Les derniers bombardements français au Tchad cachent mal une « bataille du pétrole de plus en plus féroce »

Des membres de l’armée tchadienne le 4 mai 2018. / Stefan Heunis/AFP

Pour la deuxième fois après l’offensive des rebelles venus du Soudan en 2008, les dirigeants français viennent encore de sauver la mise au chef de l’État tchadien en prenant directement parti, au travers de « frappes chirurgicales » de Mirages 2000 basés à N’Djamena, contre des rebelles tchadiens opposés à Idriss Déby, au pouvoir depuis 28 ans et deux mois.

Cette initiative française survient après le dernier voyage, en décembre 2018, du président Emmanuel Macron au Tchad et en pleine polémique sur la visite de Benalla à N’Djamena. Dans un tel contexte, était-il approprié et opportun de conduire des bombardements contre des Tchadiens ? Même si la France a une base militaire dans ce pays et qu’elle y défend des intérêts propres, son implication directe contre l’offensive des rebelles tchadiens est plutôt mal venue et mal perçue car ce sont des Tchadiens qui ont pris la décision de résoudre un problème d’alternance politique dans leur pays sans demander l’aide de la France. Cela peut se comprendre même si l’on ne partage pas la prise de pouvoir par les armes et le recours à l’alternance par la violence. Manifestement, c’est la seule solution ou la seule voie qui s’offre désormais aux Tchadiens d’obtenir un changement à la tête du pays et c’est très regrettable. A de nombreuses occasions, ils ont essayé d’obtenir le changement par les urnes sans jamais y parvenir. Plusieurs opposants tchadiens ont même été assassinés sous le régime du président Déby et d’autres avaient par le passé subi des actes d’une barbarie inqualifiable dont les plus mémorables restent ceux de 2008 contre l’opposant Ibn Oumar Mahamat Saleh, disparu depuis 11 ans et dont la presse française avait largement fais échos. L’un de ces opposants tchadiens, Ngarléjy Yorongar, enlevé avec Lol Mahamat Choua, à cette période avait été sauvé de justesse par l’ancien président gabonais Omar Bongo. Comment comprendre aujourd’hui l’attitude des dirigeants français qui, bien que disposant d’importants moyens de renseignement au Tchad, n’ont pas anticipé une situation que l’on savait explosive depuis plusieurs mois ? Des signes précurseurs et des informations de sources concordantes en provenance de Tripoli faisaient état d’une préparation d’actions de rebelles tchadiens contre le régime du président Idriss Déby. Ces informations n’ont apparemment pas suffisamment alerté ni inquiété les dirigeants français.

En général, il est reproché aux Africains de ne pas se prendre en charge pour régler leurs affaires et plusieurs dirigeants français n’ont de cesse de rappeler aux Africains qu’il est temps qu’ils trouvent eux-mêmes des solutions à leurs problèmes, sans chercher à se référer tout le temps à l’ancienne puissance coloniale. Mais, pour la deuxième fois au moins, alors que les Tchadiens se prennent en charge pour trouver une solution -même mauvaise- à la question de l’alternance dans leur pays, ils essuient aussitôt des bombardements aériens des troupes françaises à N’Djamena. Comment donc expliquer cette intervention militaire dans les affaires intérieures tchadiennes ? En tout cas, les Tchadiens ont, eux, du mal à l’expliquer sinon qu’ils considèrent que la France soutient obstinément le président Idriss Déby et qu’elle refuse toute alternance politique dans leur pays. C’est ce qui ressort presque unanimement de l’ensemble de l’opposition tchadienne qui exprime son « étonnement » devant l’action française et la juge « inappropriée ».

Quant au président Déby lui-même, il n’avait pas hésité à stigmatiser publiquement l’attitude des dirigeants français devant des journalistes venus l’interroger : « J’aurais souhaité moi-même m’arrêter comme j’avais promis après mon second mandat. C’est-à-dire qu’en 2006, Je devais cédé le pouvoir. Mais la guerre a éclaté. Des mercenaires avaient attaqué N’Djamena la nuit. (…) Et comme je dis, dans la politique africaine, la France intervient souvent… Et je le dis haut et fort, alors que je ne le voulais pas, la France est intervenue pour changer la Constitution… Il y a un constitutionnaliste dont je ne connais même pas le nom qui est venu ici. J’ai dit que je ne voulais pas changer la Constitution mais ils [Ndlr Les Français] sont passés par leurs arcanes et ils ont changé la Constitution. Et ce sont ceux-là mêmes qui ont changé la constitution tchadienne qui me critiquent ».

Après, ce rappel piquant, on est en droit de se demander si la France est à nouveau intervenue pour rassurer son allié au pouvoir ou pour éviter de perdre la bataille du pétrole de plus en plus féroce entre Paris et Pékin en Afrique Centrale. Depuis quelque temps, les entreprises chinoises, dont la China National Petroleum Corporation (CNPC), se positionnent autour du développement des infrastructures au Tchad. Au lieu de s’illustrer, de par son expérience et sa connaissance du pays, par une action de médiation, aujourd’hui plus opportune sur le plan politique, entre les rebelles et le régime d’Idriss Déby, Paris choisit plutôt de jouer la carte de l’immobilisme et du parti pris suicidaire d’un régime crépusculaire, renforçant ainsi son impopularité dans toute l’Afrique Centrale et au-delà.

