La Côte-d’Ivoire et ses étrangers, ce que je crois (point de vue de Théophile Kouamouo)

1- Ce post vise à expliciter mon point de vue sur la controverse qui revient et se centre sur des mots-clés comme « l’ivoirité », « l’ivoirophobie », bref les relations passionnelles entre la Côte d’Ivoire et ses étrangers. Je pense que le problème est habituellement mal posé, et se fonde sur des raisonnements où l’économie est peu présente. Or, elle est la clé nécessaire pour dépasser les affects et les lignes de séparation artificielles.

2- Dans un post fort intéressant, le Dr Bangali N’Goran parle de « conditions culturelles et structurelles permissives » qui ont rendu possible l’immigration massive à l’époque de la prospérité ivoirienne, et qui ne peuvent plus exister dans une société qui a changé. Mais il ne s’agit ni de « permissivité », ni de « passivité », mais de choix économiques rationnels, même s’ils ne sont pas toujours explicites.

3- Sous la colonisation, la Côte d’Ivoire n’était pas bien partie pour être la première productrice africaine (et encore moins mondiale) de cacao. La Gold Coast avait pris de l’avance. Pour rattraper le retard, il fallait notamment (sur un territoire à la faible densité démographique) mobiliser de la main-d’oeuvre agricole, principalement en Haute-Volta. C’est d’ailleurs pour empêcher la Gold Coast d’avoir accès à ces travailleurs et aux fins de les orienter « chez lui » (le Sahel étant historiquement plus peuplé que la côte) que le colon français a fusionné pendant plusieurs décennies une partie du Burkina actuel avec la Côte d’Ivoire actuelle.

4 – Par la suite, la politique d’extension du verger cacaoyer ivoirien s’est poursuivie. Et plus les cours étaient bas, plus il fallait faire venir des travailleurs de contrées assez déshéritées pour que cela les intéresse de s’user la vie à défricher la forêt, souvent avec des produits chimiques cancérigènes. Il fallait aussi déposséder les autochtones, notamment à l’Ouest, dans le but de s’exonérer d’un coût supplémentaire (la location des terres).

5 – Le point ci-dessus est important parce qu’il montre bien que ceux qui sont à la manœuvre, ce sont les multinationales et l’Etat, les paysans locaux et importés n’étant qu’une variable parmi d’autres.

6 – L’explosion de l’orpaillage clandestin qui se manifeste de manière de plus en plus sauvage au Burkina Faso, en Guinée et aussi en Côte d’Ivoire est également liée à des causalités économiques plus globales. La flambée du cours de l’or, elle-même liée aux incertitudes sur la situation financière mondiale, et notamment sur le dollar. « Cherchant à diversifier leurs réserves de change, les banques centrales se ruent ainsi vers l’or. En 2018, les instituts monétaires ont acheté 657 tonnes du métal préicieux, un bond de 74% par rapport à l’année précédente. « Il s’agit du volume d’achats le plus important enregistré depuis 1971 et la fin de la convertibilité-or du dollar », précise auprès du journal Le Monde Natalie Dempster, directrice générale en charge des banques centrales et des politiques publiques au Conseil mondial de l’or (CMO) », peut-on lire sur le site d’Europe 1.

7 – Comme pour le cacao, les réseaux d’affaires transnationaux qui prospèrent sur cette spéculation radicalisent les moyens d’extraction, utilisant des techniques hyper-polluantes dangereuses d’abord pour les semi-esclaves burkinabè qu’ils utilisent, mais aussi pour les populations environnantes. Pourquoi utilisent-ils des Burkinabè ? Parce que personne d’autre ne voudrait le faire, ni en Côte d’Ivoire, ni en Guinée d’ailleurs.

8 – En politique aussi, les étrangers sous-régionaux sont une ressource qui peut être utilisée dans le cadre de techniques de fraude électorale. Des techniques utilisées partout, mais dont l’efficacité est d’autant plus forte que la population étrangère est nombreuse et désireuse de rester.

9 – En Côte d’Ivoire, cette question de l’implication politique des étrangers est d’autant plus difficile à gérer que la loi, qui se fonde sur le droit du sang, se heurte au désir des enfants, voire des petits-enfants d’immigrés « du bas de l’échelle » (car les autres ont les moyens de se faire naturaliser) d’appartenir, de faire des études universitaires abordables, d’intégrer la fonction publique, etc. Rien de plus facile que d’exploiter ce désir, et cette frustration qui grandit en même temps que les mesures de préférence nationale.

Théophile Kouamouo

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