Cessez les tests hypocrites de virginité au Maroc !

Par Asmâa Bassouri

Dans un communiqué conjointement publié par trois institutions onusiennes – l’OMS, le HCDH et l’ONU Femmes – plusieurs pays, dont le Maroc, seront exhortés à bannir la pratique des tests de virginité. Très répandue dans le royaume, cette pratique dénote le rapport hypocrite des Marocains vis-à-vis de la sexualité, très particulièrement féminine. La virginité s’érige en mythe fondateur de l’honneur de la fille, et partant, celui de sa famille et de la société toute entière. Mais n’est-il pas enfin temps de démystifier ce mythe ? Nombre d’arguments d’ordre religieux, éthique, juridique, et médical militent en effet pour l’abandon de cette pratique.

Pas de fondement religieux

D’abord, les prescriptions religieuses n’édictent aucunement l’impératif d’un test de virginité. Seule sera prévue – dans un souci de protéger le lien de filiation – l’interdiction des rapports sexuels hors mariage, une interdiction applicable aux deux sexes, de sorte que l’on s’étonnerait de cette névrose collective autour de la question de la virginité féminine, contrairement à celle masculine dont on ne se soucie point. Même plus, le Coran insiste à mettre les deux sexes sur un même pied d’égalité quand il précise «le fornicateur n’épousera qu’une fornicatrice » (Sourate An-nour, verset 3). Autrement dit, on ne peut exiger d’épouser une vierge quand on n’est pas soi-même encore puceau.

Éthiquement infondé, moralement injustifié !

Ensuite, d’un point de vue éthique, l’on se confronte à une double imposture : d’une part, l’accent inégalement mis sur l’ «honneur» de la fille contre celui du garçon, alors que pour avoir un rapport intime il faut être deux ; d’autre part, la conception archaïque et dépassée de la notion d’ «honneur» elle-même, ne pouvant plus être liée à l’existence (ou non) d’une sexualité active. La morale sociale dominante au Maroc étant essentiellement patriarcale et sexiste. Les Marocains se montrent alors indulgents à l’égard de la sexualité préconjugale masculine, qui est parfois même encouragée et glorifiée. Mais quand il sera temps pour un homme de se marier, il devrait entrer en possession d’un « bien intact », i.e. une fille vierge. D’où le recours systématique aux tests de virginité soit à la demande du futur mari, de la belle-famille, ou parfois des parents en vue de se prémunir d’éventuelles accusations du futur époux. Or, ce rapport dominant-dominé relativement à la question de la virginité n’a plus lieu d’être. Non seulement l’âge moyen de mariage a augmenté au Maroc, rendant l’abstinence sexuelle un leurre, mais la place des femmes (surtout en milieu urbain) a nettement évolué grâce à l’accès à l’éducation et à l’emploi. Ainsi, ces femmes font des études, travaillent, deviennent indépendantes et cherchent à s’accomplir. Cette émancipation rime généralement avec libération assumée (y compris sur le plan sexuel). Et bien que cela ne soit pas encore la norme, la tendance est là et elle progresse. Une nouvelle réalité sociale existe donc désormais, et personne n’est dupe pour ne pas s’en rendre compte. Et au vu de cette évolution des mœurs, il est inadmissible de continuer à stigmatiser la femme et l’enfermer dans un prisme moralisateur en réduisant son honneur à l’existence dans un état intact de son hymen. Une redéfinition de la notion d’honneur s’impose!

Une atteinte à la liberté individuelle

Sur le plan juridique, la pratique des tests de virginité constitue une grave atteinte aux libertés et droits fondamentaux. Il s’agit de l’intégrité physique et du bien-être psychologique. En effet, ces tests humiliants sont susceptibles de provoquer saignement et douleurs quand l’examen est forcé ou exercé en dehors du cadre médical, par le biais du fameux « test des deux doigts ». De plus, la liberté de disposer de son corps est atteinte, quoique l’on ne soit pas encore parvenus à la dépénalisation des rapports sexuels entre adultes consentants, mais du point de vue du principe, le Maroc reste lié de par ses engagements internationaux souscrits.

Suivant le même esprit, une inspection de l’hymen pourrait être un moyen de dissuasion de protester ou de se livrer à une forme quelconque d’activisme politique, alors que certaines prisons effectuent ce genre de tests sur les femmes incarcérées. Cela peut fortement les dissuader en amont à ne pas exercer leurs droits.

Soulignons que la pression sociale est telle qu’elle peut conduire jusqu’au suicide ou à la fugue. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si certains procédés connaissent le vent en poupe pour se refaire une virginité: qu’il s’agisse du recours à l’hyménoplastie (acte chirurgical clandestin mais ô comme lucratif), à des capsules de sang accessibles sur le marché informel, ou à l’usage de certaines substances pouvant être nuisibles pour le corps, comme la poudre de pierre d’alun.

L’examen médical ne prouve rien

Enfin, selon la science médicale, rien ne prouve irréfutablement la chasteté d’une fille, encore moins un examen de l’hymen.[1] Autrement dit, un hymen intact n’est pas forcément signe d’absence de rapports sexuels, de même qu’un hymen rompu ne signifie nullement qu’il y ai eu rapport (la rupture pouvant être le fait de certaines pratiques sportives par exemple). Le médecin disposant de l’expertise nécessaire peut décrire l’état de l’hymen mais sans pour autant pouvoir conclure que sa rupture soit le fait de pénétration vaginale. Qui plus est, ce «bout de chair dont on attend essentiellement qu’il ait le bon goût de saigner au moment requis»,[2] peut refuser de le faire, l’anatomie vaginale différant d’une fille à l’autre.

Ainsi, les tests de virginité doivent absolument être supprimés. Pour cela, il faut une véritable mobilisation du corps médical à travers ses syndicats et associations pour sensibiliser sur l’inutilité scientifique du test, et refuser de délivrer des certificats de virginité. Une pression se doit aussi d’être faite par les diverses composantes de la société civile pour amener le législateur à prévoir une interdiction expresse de ces tests, assortie de sanctions adéquates.

Asmâa Bassouri, doctorante en droit international, Université Cadi Ayyad Marrakech (Maroc)

Article publié en collaboration avec Libre Afrique

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