Message du père Norbert Éric Abekan aux responsables politiques en Côte-d’Ivoire

Message du père Norbert Éric Abekan,

Aux responsables politiques

à l’occasion de la mémoire liturgique de saint Thomas More, patron des responsables de gouvernement et des hommes politiques.

A l’occasion de la mémoire liturgique que l’Eglise fait de Saint Thomas More le 22 juin, je prends l’initiative d’adresser ce message à chacun de vous et plus particulièrement aux responsables politiques de notre pays, la Côte d’Ivoire.

En effet, saint Thomas More dont l’Eglise fait mémoire est un saint anglais du 16e siècle.

Très jeune, Thomas More s’engage. Il s’engage en politique, dans la vie des affaires, dans la vie familiale. Partout, il fait preuve d’audace, d’initiative et entraîne à sa suite de nombreuses personnalités. C’est le service du bien commun qui l’anime et lui donne d’exercer son leadership.

Saint Thomas More a fait preuve d’une grande liberté de parole, fondée sur un attachement profond à vivre en conscience et de manière très cohérente entre conviction, discours et action.
Saint Jean-Paul II en déclarant Saint Thomas More patron des responsables de gouvernement et hommes et femmes politiques veut attirer notre attention sur l’exemple éminent de ce saint pour la vie de laïc engagé dans la vie économique, sociale et politique.
L’ensemble de sa vie peut et doit inspirer les fidèles catholiques, notamment les jeunes.
Saint Thomas More comme époux et père, philosophe et écrivain, homme politique engagé au service de la Cité, donne les clefs pour vivre en conscience.

Je prends l’initiative de ce message pour trois raisons :

– La première raison s’appuie sur le message du Pape François pour la Journée Mondiale de la Paix de cette année, le 1er janvier. Le pape François interpelle les responsables politiques sur leur mission de préservation de notre Maison commune : notre pays. La bonne politique, dit-il, est au service de la paix.
– La deuxième raison se fonde sur la célébration cette année du jubilé d’Or du Symposium des Conférences Episcopales d’Afrique et de Madagascar dont la clôture des festivités est prévue pour la fin juillet. Les Evêques Africains nous invitent pendant le mois en cours, (ce mois de juin) à repenser et promouvoir davantage l’engagement des chrétiens en politiques.
– La dernière raison est que depuis quelques semaines les politiciens ivoiriens troublent notre sommeil, pour reprendre les mots du Cardinal Jean-Pierre KUTWA, Archevêque d’Abidjan, lors de la Messe de requiem de Mgr Antoine KONE, lundi 26 mai dernier à la cathédrale saint Paul du Plateau.

Ces trois raisons aussi suffisantes que nécessaires appellent mon devoir de Pasteur d’interpeller les hommes et femmes qui ont un rôle politique dans ce pays à travailler à asseoir les conditions d’un avenir digne et juste pour tous, sans exception.
Dans le présent message, je veux partager ma conviction profonde sur la nécessité de la réconciliation de tous les ivoiriens.
Nos Archevêques et Evêques Catholiques de Côte d’Ivoire n’ont eu de cesse de rappeler à la conscience de tous qu’une réconciliation véritable est la voie royale par laquelle notre pays sortira irréversiblement des décennies de crise multiforme qu’il a connue.
Cette épineuse question de la réconciliation, s’impose à tous et doit être abordée avec audace, dans un esprit d’ouverture et sans passion.
Je voudrais ici et maintenant faire miens les paroles de saint Paul. Je cite : « Dieu nous a tous réconcilié avec lui par le Christ, et il nous a donné pour ministère de travailler à cette réconciliation,… Or c’est maintenant le jour favorable, c’est maintenant le jour du salut ». (2 Corinthiens 5, 18. 6, 2).

Frères et sœurs, l’année dernière, à la veille de la commémoration de l’indépendance de la Côte d’Ivoire, le Président de la République M. Alassane OUATTARA avait accordé l’amnistie aux détenus, aux personnes en liberté provisoires et aux exilés politiques. Apportant ainsi un vent agréable de décrispation dans la vie de la Nation.
L’épiscopat catholique ivoirien avait salué ce geste de noblesse et de grandeur considéré, à juste titre, comme un gage de renforcement de la cohésion sociale et pour l’unité de tous les enfants d’un même pays.
Cet acte historique a son pesant d’or dans la recherche du pardon et de la réconciliation, toutes choses utiles pour la stabilité, le développement et le bien-être des populations qui n’aspirent qu’à voir le grand soir.

En saluant à nouveau le geste du Président de la République, je voudrais l’encourager à ouvrir d’autres perspectives pour servir la paix. Je pense à l’instauration et à la facilitation d’un cadre de dialogue politique le plus large possible avec toute l’opposition et la société civile en vue de discuter du modèle politique et institutionnel propice à notre pays au regard des exigences sociopolitiques actuelles.

Indéniablement, notre pays connaît depuis ces dernières années une embellie économique et dispose d’infrastructures nouvelles et nécessaires qui font dire que la reconstruction du pays est en marche. Toute chose qui participe au rayonnement de l’image du pays dans le concert des nations.

