Lettre ouverte à Soro à propos de l’élection présidentielle et de l’élection locale (par Alafé Wakili)

Monsieur le Président du comité politique (CP), et de Générations et
Peuples Solidaires (GPS), répondant récemment à une question lors de
votre interview dite exclusive France 24-RFI, vous avez dit qu’une
élection locale est différente d’une élection présidentielle.

Cela m’a interpellé et fait réfléchir, me conduisant à partager
publiquement avec vous ces quelques idées que je soumets à votre analyse
et appréciation, espérant ainsi initier peut-être un canal de dialogue
et de discussion, en vue de faire avancer le débat public et
démocratique dans notre pays.

Bien sûr, je ne suis pas dupe du fait qu’il s’agissait, pour vous, de
réduire la portée des résultats des élections locales de 2018, dans
notre pays. En réalité, vous êtes parfaitement conscient des enjeux des
élections locales, et du lien, de l’impact et des interactions entre
tous les types d’élections.

Monsieur le Président du Comité politique, dans la forme vous avez
raison : une élection municipale est bien une élection municipale, elle
n’est pas une élection présidentielle, et vice versa.

Cependant dans le fond, je ne vois pas de différence absolue, même si je
ne permets pas de dire que vous n’avez pas raison dans le fond.

Je partirai d’une anecdote. Discutant avec l’un des chroniqueurs de
L’Intelligent d’Abidjan qui, à l’époque, était Conseiller du Président
du Conseil Économique , Social et Environnemental de France (CESE) , il
m’avait dit : « Si vous venez au CESE, quand vous croiserez une
personne, vous lui donnerez du « Bonjour, Monsieur le Président », car,
ici, tous les membres du CESE sont « Présidents de quelques chose, un
syndicat ouvrier, patronal, une association familiale, une association
de pécheurs ou de chasseurs, de locataires, etc. »

Ces propos, amusants certes, sont en réalité plus sérieux qu’il n’y
paraît, car ils mettent en évidence le nombre important d’individus qui,
dans une société, se soumettent à un processus électoral.

L’élection présidentielle est « la mère des élections » par sa dimension
unique, voire sacrée. En réalité un candidat à l’élection présidentielle
ne se caractérise-t-il pas essentiellement par son ancrage et par
l’adhésion des populations, des électeurs, comme un candidat à une
élection municipale, ou régionale, se caractérise également par son
ancrage dans la commune ou la région ?

Certes, l’élection présidentielle n’est pas une élection locale,
toutefois, qu’elle soit présidentielle ou locale, toute élection est
toujours une rencontre directe entre, d’une part, un individu, une
personne physique , le ou la candidate, et, d’autre part, un électorat,
tout le peuple , ou une partie du peuple, d’un pays, d’une commune,
d’une région, d’un territoire administratif national.

On retrouve cette logique de la rencontre entre un candidat et des
électeurs, au-delà des communes, des régions et des pays, dans la vie
associative, syndicale.

Que ce soit pour la présidence d’une association, d’un club de sport ou
d’une fédération quelconque , l’élection est une adhésion à un porteur
de projet, c’est une rencontre, une fusion entre le candidat et les
électeurs.

Celui qui veut être le représentant des journalistes, des médecins,
transporteurs , des enseignants, s’inscrit dans un processus électoral
dont les modalités sont identiques pour tout type d’élection : ancrage,
fusion avec les électeurs (peuple), adhésion à un projet.

Prenons l’exemple des élections locales ou régionales. Un maire occupe,
dans une commune, le poste suprême ; il en est de même pour le président
d’une région qui accède à la plus haute responsabilité. La différence
avec l’élection présidentielle est une différence de taille du
territoire et du nombre d’électeurs concernés. Cependant , sur le fond
comme dans la forme, une élection locale obéit aux mêmes mouvements
d’adhésion ou de rejet d’un candidat, qu’une élection présidentielle.

Monsieur le Président du comité politique, et du GPS ( bravo d’avoir
pensé à cette jolie abréviation qui nous ramène au GPS satellite , et
oblige à se familiariser avec le nom de votre mouvement qui nous l’avons
bien compris n’est pas un parti politique, là encore difficile de faire
une grande différence entre un mouvement politique qui recueille des
adhérents, pour la conquête du pouvoir politique, et un parti politique
qui a les mêmes objectifs- je reviendrai sur cet autre aspect si vous le
permettez ), il me semble difficile de soutenir durablement que
l’élection présidentielle est un mode électoral totalement différent,
pour justifier qu’il ne faut pas tenir compte des résultats des
élections locales.

