste électorale, ne pourra pas non plus participer aux élections locales. Dès lors, il convient d’apporter une solution préalable à cette situation, qui fait intervenir des aspects juridiques, politiques et sociaux assez complexes. Ensuite, il conviendra d’actualiser la liste électorale pour permettre à ceux qui ont déserté l’urne par désintérêt, et ceux qui ont refusé de s’y inscrire par conviction personnelle ou par obéissance aux instructions de leurs partis politiques, de pouvoir participer au prochain scrutin. Enfin, il va falloir procéder au redécoupage de la carte électorale dont l’équité est également contestée et reformer la loi électorale pour la mettre en accord avec cette réorganisation. Ici, nous nous intéressons à des enjeux moins visibles, mais qui tiennent pourtant à la structure profonde du système électoral. L’équité du scrutin se joue à ce niveau, car une simple réduction de la représentation institutionnelle suffit amplement à satisfaire à l’injonction de la Cour Africaine. C’est une fois toutes ces conditions préalables réunies qu’on pourra aller vers une redéfinition du format de l’arbitre électoral. Il ne vient à l’idée de personne de chercher un arbitre pour une compétition, sans avoir trouvé au préalable l’aire de compétition, et désigné les compétiteurs en s’assurant qu’il y aura un public nombreux, pour participer à l’avènement. Dès lors, la concertation qui doit accompagner la réalisation de tous ces chantiers préalables sera longue, et mobilisera des ressources financières non budgétisées, qu’il faut pouvoir dégager.

Faute de parvenir à une réconciliation à l’intérieur des partis divisés, je propose aux ailes dissidentes de se constituer en partis politiques autonomes, avec une dénomination distincte. Par exemple, FPI-canal historique, MFA-originel, PDCI-Houphouétiste, PIT-aile socialiste. Ces appellations ne créeront pas nécessairement une confusion auprès de l’électorat, après une campagne d’information et d’explication. Ces doublures sont nécessaires pour leur permettre de réintégrer le jeu politique et de participer à la fois aux concertations et aux prochaines élections. Ensuite, je les invite à préparer leur projet de société et leur programme de gouvernement pour apporter une offre politique au corps social, pour que la compétition démocratique ait un véritable sens, qu’elle ne soit plus dévoyée par la haine vouée à des adversaires et parasitée par des égos et des intérêts particuliers. Les querelles de personnes et d’intérêts particuliers, le tribalisme, la haine et la violence appauvrissent la démocratie et abîment la Nation. L’abstention progresse dans l’espace politique parce que ces comportements et cette absence d’offre politique démobilisent et provoquent l’indifférence. Nous devons sortir d’une démocratie conflictuelle pour aller vers une démocratie apaisée, nourrie et enrichie par un nouvel esprit. Il nous faut renaître à la démocratie. C’est au niveau des idées et des propositions que la compétition électorale prend tout son sens. La reconfiguration des liens politiques en œuvre et la transformation des modes d’appartenance engendrent une tension et un relâchement de la participation. En d’autres termes le corps social ne se sent pas concerné par les petites querelles et les petits calcul de la société politique. Le pouvoir ne doit pas constituer la finalité de l’action politique. La conquête du pouvoir n’est pas le but d’un parti politique, mais un moyen au service d’un projet de société. Or, l’opposition à l’exception de leader, ne propose rien de concret et de nouveau. Dans la culture de résultat de la post-modernité, où les causes disparaissent devant le résultat, les projets de société et les programmes de gouvernement qui ont échoué à l’exercice du pouvoir, ne sauraient garantir ou représenter l’avenir d’un pays. La majorité présidentielle doit également tirer les enseignements de son expérience du pouvoir pour corriger sa vision et son programme. Il est assez ahurissant que les partis de gouvernement en Côte d’Ivoire n’aient aucune instance d’évaluation de leurs actions, et aucun ordre du jour consacrer à cette question vitale, pour leur propre avenir. Le père de la Nation avait pourtant ouvert la voie en créant le Conseil National à cet effet. Par ailleurs, les élections locales se construisent sur des relations interpersonnelles dans un espace de proximité. Dès lors, la réforme de la CEI, avant ces élections locales, ne comporte pas d’enjeu national, qui puisse justifier son urgence. De surcroit, la dimension de la reforme envisagée implique le besoin d’un délai suffisant et une ouverture du corps social à l’État, pour lui permettre de travailler dans la sérénité et en profondeur, pendant que la société politique se met en capacité de pouvoir participer à la concertation sur la future CEI et à la compétition électorale, en résolvant en premier lieu le défaut d’existence légale d’une de ses composantes essentielles. Alors, je dirai comme le Président HOUPHOUET-BOIGNY, « commençons par le commencement » et non par la fin.

