«Ceux qui ont trahi l’esprit d’Houphouët peuvent-ils prétendre être des modèles de l’houphouëtisme ?» (Frédéric Grah Mel)

73 ans du Pdci – Le biographe Grah Mel retrace l’histoire du parti d’Houphouët et s’insurge :

• Quand l’Ouest soutenait Houphouët et les baoulé utilisés contre leur frère…

L’historien Frédéric Grah Mel, auteur d’une volumineuse biographie sur Félix Houphouët-Boigny a été invité comme conférencier à la célébration des 73 ans du Pdci au siège dudit parti à Cocody, le 9 avril. Il a décortiqué avec éloquence le thème : « Le Pdci-Rda hier, aujourd’hui et toujours ».

L’on retient de son long exposé que le vieux parti qui a perdu le pouvoir en 1999 et qui tente aujourd’hui un retour aux affaires est l’émanation du ‘’Syndicat agricole africain’’ fondé par Houphouët-Boigny qui a saisi l’aubaine de la Conférence de Brazzaville de 1944. Ça on le savait plus ou moins. Mais pour se consolider, le Pdci a dû bénéficier de l’adhésion de plusieurs mouvements et groupes sociaux qui avaient pignon sur rue dans la colonie de Côte d’Ivoire. Ce sont :

– l’Ufoci : Union fraternelle des originaires de la Côte d’Ivoire qui comme son nom l’indique est une association née de la volonté d’ivoiriens suite à un conflit avec des ressortissants étrangers en 1928.

– L’Uococi : Union des originaires des cercles de l’Ouest de la Côte d’Ivoire, créée en juillet 1944 par des ressortissants Bété et qui va s’étendre aux cercles de Grand Lahou, Sassandra, Tabou et Man. Elle avait pour but d’accueillir et d’assister les ressortissants du pays bété immigrant à Abidjan.

– Les Gec : groupes d’études communistes d’Abidjan. des personnalités comme Germain Koffi Gadeau, Auguste Denise et Gris Camille devenus ministres plus tard en étaient les principaux animateurs.

On retiendra également, selon Pr. Grah Mel que le Pdci a été un parti de combat, aguerri par les répressions coloniales de la fin des années 40 qui tendaient à le casser. En définitive, sans crier défaite, Houphouët changea de vision en optant pour le désapparentement d’avec le parti communiste en France. Il devient alors fréquentable et ceci favorisa son ascension politique. À noter également qu’au cours de cette période, le colon a monté ses propres frères baoulé qui s’associeront avec des ressortissants du Nord conduits par Ladji Sanogo pour casser du Pdci à travers un parti qui s’appelait l’Udici (Union des indépendants de Côte d’Ivoire) qui deviendra Edici (Entente des indépendants de Côte d’Ivoire). Toute chose qui amène à dire que ce qui se passe aujourd’hui sous l’ère Ouattara à l’encontre du Pdci n’est qu’une répétition de l’histoire. Et peut-être que le Pdci trouvera les ressources morales, intellectuelles et financières pour s’en sortir.

Toujours selon Grah Mel, tous les opposants à Houphouët finiront par mettre en avant l’intérêt de la nation ivoirienne pour rejoindre le Pdci. Qu’ils soient le Ppci de Kouamé Benzème, le Bloc démocratique éburnéen d’Etienne Djaument transfuge du Pdci, Edici, des partis qui s’étaient rassemblés dans une alliance dénommée Parti de l’union française de Côte d’Ivoire (Pufci), tous décidèrent de mettre fin à leur guerre livrée au Pdci et à son leader Houphouët-Boigny.

« Le 21 mai 1956, les contacts souterrains qui accompagnent ce discours débouchent sur un nouveau meeting dans le même stade Géo André. Les personnes qu’on voit se succéder au micro sont Félix Houphouët-Boigny du PDCI-RDA, Étienne Djaument du BDE, Kacou Aoulou du PPCI, le docteur N’Diaye Guirandou et Me Amadou Diop de la SFIO, Charles Borg, gérant de la Coopérative des fonctionnaires, membre de la section ivoirienne de l’UDSR, et le docteur Augustin Djessou Loubo, jeune turc du PDCI-RDA. Le 2 octobre 1956, tous sont déclarés membres du PDCI-RDA avec l’annonce, faite ce jour-là, du ralliement du PPCI à ce parti », décrit le conférencier qui révèle que ceci ne s’est pas fait aux forceps mais à travers des contacts entretenus pendant au moins cinq ans entre Houphouët et ses opposants.

Pour clore sa conférence, Frédéric Grah Mel a mis l’accent sur ce que doit faire le Pdci pour reprendre le pouvoir en 2020. « Le PDCI-RDA a tous les atouts pour représenter en 2020 une alternative crédible, si et seulement si la compétition est loyale et apaisée. Il a tous les moyens pour réussir s’il parvient à introduire dans ses perspectives une ambition affirmée et dans ses pratiques une rigueur, une organisation et une vision adaptée aux problématiques du temps », a-t-il averti avant de donner quelques recettes : « Comment ne pas nous souvenir ici de cette formule de Philippe-Grégoire Yacé, assurant qu’ « en politique c’est comme au football, on ne fait pas la passe à l’adversaire » ? Je pense encore aux stratégies de mobilisation des ressources que le parti doit inventer pour compenser les déficits budgétaires auxquels l’exposent déjà et l’exposeront plus gravement encore les rigueurs de son statut d’opposant. Je pense enfin à la rédaction d’un projet clair, structuré, cohérent, sans lequel il est difficile, pour ceux qui considèrent le parti de l’extérieur, de lui accorder du crédit, ne sachant pas ce qu’il veut et ce qu’il offre aux Ivoiriens et au monde ».

Il a longuement félicité l’actuel président du Pdci Henri Konan Bédié qui, de son avis a vu juste en résistant à la perfidie qui consistait à faire disparaître le Pdci. Il a décoché quelques piques à l’endroit de ceux qui portaient ce projet, Alassane Ouattara en l’occurrence mais sans le citer nommément. « Quant aux valeurs houphouétiennes du rassemblement, de la démocratie et de la paix, ceux qui, sans craindre de trahir l’esprit d’Houphouët-Boigny, ont mis en œuvre la fracture de 1994 et qui aujourd’hui passent leur temps à approfondir cette fracture en siphonnant le PDCI-RDA, en sciant ainsi, non pas une branche mais le tronc de ce que, pour le coup, nous conviendrions d’appeler l’houphouétisme, ceux-là peuvent-ils vraiment prétendre être les parangons de telles valeurs ? », s’est-il interrogé, relevant au passage que Houphouët n’a jamais clamé l’houphouëtisme de son vivant et n’a jamais estimé que la Côte d’Ivoire se réduisait à sa personne. Il n’a pas non plus imité son mentor De Gaulle qui avec ses adeptes et successeurs ont plusieurs fois changé le nom de leur parti. Son seul héritage politique, c’est le Pdci, signe encore Grah Mel qui a exhorté les militants du Pdci à se montrer dignes en préservant cet héritage.

SD à Abidjan
sdebailly@yahoo.fr

Commentaires Facebook