Côte-d’Ivoire: « Je me sens Africain et fondamentalement panafricaniste » (Don Mello, interview)

« Ci-dessous quelques morceaux choisis de mon échange avec le quotidien aujourd’hui le 31 juillet à Conakry. » (Don Mello Ahoua)

« JE ME SENS AFRICAIN ET FONDAMENTALEMENT PANAFRICANISTE »

Ministre de Laurent GBAGBO, vous avez été exilé comme beaucoup d’autres. Sauf que vous avez profité de ce malheur pour
assister de nombreux chefs d’état africains et depuis quelques années, vous avez déposé vos valises en Guinée. Pourqu’elles raisons ?

ADM : J’ai une profonde passion pour la science, la technique, l’ingénierie et le développement et je vais là ou je peux vivre cette passion. L’Afrique a été vaincue par le déséquilibre scientifique et technique en faveur de l’Europe. C’est par la maitrise et le partage de ses outils que l’Afrique se libérera. Le génie scientifique africain qui a permis de créer les premières civilisations de l’humanité, a été enfoui sous les lourdes dalles de l’esclavage, la colonisation ayant éclipse la souveraineté africaine. Il ne peut s’épanouir que sous un régime débarrassé des scories de l’esclavage et de la colonisation avec son virus de complexe d’infériorité qui tétanise plusieurs pays africains. La Guinée de Sékou Touré et d’Alpha Condé offre un exemple de liberté et de souveraineté. Je n’ai pas trouvé mieux pour déposer ma valise.

Dans un pays du non à la richesse dans la soumission…

J’estime que sans le  » non » de Sékou Touré en 1958, les pays d’Afrique francophone seraient aujourd’hui des départements d’outre-mer. La Guinée de Sékou a payé le prix fort sous le Foccardisme pour avoir ouvert la voie à l’indépendance sous contrat des
pays d’Afrique francophone. Chaque Citoyen d’Afrique francophone a donc un devoir militant vis-à-vis de la Guinée.

Comment se sent-on quand on est coopté à un si haut poste de responsabilité sans être le national du pays ?

ADM : Je me sens Africain et fondamentalement panafricaniste. Il en est de même du Président Alpha Condé dont le combat a toujours eu pour but l’indépendance et l’intégration Africaine. Je suis au service de la Guinée comme j’étais hier au service de la Côte d’ivoire.

Quelles sont vos responsabilités spécifiques et quels sont vos rapports avec les membres du gouvernement ?

ADM : Je suis le Conseiller Spécial en charge des infrastructures et des grands projets. Je me mets au service des membres du gouvernement à la demande du Président de la République

Vous dénoncez souvent les manquements à l’idéologie de la démocratie dans les pays africains. Avez-vous le sentiment, avec la Guinée, d’avoir eu le meilleur terreau pour l’expérimenter en Afrique ?

ADM : C’est un pays de liberté d’opinion et d’expression et un peuple jaloux de sa liberté chèrement acquise. En tout cas, la liberté et la souveraineté ne sont pas de vains mots en Guinée.

La société guinéenne est en pleine expansion quand on découvre la capitale avec ses hôtels, ses immeubles et ses chantiers… Mais aussi ses souffrances avec une administration qui se cherche,un taux effarant de déscolarisés. A votre avis de quoi a le plus besoin la Guinée pour s’en sortir ?

ADM : La Guinée a besoin que ses meilleurs talents qui exercent encore hors de Guinée rentrent au pays pour renforcer la dynamique du développement qui est irréversible et qui se traduit par les immeubles que vous voyez, le dynamisme des secteurs de l’énergie, de l’hôtellerie, des nouvelles technologies, des infrastructures, des mines, de l’industrie et de l’agro-alimentaire.

Est-ce que, à cet égard, les prochaines échéances électorales vous inquiètent ou pourraient l’être ?

ADM : C’est un pays souverain : pas d’armée françaises qui va se substituer à la force nationale pour imposer un Président de son choix, pas de réserve monétaire détenue par une puissance coloniale prête à geler ses avoirs pour étouffer le pays, pas de port ni d’aéroport sous tutelle de l’ancienne puissance coloniale pour soumettre le pays sous embargo. La Guinée est libre et riche de sa souveraineté pour s’auto-déterminer. C’est une richesse immatérielle que le Guinéen moyen ignore et se compare toujours à ceux qui ont encore l’horizon bouché par la grande muraille de la Françafrique. Quelle que que soit l’intensité du débat, la volonté du peuple de Guinée triomphera.

Faut-il, à votre avis, sacrifier la démocratie au développement, vu que celle-ci ravive les haines et les envies de destruction systématique qui structurent la course au pouvoir en Afrique ?

