Côte-d’Ivoire: Un universitaire recadre Adjoumani «Vous n’avez pas le droit d’insulter notre intelligence !»

Affaire « Tiébissou sera très bientôt une ville de grande importance »

Monsieur le ministre, je me suis résolu finalement à vous écrire depuis que le samedi 30 mars dernier, dans le cadre de l’investiture du maire sortant, vous aviez comme on vous le connait, tenté de renverser la réalité des faits pour justifier votre posture actuelle. Cette équipe municipale que vous parrainiez et contre le bilan de laquelle j’avais annoncé ma candidature, alors même qu’elle officiait au nom du Pdci-Rda, a viré contre toute attente au Rhdp. Elle vient juste de se faire réélire avec autant de brio qu’on a dû assister à l’incinération des bulletins de vote, juste après la proclamation des résultats ! Nous en avions tous été choqué. Mais aujourd’hui, les choses se clarifient.
Je vous écris alors que je m’étais promis de ne plus vous répondre depuis qu’en 2012, je fus contraint de vous interpeler par une lettre ouverte, suite à vos postures des plus tendancieuses face à la réaction compréhensive de nos militants vis-à-vis desquels, vous aviez interjeté à la « une » d’un journal proche du Rdr : « Avant de vous en prendre au Rdr et à Alassane Ouattara, sachons d’où nous venons » ! Aujourd’hui encore, il m’apparaît d’une part que le blackout dans vos propos en cette occasion à Tiébissou, est si grotesque et d’une malice digne des agents doubles de la guerre froide, que ne pas y répondre, laisserait libre cours au triomphe de l’ivraie.

Mais voir celui qui fut à un moment donné un de mes profs de Lycée, utilisé comme une marionnette dans les arènes politiques, jouant à contenter ceux qui tiennent la panse, je dis, faisons quelque chose pour le « professeur Adjoum » ! Mais fort heureusement, je ne peux me repentir de ce que j’ai appris ici et là ; ce qui me vaut sans doute de découvrir toute la hideur des contorsions politiques. L’on a du reste coutume d’attribuer à ce modus operandi, la formule du « faire l’âne pour avoir le foin ». Mais jamais je n’oserais vous caricaturer car en toute chose, affronter sa propre conscience vaut mille jugements de surface.

D’autre part, les peuples bron et koulango -pour aller chercher des réponses de ce côté-là -, sont des peuples de parole et de fidélité à l’engagement. C’est pourquoi, je m’explique mal votre rôle qui contredit tous les principes d’une des éducations traditionnelles les plus rigoristes de notre culture. Et même si le but est que vous soyez en poste, de quelle vision sociale êtes-vous animé ? Je me convaincs que si vous devriez en être animé, ces visions, Monsieur le Ministre, ne peuvent que générer assurément, le recul systémique qui nous ramène en arrière chaque fois que nous croyons avoir fait du progrès.

C’est pourquoi, si vous le permettez, je voudrais vous révéler qu’il y a deux types d’hommes politiques : ceux qui créent des problèmes pour en tirer parti, et ceux qui les règlent pour en tirer gloire. Laurent Denancy résume cela en deux phrases: « En politique, trahison, lâcheté et Hypocrisie sont une religion. C’est pour cela que nous avons de si mauvais gouvernants. » (Nice 1957). Alors, quand des hommes politiques comme vous, conseillent des hommes d’Etat, il vaut mieux s’en méfiez ! C’est la raison pour laquelle, Monsieur le Ministre, sauf à vous offenser, je ne puis tolérer vos propos devant nos parents et notre jeunesse. Car à Tiébissou, il y a des noms que ni le Pdci-Rda, ni la Côte d’Ivoire ne pourront ignorer, pour ce qu’ils ont su représenter dans l’imaginaire national et pour le militantisme politique; ce sont entre autres, Germain Coffi Gadeau, Konan Raphael et Ives Fofana. Eux, n’ont pas eu besoin de lier leur militantisme à des postes ou à un quelconque désir jouissif du pouvoir. Ils ont par leur fidélité, bâti des valeurs que vous ne sauriez comprendre ni interpréter. C’est pourquoi, je puis vous dire, Monsieur le Ministre, à Tiébissou nous sommes Pdci-Rda et ne sommes pas à vendre !

Quand vous annonciez ce 30 mars 2019 que Tiébissou sera très bientôt une ville de grande importance, que faut-il en déduire ? Notre ville vient-elle d’exister pour vous ? Après 8 ans de pouvoir avec un passé de premier Ministre, pourquoi est-ce maintenant qu’aux yeux de votre mentor, le miracle doit s’annoncer pour nous autres ? Et pourtant, alors que les armes crépitaient encore à sa demande, il a fait, par une rarissime générosité, une cartographie de distribution de milliards qui subitement, ont disparu dès la normalisation. De qui se moque-t-on donc ? Je m’interroge car si un contexte ne change pas, d’où peut provenir la performance que vous accordiez à l’adverbial « bientôt », du point de vue dialectique ? Dans la forme donc, vos propos à fort teint démagogique, expriment votre désarroi, car le temps viendra où vous devriez justifier toutes ces heures de gloutonnerie, de vol en jet privé devant un taux de chômage estimé récemment par la Bad entre 70 et 90%. La politique, doit se nourrir d’idéal si elle ne veut pas servir de foire aux guignols!

