Criminalité transfrontalière et jihadisme: La zone frontalière Côte-d’Ivoire/Burkina placée « rouge »

Côte d’Ivoire: au Nord, du banditisme au jihadisme

Pascal Airault Pascal Airault
26 Janvier 2020
dans lopinion.fr

« Il y a une volonté de pénétration de la katiba Macina dans cette région poreuse à la frontière du Burkina Faso », assure un diplomate français

En fin d’année dernière, la France a placé en zone rouge, formellement déconseillée aux voyageurs, la région frontalière entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso en raison de la menace terroriste. Les armées de ces deux pays ont renforcé la sécurité dans la zone pour ne pas laisser s’installer de nouveaux foyers jihadistes.

Samedi, le poste de Yendéré, proche de la frontière, a été attaqué pour la seconde fois en dix mois, sans faire de victime.

Dans le village d’Alidougou, les habitants ont été réveillés au son du canon, le 4 janvier. L’armée burkinabè a mené un raid aérien et terrestre dont l’objectif était, selon l’Etat-major, d’anéantir une cellule terroriste repliée dans une zone forestière attenante. Cette opération menée au sud-ouest du Burkina Faso, à moins de 10 km de la Côte d’Ivoire, a suscité le mécontentement des autorités à Abidjan, non informées, qui ont mis leurs troupes en alerte le long de la frontière.

Les choses semblent rentrées dans l’ordre après le déplacement à Ouagadougou du chef d’Etat-major général de l’armée ivoirienne, Lassina Doumbia, cinq jours plus tard. Les deux pays ont annoncé leur volonté de relancer la coopération dans la lutte contre le terrorisme. Des opérations militaires conjointes ont eu lieu en 2018. Elles doivent être relancées.

« Il y a une volonté de pénétration de la katiba Macina [groupe djihadiste né au Mali] dans cette région frontalière du Burkina Faso et de la Côte d’Ivoire où les terroristes profitent de la porosité pour passer d’un côté à l’autre des frontières, explique un diplomate français. Si on ne fait rien, cette région échappera à tout contrôle, comme le nord du Burkina, d’ici dix-huit mois. »

En décembre, le gouvernement français a décrété la zone frontalière avec le Burkina Faso en zone rouge sur sa carte de conseil aux voyageurs. En raison du risque terroriste et d’enlèvement, il déconseille formellement à ses ressortissants de se rendre dans le nord ivoirien, dans les districts des Zanzan et des Savanes, ainsi que dans le parc national de la Comoé, un peu plus au sud à la frontière du Ghana.

« Il existe des mouvements frontaliers, reconnaît un responsable du renseignement ivoirien. Mais nous n’avons pas encore de preuves de tentatives de recrutement des groupes jihadistes sur notre territoire ». Les premiers passages de jihadistes au nord de la Côte d’Ivoire ont été signalés en 2015 lors de la perpétuation d’attentats, réalisés du côté malien de la frontière. « Il y a une menace islamiste dans la région, confie le général Bruno Clément-Bollée, ancien commandant des Forces françaises en Côte d’Ivoire. D’ailleurs, les autorités avaient interdit la construction de nouvelles mosquées en 2016 dans cette partie du nord ivoirien ».

Banditisme ou jihadisme. Ces régions du nord, où se trouvent des forêts, ne sont pas réputées sûres. Les coupeurs de route et bandits de grands chemins y sévissent depuis longtemps. Les collusions sont nombreuses entre les uns et les autres sur des routes fréquentées par les orpailleurs clandestins, les braconniers, les trafiquants…

Plusieurs postes de douane et de police ont été attaqués ces derniers mois. « Ces attaques se déroulent sur les routes empruntées par les trafiquants pour l’acheminement de la drogue et des produits de contrebande comme les cigarettes, ajoute le responsable ivoirien. Leurs auteurs cherchent à chasser les représentants de l’autorité étatique. »

Pour les analystes, le nord ivoirien est en train de vivre une phase de transition. « Les criminels cherchent à s’approprier la zone, ajoute le responsable. On a repéré des contacts entre eux et des jihadistes du Front de libération du Macina (FLM) au Mali qui jouent sur les antagonismes ethniques et les conflits existants (différend foncier, vol de bétail) dans la région pour instrumentaliser les conflits communautaires. Mais le jihadisme est largement utilisé comme paravent pour les activités illicites, même s’il existe quelques idéologues qui ont un projet politique. »

Le dossier du nord ivoirien est revenu plusieurs fois dans les réunions du Conseil national de sécurité présidé par le chef de l’Etat, Alassane Ouattara. Les autorités ont déployé à la frontière le bataillon de sécurisation du nord-est, plus de 500 hommes basés à Bouna, et les forces spéciales ivoiriennes.

Un travail de renseignement humain et technique ainsi que d’analyse est en cours. Il est confié aux agents de la Direction des services extérieurs (DES). Les écoutes de téléphones mobiles sont, quant à elles, réalisées par la Direction de l’informatique et des traces technologiques (DITT) de la police scientifique. Les responsables des services de sécurité ivoiriens bénéficient d’un appui français et américain. Ils échangent aussi avec leurs homologues des pays voisins, notamment l’Agence nationale de renseignement (ANR, Burkina Faso) même si une certaine méfiance reste de mise.

Du côté burkinabè, on suspecte des éléments de l’ancien régime de Blaise Compaoré – en exil à Abidjan – d’être responsable du délitement de la situation à la frontière pour affaiblir le président Kaboré. Une version contestée du côté ivoirien.

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