La Côte-d’Ivoire, entre menace terroriste et spectre électoral

Geoffroy-Julien Kouao

Défi sécuritaire

En 2020, la Côte d’Ivoire doit relever un double défi sécuritaire et politique. Sur le plan sécuritaire, la menace terroriste doit être prise au sérieux. Notre pays n’est pas une cible potentielle, il est une cible réelle. L’attentat du 13 mars 2016 à Grand-Bassam l’illustre bien. Le gouvernement doit donc renforcer sa lutte préventive contre les mouvements jihadistes qui sévissent au Mali et au Burkina Faso, deux États voisins. En effet, nous partageons 1116 km de frontière avec ces deux pays du sahel fragilisés par la recrudescence des attaques terroristes.

Les attentats sont quasi quotidiens chez nos voisins septentrionaux. Quatre régions administratives ivoiriennes à savoir le Folon, la Bagoué, le Tchologo, et le Boukani sont géographiquement proches du pays des hommes intègres et du Mali. C’est environ 55 000 km2, soit 20% du territoire national et 1,2 millions d’habitants soit 5% de la population nationale qui sont directement menacés par la multitude de mouvements jihadistes qui pullulent dans le Sahel.

Notre pays n’est pas une cible potentielle, il est une cible réelle

Sur le plan militaire, les autorités d’Abidjan ont pris de bonnes décisions. En envoyant nos soldats au Mali dans le cadre multilatéral de la lutte contre le terrorisme, la Côte d’Ivoire mène une politique préventive salutaire. Les mesures sécuritaires aux frontières sont renforcées. C’est bien, mais la réponse au terrorisme islamique n’est pas que militaire. Dans les quatre régions par moi citées, la population est majoritairement de confession musulmane.

C’est vrai, en Côte d’Ivoire, nous pratiquons un islam modéré avec à sa tête des autorités extrêmement sages qui savent allier raison et foi. Cependant, il faut rester vigilant et éviter que les fondamentalistes musulmans, adeptes de l’islam politique infiltrent nos mosquées. Il est nécessaire de renforcer davantage la formation des imams et des responsables religieux dans le septentrion ivoirien. Par ailleurs, comme on le constate au Nigeria avec Boko Haram et au Mali avec les mouvements affiliés à l’État islamique et à Al-Qaïda, les terroristes savent habilement exploiter les vulnérabilités sociales et économiques.

Les régions du Nord restent, nonobstant les efforts des pouvoirs publics, socialement démunies. Le taux de scolarisation reste faible. Il varie entre 43% et 53% sur l’arc allant de Minignan à Bouna, alors qu’il est de 91% au niveau national. L’accès des populations aux soins de santé, à l’électricité et à l’eau reste faible, en deçà des 61% et 60% au niveau national respectivement pour le courant et l’eau potable.

Les activités économiques génératrices de revenus sont insuffisantes, bref, la paupérisation est une réalité dans le Nord ivoirien. C’est une lapalissade, la pauvreté et l’ignorance rendent les populations vulnérables. L’État fait des efforts pour éradiquer la pauvreté et l’analphabétisme en Côte d’Ivoire, il doit continuer cette politique de façon exceptionnelle pour ces quatre régions du Nord pour que les populations sentent davantage sa présence, ce qui pourrait renforcer leur patriotisme et rester autistes aux discours séducteurs des islamistes.

C’est une lapalissade, la pauvreté et l’ignorance rendent les populations vulnérables

En sus, ces régions sont souvent confrontées aux conflits entre éleveurs et cultivateurs. L’Etat doit renforcer les mécanismes de prévention de ce type de conflits qu’aiment exploiter les islamistes pour atteindre leurs objectifs mortifères. Au Mali, les mouvements jihadistes ont réussi à opposer les Peuls et les Dogons et profiter des divisions communautaires pour asseoir leur hégémonie dans le centre du pays.