Choisir cette option, n’est-ce pas tenter de nier deux choses : 1) le
poids et l’influence des leaders locaux et régionaux dans une campagne
électorale 2) la configuration « ethnique », ou particulière
(spécifique) d’un espace électoral.

On sait comment vote telle ou telle région, telle ou telle commune, d’où
l’importance de bien connaître la carte électorale. Dans un parti
politique, le spécialiste de la carte électorale est, peut-être, le
personnage le plus important.

Il peut y avoir quelques fois des surprises avec des candidats
indépendants qui remportent une élection ou comme, en France, un
candidat comme Macron, venu de nulle part, élu président de la
République sans le soutien d’un grand parti politique, mais on voit bien
qu’il y’a des leaders locaux et régionaux qui adhèrent à la marche pour
la victoire.

Lorsqu’un candidat remporte une élection présidentielle, cela se traduit
et se décline au niveau local, par une majorité de députés et d’élus
communaux et régionaux qui se réclament du vainqueur.

La question de l’antériorité (l’éternelle question de qui précède
l’autre entre la poule et l’œuf) se posera toujours : qui a fait élire
qui ? Le président élu l’a-t-il été grâce à l’ancrage électoral de ceux
qui l’ont soutenu et ont fait campagne pour lui sur leur terre
électorale ou bien les élus locaux (maires, présidents de
collectivités, députés) l’ont-ils été parce qu’ils portaient l’étiquette
présidentielle ?

En 2018, en Côte d’Ivoire, les partis politiques ont voulu mesurer leur
implantation et leur influence. Le PDCI et le RDR, des indépendants sans
étiquettes et des indépendants proches de vous, en utilisant votre nom,
votre caution et votre adhésion, étaient dans la course.

En 2020, les élus locaux de 2018 s’engageront pour que ce soit le
candidat de leur parti, ou de leur camp, qui remporte l’élection
présidentielle. Chacun mise sur un candidat avec le risque, si c’est
l’autre candidat qui l’emporte, de subir une défaite lors des prochaines
élections locales.

Après une élection présidentielle, les élections locales se jouent sur
deux arguments qui s’opposent : le président élu demande aux électeurs
de lui donner une majorité parlementaire, et des relais dans les
exécutifs locaux afin d’appliquer le programme sur lequel il a été élu ;
les autres partis politiques avancent l’argument du rééquilibrage
politique, car un seul parti politique et ses alliés ne peuvent
disposer de tous les pouvoirs sans mettre en danger la démocratie.

On comprend alors que toute élection est en réalité une élection
présidentielle en miniature, ou qu’à travers chaque élection se joue et
se dessine l’élection présidentielle à venir, ce qui me fait dire que
toutes les élections se valent et qu’il ne faut en négliger ou banaliser
aucune. Ne dit-on pas couramment chez nous, qu’il n’y a pas de petite
élection ? Nous en avons eu récemment une idée avec l’élection du
président des journalistes de Côte d’Ivoire. Nous en aurons sans doute
un autre exemple avec l’élection à la Fédération ivoirienne de football
! Même les élections passées dans des Fédérations d’autres sports (
athlétisme, basket , boxe ), ont donné lieu par le passé à des joutes
dignes d’une mini présidentielle. N’oublions les élections à la chambre
de commerce et d’industrie qui est une élection à caractère national,
même si ce n’est pas au suffrage universel direct.

L’élection présidentielle n’est pas une élection à part, déconnectée des
réalités électorales locales, ou régionales, ordinaires au motif qu’elle
est nationale, au niveau du suffrage universel.

Par ailleurs, un président de la République, même s’il est bien le
président d’une nation et de tout le peuple, n’en n’est pas moins
d’abord le candidat d’une famille politique, d’un seul camp, d’une seule
partie du peuple, d’un groupe politique particulier et non de tout le
peuple , d’un mouvement qui cherche ensuite à rassembler le plus grand
nombre d’électeurs, afin d’être en capacité de gouverner. La notion de
candidat du peuple , au dessus des partis politiques et des mouvements ,
du candidat qui transcende les divisions, ne tient que si l’on gagne dès
le premier tour, à l’unanimité et non à une majorité classique.

