La Françafrique vit-elle ses derniers moments ?

Je voudrais revenir sur une partie du discours prononcé par Emmanuel Macron au sommet de l’OTAN à Londres, le 4 décembre 2019. Qu’est-ce qu’en pense un Africain comme moi qui ne porte pas la Françafrique dans son cœur ? Par “Françafrique”, il faut entendre “les relations bilatérales incestueuses entre certains chefs d’État africains et le chef de l’État français, relations qui présentent de multiples facettes : le soutien ou la tolérance vis-à-vis de régimes politiques dictatoriaux, parfois installés par le gouvernement français lui-même, malgré le rejet de la majorité des habitants ; les circuits mafieux d’argent ; le déni de l’Histoire; des politiques de solidarité qui s’effritent ; des interventions militaires improvisées et l’absence totale de respect des peuples africains et de leurs dirigeants” (Kofi Yamgnane, Afrique. Introuvable démocratie, Paris, Éditions Dialogue, 2013).

Commençons par rappeler la déclaration de Macron. Si je l’ai bien comprise et si je devais la résumer, je dirais ceci : D’abord, le président français constate que l’opération Barkhane, lancée dans la zone sahélo-saharienne le 1er août 2014, est de plus en plus critiquée par les populations africaines alors que, selon lui, la France est dans cette zone pour lutter contre le terrorisme et que plusieurs de ses soldats y ont déjà perdu la vie. Ensuite, il se demande si les 5 chefs d’État africains (Mahamadou Issoufou, Roch Kaboré, Idriss Déby, Ibrahim Boubacar Keïta et Mohamed Ould Ghazouani) ont vraiment besoin de Barkhane. Enfin, il affirme attendre de ses homologues africains “qu’ils clarifient et qu’ils formalisent leurs demandes à l’égard de la France et de la communauté internationale” parce qu’il “ne peut ni ne veut avoir des soldats français sur quelque sol du Sahel que ce soit alors même que l’ambiguïté persiste à l’égard de mouvements anti-français parfois portés par des responsables politiques”.

L’ambiguïté qu’évoque Macron ne persiste que dans le camp français, à mon humble avis, car, quand la France de Charles de Gaulle intervenait au Nigeria, via le Gabon et la Côte d’Ivoire (1967-1970), ce n’était pas pour mettre fin à la guerre civile mais pour piller le pétrole découvert au Biafra. La France avait besoin de ce petrole puisqu’elle ne pouvait plus avoir accès au pétrole algérien apres l’indépendance de l’Algérie arrachée de haute lutte en 1962.

En Côte d’Ivoire (2002-2011), en plus d’exploiter illégalement l’or et le diamant, certains soldats de Licorne furent arrêtés avec des billets de banque issus du casse de la BCEAO. Le chien ne changeant pas sa manière de s’asseoir, les Africains sont fondés à croire, n’en déplaise à Vincent Hugeux jamais en panne de délires et de mensonges, que la France n’est pas au Sahel pour lutter contre le terrorisme mais pour y voler l’or, l’uranium et le pétrole. Car 60 ans de coups tordus et de crimes nous ont ont assez prouvé que ce pays n’a jamais aidé l’Afrique francophone, sinon celle-ci ne serait pas moins développée et moins stable que les ex-colonies de la Grande Bretagne.

La duplicité et les paroles mielleuses de la classe dirigeante française (droite et gauche confondues) ne passent plus. Au lieu de faire expulser Kemi Seba de Dakar ou Nathalie Yamb d’Abidjan, au lieu de vouloir museler les Africains qui osent dénoncer ses crimes en Afrique, au lieu de convoquer à Pau ses sous-préfets, qui ne brillent que par l’aplaventrisme et la lâcheté, l’ex-puissance coloniale devrait commencer à faire ses bagages car la jeunesse africaine, consciente et debout, est déterminée à l’affronter et à la déloger.

L’ambiguïté se trouve du côté de la France car comment est-il possible que, malgré les drones et autres moyens de renseignement que possède Barkhane, malgré ses armes et avions de combat, des militaires et civils maliens, nigériens et burkinabè soient régulièrement tués ? Point n’est besoin d’avoir fait HEC ou Sciences po pour comprendre ici que soit la force Barkhane est inefficace, soit elle est de mèche avec les terroristes. Or une armée qui est incompétente et/ou complice de tueurs sans foi ni loi n’a pas vocation à rester dans les pays qu’elle est censée épauler. Il ne lui reste plus qu’à plier bagage. Cela, tout homme sensé devrait le comprendre et l’admettre au lieu de parler de sentiment anti-français.

