Bédié à la recherche d’un pouvoir perdu en Côte-d’Ivoire

(Ecofin Hebdo) – Alors qu’Alassane Ouattara vient d’annoncer qu’il ne se présentera pas aux élections, peut-on considérer que la voie est presque balisée pour Henri Konan Bédié ? Ecarté du pouvoir par un coup d’Etat en 1999, celui que l’histoire a retenu comme le premier président ivoirien à ne pas achever un mandat, semble ne jamais avoir oublié l’affront. Etonnamment, à quelques semaines des élections présidentielles de 2020, l’histoire semble donner une chance à Henri Konan Bédié de récupérer ce qu’il a perdu. Un scénario qui verrait le phœnix de Daoukro effectuer, contre toute attente, une renaissance présidentielle 21 ans après avoir été déposé.

A quoi ressemblera le prochain président de la Côte d’Ivoire ? La question est d’actualité brûlante depuis quelques heures avec l’annonce d’Alassane Ouattara de ne pas se présenter à sa propre succession à la tête de la Côte d’Ivoire. Après cette annonce, les regards se tournent vers Henri Konan Bédié. Avec Laurent Gbagbo, de nombreux analystes prévoyaient un scenario dans lequel la vieille garde, complétée par le président sortant et Henri Konan Bédié, s’affrontait pour décider du prochain président ivoirien. Finalement, Alassane Ouattara ne sera pas de la partie. Et avec Laurent Gbagbo toujours en train de lutter avec la CPI pour avoir le droit de rallier Abidjan, Henri Konan Bédié aurait presque une voie royale vers la présidence… s’il décidait de se présenter.

Après cette annonce, les regards se tournent vers Henri Konan Bédié.

De toutes les façons, depuis plusieurs mois, on se doute que l’ancien président souhaite clairement jouer les premiers rôles lors des prochaines élections présidentielles.

En Côte d’Ivoire, le temps s’est arrêté dans les années 90

Ces dernières semaines, les Ivoiriens ont vu, avec le retour sur le devant de la scène de Henri Konan Bédié, se reformer le trio qui se dispute depuis maintenant près de 3 décennies la succession de Félix Houphouët-Boigny. Les 3 hommes, qui ont à tour de rôle présidé au destin de la nation ivoirienne, semblent toujours empêtrés dans une bataille interminable. Le temps est passé, chacun a eu l’occasion de s’installer au palais présidentiel. Il y a eu des alliances, dans tous les sens possibles, mais finalement les antagonismes sont restés. D’une certaine manière les affrontements répétés entre ces trois figures politiques ont arrêté le temps et maintenu la Côte d’Ivoire dans les années 90, face à l’héritage compliqué de Félix Houphouët-Boigny.

D’une certaine manière les affrontements répétés entre ces trois figures politiques ont arrêté le temps et maintenu la Côte d’Ivoire dans les années 90, face à l’héritage compliqué de Félix Houphouët-Boigny.

Toutefois, le prochain scrutin présidentiel fera exception. Deux des membres du fameux trio ne seront pas au départ de la course. Qu’à cela ne tienne, le troisième n’en semble que plus heureux de remporter ce qui restera quand même comme un nouvel épisode de leur long affrontement. Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara sont hors compétition. Pour Henri Konan Bédié, c’est l’heure de prendre sa revanche sur 1999, l’année durant laquelle un coup d’Etat l’a mis échec et mat.

« Président, une revanche mais pas une vengeance »

« Redevenir président ? Oui, ce serait une revanche, mais il n’y aurait pas de vengeance. Ce serait me rendre justice ».

« Ce serait me rendre justice ».

Pour Henri Konan Bédié, les choses sont claires. A 85 ans, l’ancien chef d’Etat souhaite toujours devenir président, pas pour faire mal à un de ses adversaires, mais pour réparer une injustice commise en 1999. Le chef du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) souhaite fermer la parenthèse de cet échec qui a significativement impacté l’histoire contemporaine de la Côte d’Ivoire.

