Haro des éditorialistes américains sur Bernie Sanders

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Panique chez les éditorialistes américains

Haro sur Bernie Sanders

Lors des premières consultations en vue de la présidentielle américaine, les bons résultats de M. Bernie Sanders, partisan d’un « socialisme démocratique », ont semé la consternation dans l’establishment du Parti démocrate. Lequel se démène donc pour dénicher un candidat beaucoup plus modéré capable de remporter les primaires. Il sait pouvoir compter sur l’hostilité que les grands médias vouent au sénateur du Vermont.

Par Julie Hollar

Dès le début des élections primaires du Parti démocrate, la panique s’est emparée des médias dominants aux États-Unis. Dans le New York Times, l’économiste et chroniqueur Paul Krugman a remis au goût du jour une pratique inaugurée en 2016, qui consiste à assimiler le candidat « démocrate socialiste » Bernie Sanders à M. Donald Trump.

Les républicains néoconservateurs partisans des guerres impériales et du « tout sauf Trump » — une espèce en voie de disparition — sont tout aussi inquiets que les démocrates conservateurs ou centristes. « Bernie ne peut pas gagner », écrit David Frum d’un ton suppliant dans The Atlantic (27 janvier 2020). « La campagne “à la Trump” de Bernie Sanders est désastreuse pour les démocrates », déplore Jennifer Rubin, du Washington Post (27 janvier 2020).

Le think tank blairiste Third Way, financé par Wall Street. a lui aussi tout mis en œuvre, avec l’appui de la presse, pour freiner l’ascension de M. Sanders. Il a ainsi envoyé un « avertissement » aux électeurs de l’Iowa : « En raison de la négligence des médias, vous n’avez pas vu de réelle analyse du passé et des idées dangereuses du candidat en tête des sondages ». S’ensuit une longue liste d’attaques que M. Trump pourrait utiliser contre M. Sanders ; une liste établie d’autant plus facilement que les membres de ce think tank partagent avec les républicains bien des critiques adressées au candidat démocrate, en particulier sur le fait qu’il se réclame du socialisme et que sa proposition d’une sécurité sociale se substituant aux assurances privées (« Medicare pour tous ») serait impopulaire.

Les médias leur ont déroulé le tapis rouge. Le Washington Post a récemment confié à Third Way une page de sa rubrique « opinions » afin qu’il puisse y défendre sa thèse selon laquelle « le programme de Bernie Sanders le rend parfaitement inéligible » (15 janvier 2020). De même, USA Today lui a ouvert ses colonnes : « Les démocrates jouent avec le feu en soutenant Bernie (…)

Vers la bérézina des médias ?

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Seize articles hostiles à M. Bernie Sanders en seize heures ! Le Washington Post aura du mal à égaler sa performance d’il y a quatre ans (1).

Depuis, le candidat de la gauche américaine n’a cependant rien fait pour courtiser la presse. Elle le hait ; il le sait. Il lui arrive même d’en jouer. Ces temps-ci, rituellement, il interroge ses partisans : « Savez-vous combien Jeff Bezos a payé d’impôts l’année dernière ? » « Zéro ! », répondent-ils alors, dans un échange parfaitement rodé. Le sénateur du Vermont enchaîne : « J’en parle tout le temps, et je me demande ensuite pourquoi le Washington Post, qui appartient à Jeff Bezos, également propriétaire d’Amazon, n’écrit pas de très bons articles sur moi. Je ne sais vraiment pas pourquoi (2). »

Mais les articles le concernant ne sont pas meilleurs ailleurs. Peut-être pour les mêmes raisons : un ponte des médias, qui gagne énormément d’argent, comprend que le programme fiscal de M. Sanders ne l’épargnerait pas. Et puis, se déclarer favorable au socialisme, même « démocratique », n’est pas le meilleur des accélérateurs de carrière à la télévision. Sam Donaldson fut pendant des décennies le journaliste-vedette de la chaîne ABC.

Il vient d’apporter son soutien à M. Michael Bloomberg. Face à M. Sanders, appuyer un milliardaire qui fut longtemps républicain est le seul moyen, estime-t-il, de battre ensuite M. Donald Trump et de s’assurer que l’Amérique demeurera « cette cité qui brille sur la colline dont Ronald Reagan nous parlait et qui faisait pâlir d’envie le monde entier (3) ».

Le successeur de Donaldson à ABC est George Stephanopoulos, l’ancien porte-parole du président William Clinton à la Maison Blanche. Lui était tellement persuadé que la création d’un impôt sur la fortune prônée par M. Sanders était impopulaire qu’il a contredit un de ses invités qui démontrait le contraire. Et puis, admettant enfin son erreur, il a conclu : « Cela montre bien que je vis à Manhattan. Ici, cet impôt n’est pas populaire » (20 octobre 2019). Stephanopoulos gagne 15 millions de dollars par an à ABC News.

Autre vedette de la télévision, démocrate lui aussi, Christopher Matthews officie sur la chaîne MSNBC. Ce n’est pas pour son argent qu’il s’inquiète ; c’est pour sa vie. La raison ? Une angoisse qui remonte à sa jeunesse : « Je me souviens de la guerre froide. Je crois que si [Fidel] Castro et les “rouges” l’avaient emporté, il y aurait eu des exécutions à Central Park et que j’aurais fait partie des condamnés pendant que d’autres applaudissaient. » Qui, par exemple ? « Je ne sais pas qui Bernie a soutenu pendant ces années-là ni ce qu’il entend par “socialisme” » (4).

Depuis que M. Sanders aligne les victoires lors des primaires, M. Trump aime rappeler le voyage du candidat à Moscou en 1988, à l’occasion de sa lune de miel. Mais, dans ce registre de la fourberie patriotique, l’ancien président-directeur général de Goldman Sachs, M. Lloyd Blankfein, un démocrate clintonien, se montre plus brutal. Le 12 février dernier, il a tweeté : « Sanders est aussi polarisant que Trump, et il ruinera notre économie. Il se moque de notre armée. Si j’étais russe, cette fois, je choisirais Sanders. »

En cas de duel entre le promoteur new-yorkais et le sénateur du Vermont en novembre prochain, la préférence de Moscou est incertaine. Mais on sait déjà que pour les médias américains, qui haïssent autant l’un que l’autre, cet affrontement serait un chemin de croix.

Serge Halimi

(1) Lire Thomas Frank, « Tir groupé contre Bernie Sanders », et Pierre Rimbert, « “Le bras de la classe dirigeante” », Le Monde diplomatique, respectivement décembre et mai 2016.

(2) Meeting dans le New Hampshire, 13 août 2019.

(3) Entretien sur CNN, 14 février 2020.

(4) MSNBC, 7 février 2020.

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