Lettre politique de Laurent Joffrin: L’élégant Castaner

Le niveau monte… On espérait des politiques une retenue et une prudence verbale proportionnelles au flot d’indignation qui a suivi la diffusion du «revenge porn» fatal à Benjamin Griveaux. La classe politique avait condamné – à juste titre – la méthode indigne utilisée contre le candidat d’En marche à Paris.

Arrive Christophe Castaner et sa légendaire subtilité. Voulant répondre à Olivier Faure qui avait critiqué l’imprudence de Griveaux, le ministre de l’Intérieur, avec de lourds souliers à clous, a laissé entendre qu’il en savait beaucoup sur les divorces du Premier secrétaire du PS (dont le public, fort heureusement, se moque comme de sa première capture vidéo).

On aura compris que la réplique se situe aux antipodes de l’élégance. Elle est de surcroît fort mal ajustée : Faure n’avait pas commenté la vie privée de Griveaux mais stigmatisé la maladresse d’un ministre en exercice qui s’expose au chantage en correspondant de manière très crue avec une interlocutrice dont la discrétion n’était en rien garantie. Ce qui n’est pas une leçon de morale privée, mais bien plus une remontrance – très désagréable, certes – sur son comportement ministériel. Faure tapait à l’estomac, mais au-dessus de la ceinture. Castaner frappe nettement au-dessous.

C’est sans doute un penchant irrésistible : les ministres de l’Intérieur se prennent souvent, peu ou prou, pour Joseph Fouché, père spirituel et cynique de la profession. Le ministre de la Police de l’Empire entretenait à grands frais des indicateurs dans tous les milieux, qui lui rapportaient, entre autres, les moindres secrets d’alcôve de ses contemporains, y compris ceux de ses collègues du gouvernement. Il payait même Joséphine, dépensière compulsive, pour pénétrer les faits et gestes les plus intimes de Napoléon, à toutes fins utiles. Du maître policier au maître chanteur, il n’y avait pas loin.

Mini-Fouché, Castaner donne le sentiment, dans son allusion médiocrissime à la vie privée de Faure, de marcher dans ces traces peu reluisantes. Il réussit même à mettre en difficulté son propre camp, qui se présentait jusqu’alors, avec succès, comme la victime d’une manœuvre numérique basse et destructrice. Par nature, le ministre de l’Intérieur sait beaucoup de choses sur ses contemporains. En agitant une menace voilée, il suggère qu’il pourrait, somme toute, les utiliser. On espérait sortir au grand air après cet exercice de porno-politique peu ragoûtant. On replonge dans les caves, en l’occurrence celles du ministère de l’Intérieur. Mais au fait, le ministre, qui n’en est pas à sa première bourde, est-il vraiment à sa place à Beauvau ?

LAURENT JOFFRIN

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