Aucun parti ne gouvernant seul, et aucun candidat ne gagnant seul, le
parti, ou le candidat à l’élection présidentielle , est obligé est
obligé de passer par un jeu d’alliances et de ralliements, s’il y’a deux
tours.

À ce stade de ralliement, l’adhésion est moins spontanée en faveur de la
personne élue. Elle est d’abord adhésion à d’autres candidats, ou à des
partis politiques tombés au premier tour, qui appellent ensuite à voter
le candidat allié au second tour. Néanmoins le lien direct entre le
candidat et cette partie du peuple, n’est pas direct , puisque le
Président élu n’a pas été le choix du second tour, le premier choix des
électeurs ralliés. Cela atténue l’idée de l’homme providentiel, en lien
direct avec le peuple, car il y’a toujours des partis politiques, des
leaders et autres intermédiaires, entre le candidat et le peuple des
électeurs , pas tout le peuple.

D’ailleurs sur 6,4 millions d’électeurs pour 22 millions d’habitants,
avec un président pouvant élu avec deux millions de voix , selon le taux
de participation, sans aucun chiffre obligatoire à atteindre, ne faut-il
pas relativiser cette adhésion du peuple dans sa perception mythique et
même mystique, à un candidat présidentiel.

L’idée de la présidentielle qui se définirait comme une rencontre d’un
candidat providentiel avec le peuple, qui se promène dans la
stratosphère des idées, ne correspond pas toujours aux réalités
électorales, encore moins à l’arithmétique politicienne, aux effets de
l’usure du pouvoir pour un gouvernement ou du discrédit dont peuvent
souffrir certains candidats.

Les effets du suffrage universel ne correspondent pas à tous les espoirs
mis en lui par un grand nombre d’électeurs, d’où le nombre important
d’abstentions et le discrédit de plus en plus grand de la parole
politique, sans oublier que vous-même vous avez dit au cours de la même
interview, que les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Cela
signifie que les promesses n’engagent pas ceux qui les font. Vous
invitez le peuple à se méfier de la parole politique en général, sauf
la vôtre peut-être !

Croyez-moi, Monsieur le Président du comité politique, l’élection
présidentielle est une élection comme les autres.

Voilà, Monsieur le Président du comité politique, ces quelques idées
que je voulais partager avec vous, en espérant n’avoir pas dit des mots
ou expressions pouvant vous vexer !

Si tel était le cas, je vous prie de m’en excuser , et je vous assure
hinc et nunc, de meilleurs efforts pour qu’il n’en soit plus ainsi dans
d’éventuels autres lettres, que je pourrais vous adresser, dans le cadre
de ce débat public et républicain que j’initie avec vous, et que je
compte ouvrir à d’autres acteurs politiques de notre pays !

Fraternellement !

Wakili Alafé, journaliste et écrivain

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3 réflexions au sujet de “Lettre ouverte à Soro à propos de l’élection présidentielle et de l’élection locale (par Alafé Wakili)”

  1. DE LA LÉGITIMITÉ POPULAIRE, SOURCE INCONTESTABLE DE TOUS LES DROITS DU PRÉSIDENT
    =================================

    La Vème République à la différence des IIIe et IVe République françaises, oû le Président était désigné par le Parlement, instaure désormais l’élection du premier Magistrat de l’état au suffrage universel direct.

    Grâce à cette innovation majeure, le citoyen de Toulobly près du Cavally peut élire le Président au même titre que le fonctionnaire du Plateau. Sans cette mutation dans la constitution on en serait encore peut être à une élection présidentielle oû les chefs de canton seuls voteraient peut être !