Si toutes ces performances économiques sont à saluer et à encourager, il faudra, toutefois, reconnaître que beaucoup reste à faire.

Des situations humaines préoccupantes se dressent à nos yeux nous rappelant ainsi l’impérieuse urgence de la redistribution des richesses nationales à travers des investissements sociaux accrus pour réduire les inégalités.
A l’opposition républicaine, il lui revient de prendre en compte les aspirations profondes du peuple et des exigences du contexte international afin de mettre notre pays à l’abri des conséquences déplorables. Dans un esprit constructif, je l’invite à travailler à l’élaboration d’un nouveau contrat social dans la perspective des élections présidentielles incontestables.
Nous rappelons aux hommes et femmes politiques, à la société civile, aux associations et à toutes les forces vives de la nation que c’est ensemble que nous seront protagonistes de la réconciliation dans notre cher pays. Et cette réconciliation acquise induira un changement profond et véritable au service de la Côte d’Ivoire.

Frères et sœurs, chers compatriotes,
Souvenez-vous, le 13 juin 1999, à Bondoukou, nos Pères Archevêques et Evêques catholiques de Côte d’Ivoire écrivaient. Je cite : « Vous qui êtes au pouvoir, les hommes et les femmes de ce pays vous ont choisis et ont remis leur destinée entre vos mains, par confiance. Ce geste constitue pour vous une lourde et noble responsabilité. Cette confiance ne doit jamais être trahie. D’une certaine façon, l’avenir de ce pays dépend en grande partie du sérieux et du sens de responsabilité avec lesquels vous remplirez cette mission. C’est pourquoi, nous vous exhortons et encourageons à accomplir votre tâche avec un patriotisme responsable.
Un tel patriotisme implique le respect de toutes les forces sociales et l’ouverture à la collaboration franche avec tous les citoyens vos frères compatriotes quelle que soit leur appartenance idéologique, politique, religieuse et ethnique. En effet, la vérité ne se trouve pas dans un seul camp et personne n’en a le monopole. Votre souci majeur devra être la recherche et la défense des intérêts du peuple tout entier dont vous avez la charge et non la recherche de vos intérêts et ceux de votre parti.

[…] Par ailleurs, la manipulation de l’opinion publique, des élus du peuple, de la Constitution, du découpage électoral en vue de sauvegarder et de préserver les intérêts particuliers d’un parti, constituent un jeu politique dangereux pour l’ensemble du pays. (Le chrétien face à la politique, N°143. 145]
Oui, frères et sœurs, nous nous sommes assez fait peur ! Il est plus que temps de nous laisser guider par ce qu’il y a de meilleur en nous et de faire preuve de retenue, de sagesse, d’esprit de concertation et de vérité en vue du bien commun et de l’intérêt supérieur de la Nation.

L’impératif doit maintenant être clair et prioritairement décisif : réussir la réconciliation pour construire notre destinée.
Ce pays, personne ne le construira à notre place. Si nous voulons avancer comme les autres grandes Nations, il nous suffira tout simplement de nous mettre débout, d’unir nos efforts pour bâtir ensemble ce pays que nous ont légué nos pères.
Un tel idéal ne sera atteint que par un environnement politique apaisé et par une pratique inventive du jeu politique débarrassée de toutes formes d’arrogance et de mépris.
La construction de cet idéal passe aussi par un engagement total et entier de la classe politique appelée à se renouveler. Car la politique, dit le pape François, se traduit dans l’encouragement des jeunes talents à se réaliser en participant à un projet pour l’avenir.

A vous tous, fils et filles de ce pays, continuons à travailler au pardon mutuel et à la restauration d’un vrai climat de paix en Côte d’Ivoire pour sa reconstruction et son développement.
Faisons donc du dialogue, de l’amitié et de la solidarité entre les citoyens et les autres peuples frères les meilleures réponses à la violence, à la haine, au mépris et à l’intolérance.

Comme nous enjoint le Pape François : « Laissons l’Esprit Saint nous revêtir des armes du dialogue, de la compréhension, de la recherche du respect réciproque et de la fraternité » (Tweet du 24 septembre 2018).

A tous et à chacun, notre responsabilité est certes grande, les défis énormes, les obstacles évidents, mais avec une bonne dose d’audace nous surmonterons les aspérités du chemin et nous bâtirons notre destinée.
Ce pays est un bien qui ne peut se léguer n’importe comment aux générations futures.

Pour ce faire, il convient que nous acceptions de laisser mourir ce qui est ancien pour que renaisse l’homme nouveau, porteur d’une nouvelle vision, celle de la justice, de la vérité et de la solidarité.

Par l’intercession de la Bienheureuse Vierge Marie, que le Seigneur nous aide à nous tourner vers l’avenir en marchant ensemble sur les chemins de la réconciliation et de l’espérance pour une Côte d’Ivoire pacifiée.

Père Norbert-Eric ABEKAN,
L’ANE du Christ.
Curé de la paroisse Sainte Famille de la Riviera 2.

Commentaires Facebook