Enfin, il faut souhaiter que les rivalités politiques au niveau national n’impactent pas négativement la cohésion sociale, parce que là où il y a division, absence de solidarité communautaire, les mouvements terroristes prospèrent. Ce défi sécuritaire, la Côte d’Ivoire peut le relever comme elle a su faire face à la menace de l’épidémie Ebola. Sa brillante gestion préventive contre la maladie hémorragique entre 2016 et 2017 avec le remarquable cordon sanitaire qui a empêché Ebola de traverser les 1300 km de frontière que nous partageons avec le Liberia et la Guinée, plaident en sa faveur.

Défi politique

Au niveau politique, le défi majeur est l’organisation de l’élection du président de la République en octobre 2020. A dix mois de ce scrutin, les Ivoiriens restent sceptiques, voire pessimistes. L’actualité politique y est pour beaucoup. La réforme du cadre institutionnel des élections, en 2019, n’a rassuré personne. En effet, les politiques, sur la réforme de la Commission électorale indépendante (CEI), se sont séparés en queue de poisson. Certes, nous avons une nouvelle CEI, mais avec l’absence au sein de la commission centrale d’une partie importante voire la plus significative de l’opposition politique. C’est dans ce contexte que s’ouvrent les négociations pour la réforme du cadre juridique des élections.

Dans son traditionnel discours à la nation du 31 décembre 2019, le Chef de l’Etat a annoncé la prochaine révision de la constitution et du code électoral. Comme d’habitude, les premières rencontres entre les acteurs politiques se sont soldées par de larges sourires, de chaudes poignées de mains et des accolades théâtrales, voire comiques. De beaux clichés pour les médias, mais personne n’est dupe. Nos hommes et femmes politiques restent ce qu’ils ont toujours été, jamais d’accord sur l’essentiel. La société civile aussi. Ce qui est remarquable, c’est l’absence des intellectuels à ces tables de négociation. Et pourtant, le débat républicain repose sur le trépied: classe politique, société civile et communauté intellectuelle. Pourquoi le gouvernement n’invite pas les professionnels de la pensée et de la réflexion aux débats républicains alors qu’ils sont facilement identifiables et joignables?

Nos hommes et femmes politiques restent ce qu’ils ont toujours été, jamais d’accord sur l’essentiel

Je pense pour ma part que la réforme constitutionnelle et celle du code électoral doivent renforcer les acquis démocratiques et favoriser des élections ouvertes et transparentes. Pour être précis, je voudrais prendre deux points: l’âge d’éligibilité et le cautionnement. Relativement à l’éligibilité, l’âge minimum, à mon avis, doit coïncider avec l’âge de la majorité électorale, c’est-à-dire 18 ans. Comment comprendre ou expliquer que celui qui a la capacité de choisir ne l’ait pas pour diriger ou gouverner?

En sus, il faut éviter de limiter l’âge maximum pour donner au scrutin son caractère démocratique et même libéral. Quant à la caution, je ne cesse d’écrire qu’il est contraire au suffrage universel consacré par l’article 52 de la constitution. Le dépôt d’une caution, sauf à renoncer à l’État de droit, est anticonstitutionnel (aucun constitutionnaliste sérieux ne peut dire le contraire). En lieu et place, il faut instaurer le parrainage, source par excellence de légitimité. Attention ! Pas pour l’élection présidentielle d’octobre 2020, mais après.

Il faut instaurer le parrainage, source par excellence de légitimité. Attention ! Pas pour l’élection présidentielle d’octobre 2020, mais après

La Côte d’Ivoire a les moyens humains pour organiser des élections apaisées en 2020 et la volonté politique affichée par le gouvernement pour y arriver est à saluer. Je voudrais, pour terminer cette contribution, faire une proposition. Que les initiateurs de la réforme constitutionnelle réintroduisent la disposition de la constitution de 2000 qui interdisait au président de la République d’être chef de parti politique. Le fait que le Chef de l’État soit le chef d’un parti politique fragilise la fonction présidentielle. En effet, selon l’article 54 de la constitution, le président de la République incarne l’unité nationale. Comment peut-il valablement incarner l’unité nationale s’il est le chef d’un camp politique?

Source photo : hrw.org

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