    Cette réforme qui date de 1962, permet au Président Charles De Gaulle qui la fit voter de tonner de sa voix de stentor que
    « ….L’élection présidentielle, c’est la rencontre d’un homme et d’un pays, d’un homme et d’un peuple…. »

    Bien sûr, Soro n’est pas obligé de citer De Gaulle quand il reprend cette affirmation… Le Général depuis sa tombe, en a vu d’autres affabulateurs plus coriaces…

    C’est cette assertion qui permet soit dit en passant à certains candidats de refuser de participer à des primaires organisées au sein de leur formation politique et de briguer DIRECTEMENT la magistrature suprême en faisant donc preuve d’indiscipline en tant que militant. Les « sans parti »… Cette témérité du reste a porté bonheur à des hommes politiques… qui ont bénéficié du poids des électeurs de formations d’obédience opposée.

    On peut la résumer prosaïquement ainsi :  » Allons sur le terrain. Kouma Tchaman magni ! ». La sanction populaire est imparable et sans appel. On saura qui a 5% ou 53% ..au premier tour. L’affaire serait dans le sac !

    Pour une analyse plus fouillée de cette question, je vous renvoie à l’étude savante du Professeur Ismaïla Madior Fall, ancien Ministre de la Justice et Garde des Sceaux du Sénégal
    « Quelques réserves sur l’élection du président de la République au suffrage universel : Les tabous de la désignation démocratique des gouvernants » Cette étude figure sur le Portail de CAIRN « Afrique contemporaine 2012/2 (n° 242), pages 99 à 113 ».

    Il en a d’autres…

    Bonne exploitation !

  2. Le professeur Ismael Madior Fall dès 2012, dans l’article cité dans mon précédent post, émet des réserves sur cette porte largement ouverte …

    Pour cet éminent professeur de droit constitutionnel, Ismaila Madior Fall, il faut « assainir la démocratie » et prévenir une éventuelle inflation du nombre de candidats à la présidentielle….

    IL SERA NOMME PLUS TARD MINISTRE DE LA JUSTICE….ET IL DEVIENDRA LE PERE DE LA LOI SUR LE PARRAINAGE DANS LES ÉLECTIONS AU SÉNÉGAL.

    Cette loi a plusieurs articles… Vous connaissez les juristes. Comme des guérisseurs africains qui cachent bien leurs secrets dans la posologie de leurs remèdes… Beaucoup de fausses herbes pour UNE SEULE qui est en réalité le remède…

    La loi sur le parrainage que j’ai lu imposé entre autres à tous les candidats que :

    1. Pour être recevable, toute candidature doit être accompagnée de la signature d’électeurs représentant, au minimum, 0,8% et, au maximum, 1 % du fichier électoral général.

    2. Ces électeurs doivent être domiciliés dans au moins sept régions à raison de deux mille au moins par région.

    3. Un électeur ne peut parrainer qu’un (01) candidat

    CONCRÈTEMENT CELA VOUDRAIT QUE POUR QUE UN FARFELU SOIT CANDIDAT IL DOIT APPORTER LA PREUVE QU’IL EST SOUTENU PAR AUTANT DE CITOYENS QUE LE NOMBRE IMPOSE DANS AUTANT DE REGIONS QUE PREVOIT LA LOI…

    C’est toujours la rencontre d’un homme et du peuple non ???

    Techniquement ça donne beaucoup de surprises et d’amères purges éliminatoires AVANT LA GRANDE ÉLECTION ! Un tri préliminaire sans pitié…

    Et cela économise un peu d’argent à L’ETAT en réduisant le temps du vote.

  3. LA LOI SUR LE PARRAINAGE AU SÉNÉGAL (SUITE)

    De manière pratique… sur la base d’un électorat de 6 500 000 électeurs :

    1. Il est demandé à chaque candidat de fournir au minimum 0,8% et 1% au maximum du fichier électoral général soit de collecter : 6.500.000 * 0,008 = 52.000 électeurs au minimum (sans doublons de noms !) …. Et un maximum dd 6.500.000 * 0,01 = 65.000 électeurs !

    2 -La collecte des parrains se fait au moins dans 7 régions et dans chaque région, donc choisir au minimum 2000 personnes électeurs qui veulent parrainer…

    Ouffffff !!!!

    Réfléchissons à son application en Côte d’Ivoire….. Cela nous évitera des candidats qui prennent 100 millions et disparaissent…des candidats qui ne peuvent battre campagne au-delà de Dabou et se contentent régulièrement dd tourner en rond entre la place CP1 ou Ficayo de Yopougon et la place InchAllah à Koumassi.

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