Présidentielle 2020, le rendez-vous redouté en Côte-d’Ivoire (Papier d’analyse)

Serge Alain KOFFI

A quinze mois de la prochaine élection présidentielle en Côte d’Ivoire, les Ivoiriens retiennent leur souffle. Ils craignent que les tensions politiques actuelles liées notamment à la candidature du chef de l’Etat Alassane Ouattara et à la reforme de la Commission électorale indépendante (CEI) entrainent de nouveaux dérapages meurtriers.

Mardi, à la veille de la fête de l’Indépendance, M. Ouattara a usé à la fois de fermeté dans le ton contre les éventuels fauteurs de troubles et joué l’apaisement, lors d’une interview à la télévision d’État, pour rassurer les Ivoiriens sur cette échéance électorale.

Il a beau clamer sa “sérénité’’, assurer qu’ “il ne se passera rien en 2020’’ et que “les élections se passeront bien’’, mais il ne parvient pas à dissiper chez de nombreux ivoiriens et acteurs politiques la crainte de troubles futurs et la peur de nouvelles violences.

A sa décharge, l’enjeu que revêt cette élection aussi bien pour le pouvoir que pour l’opposition, menée jusqu’à alors par le seul Front populaire ivoirien (FPI), fondé par l’ancien chef de l’Etat Laurent Gbagbo mais ragaillardie depuis peu avec les arrivées de poids lourds : Henri Konan Bédié et son Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) et l’ex-président de l’Assemblée nationale Guillaume Soro, tous deux anciens alliés de M. Ouattara au sein de la majorité présidentielle.

Au cœur des tensions dans le débat politique, la succession d’Alassane Ouattara (77 ans) qui continue d’entretenir le mystère quant à une éventuelle candidature. L’actuel président réélu en octobre 2015, achève son deuxième et dernier mandat. Théoriquement, il ne devrait plus pouvoir se présenter. Mais lui assure avoir le droit d’être candidat en raison d’un changement de Constitution en 2016, ce que conteste l’opposition.

Autre sujet de discorde, la reforme de la Commission électorale indépendante (CEI), chargée d’organiser ce scrutin qui cristallise déjà les tensions et dont l’indépendance est contestée par l’opposition et des organisations de la société civile.

“Nous avons de sérieuses appréhensions compte tenu de ce qui s’est passé lors des récentes municipales et régionales (en octobre 2018) où il y a eu morts d’hommes (au moins 5) et trop de violences de la part de ceux qui sont au pouvoir actuellement. La tentation de la tricherie est telle que l’on peut craindre des élections calamiteuses’’, expliquait récemment Henri Konan Bédié, dans une interview publiée dans le journal Français L’opinion.

Aussi, l’histoire ne plaide pas pour la Côte d’Ivoire. Depuis 24 ans, le pays a presque toujours, dans une sorte de fatalité, connu de violents troubles à chaque élection présidentielle hormis celle de 2015.

En 1995, “le boycott actif’’ de l’opposition avait entrainé quelques dizaines de morts. Cinq ans plus tard, près de 300 morts avaient été dénombrés dans les violences qui avaient suivi la proclamation des résultats. En 2010, le scrutin s’était soldé par des violences qui avaient officiellement fait près de 3.000 morts.

Pour le scrutin présidentiel à venir, l’analyste politique Geoffroy-Julien Kouao, décèle dans le climat actuel “une absence de volonté politique pour des élections apaisées’’.

“D’abord, le désaccord entre les acteurs politiques relativement à la réforme de la CEI, ensuite, l’implosion de la coalition au pouvoir, les escalades verbales des femmes et hommes politiques et enfin la recomposition politique ivoirienne avec la probable Alliance Bédié-Gbagbo et Soro contre Ouattara sont au tant de sujets qui amènent à être objectivement sceptique pour 2020’’, analyse-t-il.

Pour lui, la Cour pénale internationale (CPI), qui a jugé pendant huit ans Laurent Gbagbo et son ex-ministre de la Jeunesse, Charles Blé Goudé, pour leur rôle dans les violences de 2010, pourrait “neutraliser l’attitude va-en- guerre des uns et des autres’’.

Au plan international, les Nations unies qui avaient déployé une force (ONUCI) entre 2004 et 2017, ne cachent pas leur inquiétude de voir la Côte d’Ivoire basculer à nouveau dans la violence.

En juin 2019, l’émissaire du secrétaire général de l’ONU pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel, le Ghanéen Mohamed Ibn Chambas, avait appelé les Ivoiriens à “redoubler d’efforts’’ pour que ce futur scrutin “soit synonyme de paix’’, à l’issue d’un entretien avec Alassane Ouattara à Abidjan.

Son appel sera-t-il entendu ? Rendez-vous en octobre 2020.

Serge Alain KOFFI

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