Arrêtons donc de se focaliser sur la reforme de la CEI. Elle ne vote pas et ne constitue pas le lieu où se gagne l’élection. Tous les partis politiques ont la faculté de contrôler la régularité, l’exactitude et la sincérité du vote à l’instar des ONG et des observateurs extérieurs. Intéressons nous au fond de la problématique démocratique que pose la situation socio-politique de notre pays, pour les résoudre au préalable. Il ne faut pas que nous aboutissions par fermeture d’esprit à une forme de tyrannie de la minorité, en pensant qu’une section du peuple, détient à elle seule la vérité absolue et la connaissance du bien commun, en s’investissant de la vocation d’éduquer les autres, et de parler au nom du peuple. La relativité est essentielle à l’esprit critique. L’espace public neutre, garanti par l’État transcendant, dans lequel toutes les parties de la société discutent et débattent, est le lieu où se détermine l’intérêt général. Autrement, c’est du totalitarisme, une religion politique dans laquelle l’absolu trouve toute sa place. C’est curieux de constater que dans un État laïc, nous ayons trouvé le moyen de réintroduire le religieux dans le discours et la pratique politique. Ceci pourrait expliquer cela pour partie. Cet « opium du peuple » est la forme la plus utopique qui puisse exister de la démocratie.L’adhésion idéologique et l’exigence démocratique obéissent à une démarche rationnelle

CONCLUSION

Pour rendre notre démocratie fonctionnelle et réussir notre transition, nous avons moins besoin de la reforme de la CEI dans l’urgence, que de la réforme interne des partis politiques, de notre conception instrumentaliste et du droit et de l’État. Nous avons pu démontrer que cette faiblesse est transversale, avec des exemples précis et l’histoire. Elle pose le problème de la maturité et de la responsabilité de nos entrepreneurs politiques et de leurs sous-traitants. C’est une question de culture démocratique. Les bouleversements que nous observons dans le microcosme politique traduisent les frémissements des profondes mutations provoquées par la post-modernité. Cette évolution est inéluctable. De fait la société ivoirienne est en pleine transformation. Une nouvelle conscience collective est née. Une nouvelle culture et nouvelle mentalité font leur apparition. Le vieux monde s’effondre, faute de renouvellement significatif du personnel politique, de capacité d’adaptation et du poids de nos habitudes dont nous avons le plus grand mal à nous débarrasser. Cette évolution structure les rapports que le corps social entretient avec le politique, qui consacre la mort de la religion politique et du discours de l’ordre. Le référent n’est plus le discours politique ou le leader charismatique, mais la conscience du bien commun, la volonté de progrès, la nécessité de la paix et de la stabilité pour nous développer. Dans le prolongement de cette perspective, la politique se conçoit comme une réponse aux préoccupations réelles des populations et non aux intérêts de la classe politique. Le conformisme servile est mort. Dans son développement l’État se conçoit comme une transcendance coupée du corps social et au dessus des partis. La République des partis et du clan est morte. Ces différentes ruptures consacrent un premier chamboulement : les entrepreneurs politiques ne sont plus les principaux acteurs du changement, mais la société civile qui s’exprime de plus en plus massivement et fortement. Une devient la première force de pression sur le Pouvoir central. Le corps social a désormais conscience qu’il constitue l’assise du pouvoir, tant dans les partis politiques que de l’État. Il est porteur d’un désir de transparence et justice, d’un nouvel ordre social à construire, d’un idéal républicain pour incarner l’État. C’est le levain qui tire toute la société vers le haut.

Dans un contexte où l’unité de la société peut être mise en péril par des comportements déviants, la vigilance citoyenne doit se mobiliser pour les dénoncer. Les partis politiques qui refusent de s’adapter au mouvement s’exposent à la division et à l’implosion, sans qu’il ne soit nécessaire de les y aider de l’extérieur. D’ailleurs, comment des partis qui n’ont aucune pratique de la démocratie en interne, aucun respect des textes, qui n’ont pas pour préoccupation première l’intérêt général, peuvent-ils approfondir la démocratie, promouvoir l’état de droit et servir le bien commun ou incarner l’état transcendantal totalement neutre ? Les éléments du discours politique des uns et des autres, permettent à leurs auteurs, un retour sur eux-mêmes, pour affirmer leur identité irréductible (amnésique, ethniciste, égoïste, passéiste, irrationnelle, contradictoire). Celle-ci est en profond décalage l’évolution de la société Ivoirienne, qui doit les rejete massivement au nom du bien commun (paix, stabilité, progrès social, développement économique, inclusion, démocratie, socialisation par le travail, etc.) et d’une exigence de visibilité sur l’avenir (projet de société, idéologie et programme d’action). Lorsque les entrepreneurs politiques ne sont plus des éclaireurs de conscience et des porteurs de projet, et qu’ils entrainent le corps social dans la division et le conflit, ils sont pas dignes de confiance. C’est le naufrage prévisible de cette classe politique.

Pierre Soumarey

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