Charles ONANA
politologue

Tchad:La bataille du 2 février racontée par un agent secret français (Alwihda Info)

Par Djamil Ahmat
Alwihda.info

« Je suis le seul Français dans la présidence. J’ai passé trois jours avec la garde sous le feu ennemi, mais je suis vivant. Et Idriss Déby est aussi vivant que moi ».

Février 2008. Le centre opérationnel (CO) de la Présidence, -installé quelques mois plus tôt et permettant à l’Etat-major de coordonner toutes les données sur le territoire- « détecte les colonnes rebelles dès qu’ils franchissent la frontière », contrairement à 2006, révèle l’ex-agent secret français, Jean-Marc Gadoullet. Toutefois, la stratégie est « d’attendre et se battre à l’intérieur de N’Djamena », souligne-t-il.

L’avantage du Palais présidentiel est d’être « adossé à un fleuve », ainsi, « il n’y a qu’un seul front à défendre ». « Avant que les rebelles n’arrivent à N’Djamena, nous étirons une ceinture d’une cinquantaine de chars du côté où la présidence n’est pas protégée par les eaux. Nous nous positionnons derrière les bataillons des soldats », explique Gadoullet, ex-agent français du Service Action de la DGSE.

Nicolas Sarkozy refuse d’engager les troupes français mais promet de fournir du renseignement, tandis que l’agent français est au centre opérationnel avec les officiers tchadiens. « Les informations françaises sont reçues, permettant de connaitre les positions rebelles au centimètre près, minute par minute. Ces données stratégiques sont transmises à l’Etat-major tchadien ».

« Je suis le seul français dans la Présidence »

Les rebelles tchadiens disposent de « canons sans recul montés sur pick-up » pilonnant à l’artillerie la présidence, « sans jamais réussir à ouvrir une brèche dans la muraille de chars ».

« Je suis le seul Français dans la présidence. J’ai passé trois jours avec la garde sous le feu ennemi, mais je suis vivant. Et Idriss Déby est aussi vivant que moi », clame l’agent de la DGSE.

« Nous encaissons des coups terribles pendant trois jours »

Les soldats qui se battent pour défendre le palais et l’agent français encaissent « des coups terribles pendant trois jours mais les rebelles ne gagnent pas un pouce de terrain ».

Dû côté de l’ambassade de France et de l’armée française, tout le monde « croit que Déby est mort », tandis que « le réseau téléphonique tchadien a été coupé et le réseau camerounais est irrégulier ». Le contact va être établi avec un « mobile chinois de très mauvaise qualité mais qui capte du réseau et permet de joindre la DGSE (Direction Générale de la Sécurité Extérieure, renseignements français) en informant que Déby est vivant ».

« Déby est mort lors de la bataille de N’Djamena » – « Bonjour, je vous passe Idriss Déby. »

A l’Elysée, en France, une réunion de crise puis un conseil de défense est organisée sur la situation tchadienne. Le ministre des Affaires étrangères et le ministre de la Défense expliquent au président de la République, Nicolas Sarkozy « qu’Idriss Déby est mort lors de la bataille de N’Djamena ».

L’ambassadeur de France au Tchad et l’attaché de défense « s’empressent de confirmer », « sans chercher à contacter » l’agent français retranché au Palais.

A Paris, « ministres, hauts fonctionnaires et conseillers présidentiels s’affolent ». Mais, Pierre Brochand, le directeur général de la sécurité extérieure, sourit doucement. « Idriss Déby n’est pas mort », glisse-t-il
– « Non, il n’est pas mort, lâche-t-il en attrapant son téléphone mobile. D’ailleurs, la preuve, parlez-lui ! »
– « Bonjour, je vous passe Idriss Déby. »
– À N’Djamena, Idriss Déby me rend le téléphone. J’ai Nicolas Sarkozy directement en ligne, je reconnais son élocution hachée : « Présentez-vous !… Bravo, vous avez fait un travail remarquable. » Le président de la République demande ensuite l’état de la situation sur place. « Je lui décris brièvement la violence des bombardements que nous avons essuyés pendant trois jours, je lui explique que nous nous préparons à effectuer un raid pour repousser définitivement les miliciens de Timan Erdimi à l’extérieur de la capitale ». « Tenez-moi au courant, je serai à N’Djamena d’ici trois jours », conclut-il.

La contre-attaque, vingt-quatre heures plus tard, met fin à la bataille. « Elle est un succès, les rebelles sont en fuite et je fait mon rapport au général directeur de cabinet et à Pierre Brochand ».

Nicolas Sarkozy arrive à N’Djamena

Le président français descend de l’avion, accompagné de sa nouvelle épouse Carla Bruni. Il est accueilli par Idriss Déby. Sarkozy demande à rencontrer l’agent français, lui serre « chaleureusement » la main et le félicite. Puis il prend Idriss Déby à témoin : « Voilà un homme courageux ! », il se tourne vers le chef d’état-major particulier de l’Élysée et claironne : « Vous voyez, cet officier-là mérite de passer général ! ». Il sera promu colonel pour faits d’armes.

Hommage à toutes les victimes et aux proches des victimes de ces évènements, que la paix et la stabilité pèsent de tout leur poids au Tchad.

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