L’échec de Barkhane illustre tout simplement le fiasco de la politique de la France dans ses ex-colonies. Le Mali, le Burkina et le Niger devraient faire appel au Cameroun et au Tchad qui n’ont pas eu besoin de l’aide de l’armée française pour combattre et vaincre Boko Haram. Soutenus par leurs populations, les présidents malien, nigérien et burkinabè devraient demander purement et simplement le départ de Barkhane comme Charles de Gaulle exigea et obtint l’évacuation des troupes américaines, le 7 mars 1966.
Macron aurait reporté sa rencontre à Pau avec les présidents du G5 Sahel à une date ultérieure. Comment le président français peut-il convoquer chez lui des personnes qui pourraient avoir l’âge de son père ? Je ne suis pas certain que Thomas Sankara, homme libre et digne, se serait rendu dans la ville française car répondre à la convocation d’un président français aurait signifié, pour lui, aller à Canossa et légitimer du coup le nécolonialisme et le paternalisme de la France. L’enfant de Yako serait resté à Ouaga, parce qu’il croyait dur comme fer qu’il ne faut jamais se rendre, quelles que soient l’adversité et les difficultés du combat. En un mot, Sankara aurait ignoré cette humiliante convocation parce qu’il avait compris très tôt que l’homme a toujours le choix entre la liberté et la vassalité.

De mon point de vue, il n’y a rien à discuter ou à clarifier avec un pays qui, au fil des années, s’est montré incompétent et nuisible. On devrait plutôt lui dire qu’il est devenu indésirable en Afrique. Car, chaque fois que ses dirigeants ont été sur le point de perdre la partie, chaque fois qu’ils ont eu besoin de rebondir et de regagner la confiance du peuple français, ils n’ont pas hésité à sacrifier leurs propres soldats et à faire porter le chapeau à des innocents. L’innocent, dans la mort des neuf soldats français de Bouaké, le 6 novembre 2004, était bel et bien Laurent Gbagbo dont l’armée avait complètement défait la rébellion que soutenait le gouvernement français et qui avait coupé le pays en deux. Le président ivoirien fut injustement accusé d’avoir ordonné le bombardement du camp militaire français. Il n’y eut ni enquête sur ce drame ni arrestation des pilotes biélorusses de la part du gouvernement français et cela ne choqua personne en France, sauf Maître Jean Balan, avocat des familles des victimes. Tout se passa comme s’il suffisait aux Français de savoir que leur gouvernement avait vengé la mort de leurs compatriotes et donné une raclée à ce Laurent Gbagbo décrit par les petits journalistes français comme quelqu’un qui déteste les Français, ce qui est loin d’être vrai.

Après que la Turquie d’Erdogan, l’Italie de Luigi di Maio et Matteo Salvini et le Brésil de Bolsonaro ont ridiculisé la France en lui rappelant que c’est un pays colon, voleur et parasite, force est de reconnaître que l’image de la « patrie des droits de l’homme » est bien écornée et que plus personne ne prend ce pays au sérieux.

Il existe un lien entre les Français sacrifiés par Jacques Chirac à Bouaké pour donner aux Français l’illusion que leur pays est une puissance et la mort des 13 militaires français au Mali, le 25 novembre 2019 parce que c’est le même cynisme et la même manipulation qui sont à l’œuvre de part et d’autre.

Discrédités à l’intérieur, Macron et sa clique pourraient bien avoir fait au Mali ce que Chirac fit en Côte d’Ivoire en 2004 pour détourner la colère du peuple français. Mais parviendront-ils à calmer ce peuple qui a pris la rue depuis le 5 décembre et réussiront-ils en même temps à juguler le sentiment contre le néocolonialsime français qui ne cesse de monter en Afrique francophone ?

Jean-Claude DJEREKE

Photo: AFP / Ludovic Marin/Le 20 décembre, Emmanuel Macron partagera un dîner de Noël avec les Forces Françaises en Côte d’Ivoire (FFCI), basées au camp de Port-Bouët, voisin de l’aéroport d’Abidjan, la capitale. Crédit : AFP / Ludovic Marin

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