Et au fond, peut-on douter que vos objectifs inavoués restent de préparer désespérément l’expropriation du vote des Ivoiriens en 2020 ? En attendant de mesurer jusqu’où l’audace vous mènerait dans un tel projet, j’aimerais vous indiquer que vous aviez assurément raté l’occasion de vous taire ce jour-là. Et même si je sais votre attachement au théâtre et qu’également, je sais que votre idole politique reste le sieur Balla Kéita de regrettée mémoire, – cet ancien fidèle d’Houphouët-Boigny dont vous nous ressassiez les discours à longueur de journée au Lycée-, vous ne semblez rien avoir retenu de sa témérité et des principes qui lui ont valu en ce triste sort, de la dignité. Je pensais que vous le comprendriez. Mais à Tiébissou en interprétant à l’envers les sacrifices consentis par nos pères à l’époque de l’AVB, vous aviez atteint notre honorabilité :
« En 1972, pour la construction du barrage de Kossou avec l’Aménagement de la Valée du Bandama dénommé l’AVB, plusieurs villages du département de Tiébissou avaient été déguerpis (…) Mais trois villages ont particulièrement retenu notre attention dans ce mouvement de réinstallation : il s’agit des villages Koriakro, Kansi et Lohossou qui ont été délocalisés à San-Pedro. Là-bas, puisqu’ils étaient pratiquement sur le même site géographique, ils n’arrivaient pas à s’accorder sur le nom qu’ils allaient donner à leur village. (..) Eh bien, il [le président Houphouët-Boigny] leur a simplement dit, c’est moi qui vous ai envoyé là-bas, donc votre nouveau village s’appellera Boignykro. (…) C’est vous dire que le Président Houphouët-Boigny, qui a toujours placé l’intérêt général au-dessus de tout, n’étaient pas attaché au fétichisme des noms ou des dénominations. C’est dans cette logique que s’inscrit le Président Alassane Ouattara, lorsqu’il demande à tous les enfants d’Houphouët-Boigny de s’unir dans une même famille politique, Rhpd. »

Il est évident que vous commettez ici ces erreurs ci-contre : d’abord vous comparez le règlement d’un contentieux social à une violation morale du combat politique d’Houphouët-Boigny. Ensuite, vous rabaissez ce sacrifice de nos parents et de celui d’Houphouët-Boigny à une politique obscurantiste et ethniciste. Nos pères à Tiébissou ont accepté de céder à l’Etat, leur terre et leur histoire pour construire ce pays. Mais, là où d’autres auraient fait passer leur peuple avant les autres, notre région fait partie des régions les plus démunies en infrastructures. Et même si ces sacrifices ont été consentis pour assurer à notre pays une couverture optimale en électricité, plus de 90 % de nos villages n’étaient pas électrifiés jusqu’en 2008. Que dire alors des déductions que vous faites!

« Je voudrais rappeler que nous les enfants d’Houphouët-Boigny, nous avons achevé notre chemin de croix, nous avons traversé notre désert durant des années, nous avons souffert le martyr, nous avons connu le froid glacial de l’opposition. (…) là où semble commencer le chemin de croix pour d’autres ».

Ai-je bien entendu que vous avez souffert le martyr ? Quelle excuse ne mérite-t-on pas quand on veut justifier le mensonge ! Mais de là à vous prendre pour un martyr, il faut le faire Monsieur le Ministre ! En attendant que l’on vous décore à cette fin, je tiens à vous faire remarquer que Tiébissou n’est pas une scène de théâtre et vous n’avez pas le droit d’insulter notre intelligence ! Car le comble, c’est de vous entendre dire encore : « Nous voulons surtout baptiser cette maison du nom de Félix Houphouët-Boigny afin qu’à jamais on se souvienne de lui et de ses œuvres ». Je n’emploierai pas de grands mots pour commenter davantage vos propos. Au fond, je me demande, vu que vous aimez tant le pouvoir, pourquoi vous n’aviez pas utilisé le quart de cette débauche d’énergie en 2010 chez vous à Tanda ? Car dans cette gymnastique laborieuse, soyez sûr que vous êtes extraordinaire à vous battre pour exister. Monsieur le Ministre, pourtant, il n’y a vraiment rien de plus triste et dégradant qu’un militant qui se retourne contre sa propre famille politique, ses propres valeurs et idéaux. Ce genre d’hommes politiques, n’ont plus de miroir à leur domicile. Non, Monsieur le Ministre, on n’est pas héros que parce que comme sur un gibier, l’on a le pied sur un budget ministériel ! C’est pourquoi, en prenant congé de vous sur ces mots, j’aurai une doléance à titre personnel. Faites en sorte que les 1250 lots expropriés à plusieurs villages soient restitués ? Faites en sorte surtout que les populations n’assistent plus à des surfacturations grotesques de projets. Faites en sorte que le budget traditionnel commis, en attendant ce que le Rdr et ses prophètes y apporteront, puisse servir effectivement à travailler pour cette ville. Aidez-nous, surtout que Tiébissou n’a pas de marché, pas de château d’eau et que pourtant nous donnons un temps fou aux comédies humaines. Etre une ville de grande importance, devrait commencer par-là, je pense.

Prof. Roger Langui
Enseignant-Chercheur

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