ADM : La conquête de la démocratie est un procèssus qui démarre avec le multipartisme où chaque citoyen se reconnaît d’abord
comme militant de son parti et le place au dessus de la nation avec des risques de fracture nationales ou ethnique qu’exploitent souvent des partis sans idéologie ou des puissances étrangères. Cette phase de transition s’achève avec le développement de la culture démocratique qui place l’État et la nation au-dessus des intérêts partisans et ou chaque individu se reconnaît d’abord comme citoyen avant son parti ou son groupe ethnique ou religieux et fait donc des choix politiques idéologiquement orientés avec une société civile forte et indépendante qui constitue la volonté populaire. Le développement sans démocratie profite à une minorité. Par conséquent, la démocratie est l’instrument de partage de la croissance et est donc un moyen pour réaliser un développement partagé. A ne pas donc confondre avec le multipartisme qui est le chemin pavé de risques et de défauts divers avec la démocratie qui est la destination.

On pourrait aussi parler de la Côte d’Ivoire, à votre avis ?

ADM : Pourquoi pas?

Quel est le sujet qui vous saute aux yeux? Le mauvais virage amorcé par le gouvernement à travers sa décision d’imposer une CeI à sa botte lors des prochains scrutins ou le Fpi, notamment ses divisions et ses tensions ?

ADM : Les défauts du multipartisme se sont aggravés en Côte d’ivoire et dégénère l’État comme otage d’un clan. C’est un retropédalage sur le chemin de la démocratie. Un syndrome de problèmes menace la Côte d’Ivoire dont les plus visibles sont la tribalisation de l’armée, la caporalisation de la CEI et de la liste électorale. Réconcilier la Côte d’ivoire, c’est entre autres régler ces facteurs d’explosion sociopolitique par le retour de Laurent Gbagbo en Côte d’ivoire et la libération de tous les prisonniers politiques. Lors des élections de 2010, l’un des facteurs de la crise postélectorale a été l’éviction des représentants du candidat Laurent Gbagbo des bureaux de vote dans la partie nord du pays par une armée tribale. Cette armée tribale contrôle aujourd’hui la totalité du pays et caporalise l’État et est prête à répéter ses succès de 2010. L’autre facteur de crise a été la CEI qui a fait fabriquer de faux procès avéré et fait disparaître des procès-verbaux favorables à Laurent Gbagbo et proclamé par la voix de son président des faux résultats au QG du candidat Ouattara. D’autres facteurs et non des moindres: le rôle des ambassadeurs de France et des USA, la presse internationale, l’armée française ont fait le reste. A ces problèmes anciens, se sont ajoutés de nouveaux problèmes dont la tribalisation de la liste électorale et du conseil constitutionnel. Les anciens et les nouveaux facteurs de crise risquent de se conjuguer lors des élections de 2020. Régler ses problèmes reste des défis à relever pour des élections justes et transparentes.

Vous qui êtes plutôt un idéologue bien droit dans ses bottes. Comment vivez-vous cette division du parti entre GOR et Affidés, c’est-à-dire une division fondée sur la personnalité de deux individus et non pas sur des fondements idéologiques ?

ADM : Il ya un temps pour se diviser et un temps pour s’unir. L’unité est un combat. Il a fallu 6 ans à Laurent Gbagbo, entre 1982 et 1986 ,pour vaincre le sectarisme et rassembler en une union volontaire les différentes sectes politiques qui s’épuisaient en lutte fratricide et créer le Front Populaire Ivoirien. Il en faudra certainement moins pour reconstruire la gauche avec son acquittement. En l’absence du trait d’union de cette diversité ayant donné le front, le parti semble se décomposer en ses unités idéologiques de base . Le droit à la différence s’est envolé. L’acquittement de Laurent ouvre la voie pour l’union de la gauche.

Pour vous, c’est la défaite de la pensée dans le parti, l’absence de formation des militants et même des élites ou les deux ?

ADM : La crise que traverse le pays est une équation à plusieurs degrés qui n’a certainement pas une seule solution.
Chacun croit détenir la solution miracle à l’exclusion de toute autre solution. En retrouvant la démocratie interne au Parti, l’on retrouvera le chemin vers les objectifs que s’est fixé le FPI à sa création: le combat pour le droit à la différence et le débat démocratique. Le FPI doit rester le laboratoire de la démocratie ivoirienne et non le tombeau de la démocratie.

A votre avis, l’union est-elle toujours possible ? et, dans ce cas, qu’est-ce qu’il faut ou, bien au contraire, faut-il passer à autre chose ?

ADM : L’union est un long chemin. L’union, c’est aussi ce à quoi s’attèle Bédié et Gbagbo.

D’un point de vue idéologique,une telle alliance est-elle viable à votre avis ? Peut-elle tenir ? Si oui, à qu’elle condition et si non, pourquoi ?

ADM : Le FPI s’inscrit dans un processus de réconciliation nationale pour reconstruire la démocratie perdue. A ce titre, il s’est fixé pour objectif de rencontrer toutes les forces politiques et sociales pour aboutir à un consensus sur l’ensemble des problèmes pré-électoraux afin d’éviter une crise post-électorale identique à venir. Il ne s’agit donc pas d’un dialogue dans le but de chercher une unité idéologique pour conquérir le pouvoir mais de chercher une unité d’action pour conquérir des conditions d’exercice de la démocratie pour que le peuple soit libre.

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