Pour le comprendre, il faut remonter aux années 90, plus précisément en 1993. Félix Houphouët-Boigny, le premier président de la Côte d’Ivoire vient de mourir. Son remplaçant désigné est alors le président de l’Assemblée nationale, Henri Konan Bédié. Né en 1934 à Dadiékro, près de Daoukro, à 200 kilomètres au nord d’Abidjan, l’homme politique d’ethnie Baoulé, comme le président défunt, a tout du successeur parfait. Véritable amoureux de son pays qu’il a connu sous la domination coloniale, il développe très tôt un fort sentiment identitaire. Après son baccalauréat, alors qu’il doit poursuivre ses études au Sénégal, à l’école William-Ponty, il préfère, après n’y avoir passé que 3 jours, se rendre en France. Le destin d’enseignant ne lui convient pas. Il veut devenir avocat. Il s’inscrit à la faculté de droit de Poitiers. En 1958, alors qu’il s’apprête à passer son doctorat, la Côte-d’Ivoire obtient un statut d’autonomie interne. Henri Konan Bédié rentre alors à Abidjan. Il y travaille, pendant quelques mois, à la Caisse d’allocations familiales.

En 1966, il est rappelé par le président Félix Houphouët-Boigny.

Seulement, la Côte d’Ivoire se prépare à l’indépendance. Dans cette optique, le président français Charles De Gaulle demande à la Côte d’Ivoire de désigner deux cadres qui seraient envoyés au ministère français des Affaires étrangères pour apprendre la diplomatie dans les ambassades françaises. Henri Konan Bédié est alors retenu pour suivre la formation.

Le président français Charles De Gaulle demande à la Côte d’Ivoire de désigner deux cadres qui seraient envoyés au ministère français des Affaires étrangères pour apprendre la diplomatie dans les ambassades françaises. Henri Konan Bédié est alors retenu pour suivre la formation.

Après un stage au Quai d’Orsay, il est engagé comme agent contractuel à l’ambassade de France à Washington. En août 1960, la Côte-d’Ivoire devient indépendante. Il faut alors nouer des relations diplomatiques avec les Etats-Unis. Seulement âgé de 26 ans, Henri Konan Bédié devient ambassadeur et est chargé d’ouvrir la première ambassade ivoirienne à Washington. En 1966, il est rappelé par le président Félix Houphouët-Boigny. Impressionné par les relations de son ambassadeur avec les hommes d’affaires américains, il préfère lui confier le ministère de l’économie.

Impressionné par les relations de son ambassadeur avec les hommes d’affaires américains, il préfère lui confier le ministère de l’économie.

De plus en plus influent sur le plan politique, Henri Konan Bédié devient député, puis président de l’Assemblée nationale dans les années 80. En 1990, le président ivoirien modifie la constitution et afin que le président de l’Assemblée nationale lui succède en cas de vacance du pouvoir. C’est en application de ce texte que le 7 décembre 1993, Henri Konan Bédié devient le second président de l’histoire de la Côte d’Ivoire. Il succède également au défunt à la tête du PDCI. Il ne sera élu président qu’en 1995, lors d’un scrutin controversé. Malheureusement, un coup d’Etat survenu en 1999 ne le laissera pas aller au terme de son mandat. Un retour de bâton quand on y pense bien…

L’ivoirité, part d’ombre d’un homme qui avait du mal à se mettre en avant

En 1993, les Ivoiriens se rendent compte assez vite que leur nouveau président est relativement différent du précédent. Peu charismatique, discret au point de paraître effacé, Henri Konan Bédié a du mal à réellement asseoir son leadership. En plus, à cette époque, ses rivaux, l’opposant historique Laurent Gbagbo et l’ancien premier ministre Alassane Ouattara, commencent à se rapprocher, unis par leur antagonisme envers le nouveau président.

Le concept « d’ivoirité » a eu pour effet d’exclure Alassane Ouattara des élections présidentielles de 1995.

Pour faire tomber le plus dangereux, Alassane Ouattara, alors très populaire, va apparaître, en décembre 1994, la nauséabonde notion d’Ivoirité : un code électoral stipulant que tout candidat à la magistrature suprême doit « être Ivoirien de naissance, né de père et de mère eux-mêmes Ivoiriens, doit n’avoir jamais renoncé à la nationalité ivoirienne, et doit avoir résidé de manière continue en Côte d’Ivoire pendant cinq ans. »

« Etre Ivoirien de naissance, né de père et de mère eux-mêmes Ivoiriens, doit n’avoir jamais renoncé à la nationalité ivoirienne, et doit avoir résidé de manière continue en Côte d’Ivoire pendant cinq ans. »

Le concept « d’ivoirité » est né et n’est en fait qu’une manière d’exclure Alassane Ouattara des élections présidentielles de 1995. Ce dernier est accusé d’avoir des origines Burkinabé. Finalement Alassane Ouattara ne se présente pas. La grande majorité de la classe politique ivoirienne de l’époque décide alors de boycotter les élections de 1995, remportées haut la main par Henri Konan Bédié. Durant le scrutin, des incidents impliquant les partisans d’Alassane Ouattara et de Laurent Gbagbo surviennent. Le président demande alors au général Robert Guéï, chef d’état-major des Forces armées nationales, de faire intervenir ses troupes. Finalement, le président le limoge.

