Le business de vente de voitures d’occasion en péril en Côte-d’Ivoire

Emma ASSEMIEN

« Celle-là, je peux te la laisser à 3.500.000 francs CFA. Mais pour l’autre, c’est impossible de te la vendre à ce prix ». Au téléphone avec un client, Ali marchande le prix d’une voiture de 2009, un modèle prisé mais qu’il ne peut plus faire entrer en Côte d’ivoire depuis l’adoption de la loi sur la limitation de l’âge des véhicules importés.

Assis dans un coin de son parc automobile dans la commune de Koumassi (sud d’Abidjan) Ali, un jeune homme d’origine libanaise qui comme les autres intervenants a souhaité garder anonyme son patronyme, tente de vendre les quelques voitures qui y restent, en entendant certainement de mettre la clé sous le paillasson.

Le gouvernement a pris la décision le 06 décembre lors d’un conseil des ministres de ne plus autoriser l’importation de taxis de plus de 5 ans, les minicars de 9 à 34 places et les camionnettes de 5 tonnes supérieures à 7 ans. De même, il est limité à 10 ans la circulation des cars de plus de 34 places, des camions de 5 à 10 tonnes et ceux de plus de 10 tonnes. Par ailleurs, les voitures de tourisme importées d’occasion ne doivent pas dépasser les 5 années par rapport à la date de première sortie du garage de leur pays de provenance.

Dans le camp des professionnels du secteur, ce décret « ne fait pas (leur) affaire ».

Des statistiques de la SICTA (structure en charge du contrôle technique automobile) prouvent que 75% du parc auto ivoirien ont un âge moyen qui oscille entre 16 et 20 ans.

Mais depuis l’entrée en vigueur du décret, les parcs se vident, sans possibilité de renouvellement de stock, au grand regret des importateurs et revendeurs de véhicules d’occasion, communément appelés « France au revoir ».

« Avant on ne pouvait pas circuler comme ça dans ce parc, tellement il y avait peu d’espace vide », se souvient celui qu’on surnomme Drogba, un ami et collègue d’Ali, indexant les employés qui s’affairent.

« Le constat de ce vide sera effectif à la fin du dernier trimestre 2018 », soutient Serge Bilé soucieux de la survie de sa jeune entreprise.

Dans ces parcs quasi vides sont stationnés quelques Toyota, Peugeot, Mitsubishi, des marques « économiques » prisées par les adeptes des « France au revoir », du fait de leur faible consommation en carburant.

« Les clients préfèrent ces voitures, car elles sont généralement affectées au transport. Mais après ce stock, c’est fini. On ne pourra plus en trouver de moins de 5 ans, et même (dans le cas contraire) ce serait trop cher, en plus des frais au niveau du port. Un ivoirien moyen ne pourra pas se l’offrir », explique un ami de Ali, venu récupérer un véhicule à revendre.

« Une voiture de 5 ans, le propriétaire l’utilise encore et n’a même pas fini de la payer à sa banque, comment voulez-vous qu’il la vende? » Interroge Mamadou, transporteur.

Une situation que connaît déjà, Drogba selon qui, son « fournisseur en Allemagne n’en trouve même pas de moins de 5 ans ».

Ce décret est entré en vigueur depuis le 1er juillet 2018 avec une volonté affichée du gouvernement de « faire descendre au mieux le nombre croissant des accidents de voiture, réduire les émissions de gaz à effet de serre et maîtriser l’air pollué ayant des impacts directs sur la santé de la population. Ainsi, le principal objectif de l’Etat ivoirien est d’avoir le contrôle absolu sur les véhicules usés qui circulent sur le territoire national ».

Pour le ministre des Transports, Amadou Koné qui était face à la presse le 13 septembre, le gouvernement est « en train de travailler pour un secteur des transports propre ».

Mais, pour Mohamed, lui aussi d’origine libanaise et vendeur de voitures d’occasion depuis 1996, « On peut citer 100 problèmes liés à ce décret tel que l’accroissement du chômage et du banditisme, sans trouver un seul côté positif » ajoutant « depuis ce décret, 30 voitures seulement sont entrées en deux mois, contre 3.000 à 4.000 par mois avant ».

Quant à Mamadou, il est convaincu que « cette mesure va toucher plus de secteurs qu’on ne peut l’imaginer » car, « on n’achète pas une voiture neuve pour faire du transport de personnes encore moins pour aller chercher de la marchandise en brousse voyez-vous ».

« Le salaire minimum d’un Ivoirien c’est combien ? Ils ne peuvent pas s’offrir des voitures neuves, en plus, ils sont habitués à ces modèles qu’ils connaissent mieux », souligne Mohamed.

Pour les professionnels du secteur, « Ce qu’il faut plutôt c’est être regardant sur l’état des voitures qui entrent et qui circulent » dans le pays « au lieu de mettre au chômage des milliers de personnes ».

Tout comme Drogba et Ali, Mohamed qui a fait de la vente de voitures d’occasion une entreprise familiale, pense à trouver un autre domaine dans lequel exercer et s’inquiète pour les milliers de jeunes qui sont employés dans le secteur.

EMA

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