Le 22 décembre 1999, une mutinerie éclate lorsqu’un groupe de soldats réclame des arriérés de primes et l’amélioration de leurs conditions. Le président banalise le mouvement qui se généralise et devient une crise de grande ampleur. Les mutins pillent les magasins d’Abidjan où la population, déjà révoltée par les dégâts causés par l’Ivoirité sur le tissu social ivoirien, commence à en avoir assez de l’inaction du président.

Les mutins pillent les magasins d’Abidjan où la population, déjà révoltée par les dégâts causés par l’Ivoirité sur le tissu social ivoirien, commence à en avoir assez de l’inaction du président.

Contre toute attente, Robert Gueï, qui n’était pas mêlé à la mutinerie, se présente comme le porte-parole des mutins et annonce la destitution du chef de l’État, la dissolution de l’Assemblée nationale, du gouvernement, du Conseil constitutionnel et de la Cour suprême.

24 décembre 1999, Henri Konan Bédié perd le pouvoir et s’enfuit.

Dans la rue, la liesse éclate. « Bédié est tombé, Gueï ». Henri Konan Bédié s’enfuit vers l’ambassade française. Il quitte le pays et part pour un exil dont il ne reviendra qu’en 2001 pour le forum de réconciliation nationale. Une année plus tôt, Laurent Gbagbo a été élu président d’une élection à laquelle étaient exclus Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié.

Renaitre comme un phœnix

Les deux anciens ennemis décident de s’allier. Ensemble, ils créent le Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP) pour affronter Laurent Gbagbo aux élections de 2005. Mais dans cette coalition, Henri Konan Bédié n’a pas le dessus. Politiquement, il est plus affaibli que jamais. Hors, l’accord avec Ouattara les oblige à soutenir, au second tour, celui qui se retrouve à affronter le président sortant.

Pour reprendre des couleurs, il se transforme en opposant vindicatif, critiquant à diverses reprises l’action gouvernementale. Les nombreux reports du scrutin permettent à Henri Konan Bédié de se remettre en selle. Peu à peu, l’aigreur et le goût amer laissé par le coup d’Etat de 1999 se transforment en fureur de vaincre. Le « Sphinx de Daoukro », comme le surnomment ses partisans, veut renaitre, tel un phœnix.

Peu à peu, l’aigreur et le goût amer laissé par le coup d’Etat de 1999 se transforment en fureur de vaincre. Le « Sphinx de Daoukro », comme le surnomment ses partisans, veut renaitre, tel un phœnix.

Mais, malgré ses nombreux efforts, il ne se qualifie pas pour le second tour lorsqu’ont finalement lieu les élections en 2010. Il appelle à voter Alassane Ouattara, après avoir contesté les résultats du premier tour. Finalement Alassane Ouattara prend le pouvoir en 2011 après une longue crise. En 2015, lors des élections suivantes, il appelle à soutenir Alassane Ouattara dès le premier tour des élections présidentielles.

Henri Konan Bédié se met alors à nouveau sur le pied de guerre.

Seulement, quelques années plus tard, les relations entre les deux anciens rivaux se gâtent à nouveau. Alassane Ouattara n’aurait pas respecté un accord dans lequel il aurait promis de passer la main au PDCI en 2020. Henri Konan Bédié se met alors sur le pied de guerre. Déterminé à devenir président, à nouveau, il serait allé nouer un accord de collaboration avec Laurent Gbagbo. Le fils de Daoukro y tient. Pour y parvenir, il serait prêt à tout, ou presque. En attendant, il maintient le suspense et n’a pas annoncé sa candidature. Mais, même les néophytes du poker menteur ivoirien qui se joue depuis plusieurs années en sont conscients : l’occasion est trop belle…

Servan Ahougnon

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